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CHATEAUX FORTS ÉLEVÉS APRÈS LA DOMINATION ROMAINE.

Description du château de Jonvelle.

PREMIÈRE MAISON DE JONVELLE. (1124. - 1224.)

Guy 1er. - Fondation de Clairefontaine. - Plaids de Faverney. - Duel entre Olivier de Jonvelle et Louis de JUSSEY -BERTRAND. - Guy II,- Formalités nombreuses des actes de donations.

AUTRES BRANCHES DE LA MAISON DE JONVELLE. (1224-1300.)

ELISABETH de Jonvelle épouse Simon 1er de saisserontaine. - Etat du commerce. - Elisabeth remariée à Titiébaird de Neurchateau. -Chartes de Villars-Saint-Marcellin , d'Anchenoncourt et d'Enfonvelle. -Simon II de Saissefontaine. - GUY III. - GUY IV et SIMON III. - Château de Richecourt.

QUATRIÈME MAISON DE JONVELLE; BRANCHE DE CHAUVIREY. (1300 - 1378.)

CATHERINE, JEAN et PHILIPPE. - Charte de l'abbaye de Saint-Vincent. -Affranchissement de Jonvelle et de sa seigneurie. - Guerres du quatorzième siècle; ravages des Grandes Compagnies. - Jean de Bourgogne. - La comtesse Marguerite. - GUILLEMETTE DE CHARNY, dame de Jonvelle. - Le fief est confisqué. - Violences exercées par Thomas de la Rochelle. - La terre de Jonvelle donnée à Guy DE LA TREMOUILLE.

La Suite : 3ème EPOQUE

 

 

 

SECONDE EPOQUE.

MOYEN AGE.

 

CHAPITRE 1er.

CHATEAUX FORTS ÉLEVÉS APRÈS LA DOMINATION ROMAINE.

Description du château de Jonvelle.

 

A l'imitation des Romains, les barbares élevèrent, des châteaux forts, pour assurer leur domination dans les pays conquis. La garde en était confiée à des capitaines appelés ducs, marquis, comtes, sergents, etc., qui devaient en rendre les clefs, lorsque le prince leur ôtait leur charge ou les envoyait ailleurs. Aussi nul n'en pouvait bâtir de nouveaux qu'avec l'agrément du souverain et pour son service. Mais les derniers Mérovingiens, et après eux les fils de Charlemagne, virent partout s'élever un grand nombre de forteresses, au mépris de leur autorité. C'étaient autant de places élevées pour la résistance, contre l'injustice ou contre les lois, et dans lesquelles chaque seigneur avait sa bannière et sa cour de justice, comme un petit souverain, guerroyant à son gré, levant tailles et impôts, battant, monnaie et disant mes sujets. Dans nos contrées, l'histoire ne cite d'abord que Luxeuil et Annegray qui aient été fortifiés, au commencement du quatrième siècle, pour protéger les passages des Vosges. Mais ils succombèrent l'un et l'autre dans les invasions multipliées qui signalèrent la seconde moitié de ce siècle ; et quand saint Colomban vint s'établir dans ces déserts, il trouva le.' deux castrum entièrement renversés. Aussi la Notice des Gaules ne mentionne-telle que Port-Abucia et le petit castrum Rauracense (1). Jussey, cité dans la Vie de saînt Agile, écrite au septième siécle, y est appelé simplement Jussiacus ; mais on voit, par les circonstances du récit, qu'il était déjà un lieu d'une certaine importance. Ce n'est que vers l'an 1180, dans la Vie de saint Pierre de Tarentaise, qu'il est appelé oppidum, place fortifiée. Dès le commencement du septième siècle, Bour bonne eut aussi son château, que Thierry, roi de Bourgogne, fit élever pour défendre cette frontière de ses États, contre son frère Théodebert, roi d'A.ustrasie. Aymoin, auteur du neuvième siècle, le nomme Vervona castrum (2). Vesoul était fortifié des l'an 889, puisqu'une légende de cette époque raconte la guérison miraculeuse d'une jeune fille du château de Vesoul, è castro Vesulio. C'est dans cette longue période d'invasions, de guerres,

 

(1) La Franche-Comté à l'époque romaine, p. 132.

(2) Huic pétitions assentiente Clothario, Theodoricus anno XVII regni sui, mense maio, universos ditionis suae ad bella promptissimos Lingonis coadunari praecipiens, ac per Vervonani castrum (tunc temporis a.aedificari coeptum ) iter faciens, Tullum devenit.... (AYMOIN, De gestis Francorum, lib. III, cap. xcviii,)

de calamités successives et de transformations sociales, que s'élevèrent )a plupart de nos châteaux, tels que Jnnvelle, Chàtillon, Passavant, Montdoré, Demangevelle, Richecourt, Gevigney, Jussey, Chauvirey, etc. L'étymologie romaine de quelques-uns, leurs débris et l'appareil de construction qu'ils présentent à leur partie inférieure, font penser qu'ils ont été construits sur les ruines d'anciennes forteresses. Ces caractères se retrouvent dans celui de Jonvelle en particulier. D'ailleurs, l'aspect de ses tours carrées (1), les fragments de colonnes doriques encore gisants sur le sol, l'épaisseur et la force de ses murs, tout prouve sa haute antiquit,é. Bâti sur un plateau de forme ovale et contourné par la Saône, comme un promontoire, il protégeait le passage-e de cette rivière et les routes qui se croisaient au pied de ses murailles. Il avait double enceinte de fossés et de rernparts. Au bâtiment principal étaient adossées de nornbreuses dépendances, où se-retiraient, en cas de péril imminent, les serfs et manants du seigneur, arrivant de Voisey, de Villars, d'Ormoy, de Polaincourt, en un rnot de toutes les parties de ses domaines, avec ce qu'ils avaient de plus précieux. Au milieu de la cour, on voit encore un souterrain de quatre mètres carrés, sur cinq de profondeur, qui a pu servir de cellier ou de prison, Il y en avait de très profonds, corme à Richecourt, fermés par des trappes et appelés oubliettes. Audessus de ces souterrains, on trouvait, soutenus sur de

(1) Le dessin que nous avons fait copier sur une estampe de la Bibliothèque impériale et qui Agure aux Pièces justificatives de notre mémoire manuscrit, représente trois tours ruinées, de trois, quatre ou cinq étages et de forme carre.

gros piliers, les corps de garde, la cuisine, la salle a manger, la chambre de justice où le châtelain tenait ses plaids, la chapelle dédiée à saint Barthélemi, ou chaque matin se disait la messe pour sa famille, enfin la salle d'armes, où il recevait, aux grandes fêtes, les hommages des sires de Bourbévelle, de Raincourt, de Demangevelle et de ses autres petits vassaux. C'est ici qu'étaient conservés les trophées de guerre et les anciennes armures, et que l'on voyait, peints aux plafonds et sur les murailles, les blasons du seigneur et de ses alliés, les sires de Saissefontaine, de Neufchâteau, de Chauvirey, de Vienne, de la Fauche, etc. Au premier étage étaient encore une quantité de chambres destinées à la famille du maître, ainsi qu'aux principaux officiers de sa maison. Toutes ces pièces étaient séparées par de sombres corridors, dont les fenêtres étroites, garnies de barreaux épais, laissaient à peine pénétrer dans l'intérieur un jour douteux ; et pour tout mobilier elles n'avaient qu'un prie-dieu, des sièges de bois sculptés, et un lit de douze pieds de large, ou plusieurs personnes pouvaient dormir à l'aise. A l'étage supérieur, étaient déposées les provisions de toute espèce, avec le terrier et les diplômes, chartes, titres de propriété et de noblesse et les archives de la justice seigneuriale. Tel était, en quelques mots, l'intérieur du château de Jonvelle, aux douzième et treizième siècles. Cette population, si nombreuse et si diverse, composée de chevaliers, de nobles dames, de gens de justice et de paysans ; cet appareil guerrier, ce tribunal, ce gibet élevé a l'ombre de la forteresse, tout nous révèle un âge ou la vie était dure et grandiose, où des alarmes continuelles troublaient les jours et les nuits ; car c' était le temps des guerres, des in~'asions et des soulévements perpétuels ;c'était le temps où les pauvres manants d'alentour, appuyant timidement leur chaumiere a l'abri des murs de Jonvelle, y trouvaient la protection et la sûreté, en échange du joug et du servage sous lesquels ses redoutables créneaux les tenaient silencieusement courbés.Aujourd'hui encore tout rappelle ces souvenirs, dans les ruines affaissées ou debout qui couvrent cette terre, autrefois cuirassée et respirant à peine sous le poids des armes et des boucliers

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CHAPITRE II.

PREMIÈRE MAISON DE JONVELLE.

Guy 1er. - Fondation de Clairefontaine. - Plaids de Faverney. - Duelentre Olivier de Jonvelle et Louis de JUSSEY - BERTRAND. - Guy II, - Formalités nombreuses des actes de donations.

(1124. - 1224.)

 

Le premier sire de Jonvelle mentionné dans les chartes est Guy 1er, sans que l'on puisse dire son origine ou celle de sa maison. Du reste , il en est de même pour la plupart des grandes familles seigneuriales de

notre province, qui ont rempli un rôle si illustre au moyen àge. Ce qu'il y a de certain, c' est que cette baronnie a toujours relevé des comtes de Bourgogne (1). Elle n'a dû être, dans le principe, qu'un démembrement des domaines du comte souverain, en faveur de quelque noble et puissant seigneur, qui pouvait être de sa maison. Ce qui appuie cette conjecture, c' est que les

 

(1) Pierre, abbé de Faverney, dil dans une charle ae1258 . . Nous savons el havons oy et veu , tant comme il nous peut remembrer, que les fieds li conte de Bourgoigne sont tous environ Leceu ( Luxeuil ) , si comme Falcoingney , Jonville-sur.Sone el Foulvaney el aces d'autres fieds, (Arcbives de Vesoul.)

armes de Jonvelle portaient le lion rampant sur fond plain, aussi bien que celles des comtes de Bourgogne (1). Or, selon Dunod (2), les armoiries sont ordinairement historiques : elles peuvent servir à confirmer ou à faire conjecturer les faits et gestes, quelquefois même l'origine des familles. La Champagne eut dans le même temps ses illustres Joinville. Or les nombreux rapports qui ont existe entre ces deux maisons sembleraient indiquer une origine comrnune. Les noms de l'une et de l'autre sont écrits de la même manière, dans un grand nombre de chartes anciennes. Jusqu'au quinzième siècle, les chartes franr,aises de Jonvelle écrivent indifféremment Joinville et Jonville. De plus, les armes des deux. familles étaient les mêmes ; et comme les Joinville, au lieu de porter les armes plaines, les coupaient d'azur à trois broyes d'or, n'est-il pas permis d'en conclure qu'ils n'étaient qu'une branche cadette de Jonvelle (3) ? Quoi qu'il en soit, les sires de Jonvelle comptèrent parmi les grands vassaux du pays. On les voit, en 1132, prendre le pas sut' les puissants seigneurs de Rougemont et de Jussey. Quelques années après, ils sont qualifiés princes, dans une sentence rendue par le comte Renaud III, au plaid de Faverney (1140). Leur seigneurie avait aussi le norn de châtellenie, qui ne se donnait qu'aux grands fiefs.

(1) Les armes de la maison de Jonvelle étaient d'argent au lion de gueules, armé et lampassé d'azur. Tel était le sceau de Guy III (1 289), les armes des comtes, à partir d'Othon IV (1%79-1303), portèrent de gueules au lion d'or, couronné, lampassé et armé de gueu]es, 1e queue nouée en sautoir. (Dunod, Hist. du Comté, II, 185, 211 et 431.) (2) Nobiliaire, pag. 2h, 82 34. (8) Bulletin du Comité historique, juin) 1849;M. LONGCHAMP, Glanures, au mot jonvelle,

 

 

Guy Ier eut pour frères Henri et Olivier, et pour femme Elisabeth. De ce mariage naquirent deux fils, Bertrand et Mathieu. L'existence de cette famille, qui ne nous est révélée que par des oeuvres pies, s'annonce par une donation faite aux chanoines de Saint-Etienne de Dijon (1124) (1). Trois ans après, ses libéralités s'unissaient à celles des nobles de Jussey, de Pesmes et de Dampierre, pour doter le prieuré de Cherlieu (2). Quand ce prieuré fut un monastère de cisterciens, enfants de saint Bernard, ayant à leur tête le bienheureux Guy, le sire de Jonvelle fut un des plus zélés à imiter la munificence du comte envers eux. Pour avoir part à leurs prières, il leur abandonna tous ses domaines de Jussey de Gray, de Marlay (3), de Montigny et de Saponcourt (1137, 1145, 1152). Mais parmi toutes les oeuvres que leur inspira la piété, l'oeuvre capitale des premiers seigneurs de Jonvelle fut assurément la fondation de l'abbaye de Clairefontaine, dixième fille de Morimond. C'était l'âge d'or des communautes cisterciennes, et l'auréole de gloire qui entourait alors saint Bernard, se reflétait sur tous ses frères et. ses disciples. L'ordre de Citeaux était alors en si grande réputation, que de toutes parts les princes, les seigneurs, les évêques et même les anciens monastères d'ordres différents, lui demandaient des colonies. Déjà dans le seul comté de Bourgogne, la maison de Clairvaux avait fourni celles de Bellevaux,

 

(1) Hist. des sires de Salins, I, 31-32

(2) Preuve I.

(3) Gray, territoire de Jussey ; Marlay, territoire de Montigny-les- Cherlieu.

de Balerne et de Cherlieu. Morirnond avait fondé Theuley, Lieu-Croissant ou les Trois-Rois, Rosières et Bithaine. C'est à Vauthier, abbé de ce monastère, que s'adressa Guy de Jonvelle. Bientôt le prélat ar rive au manoir du noble baron, qui le fait conduire à travers les domaines de sa vaste chatellenie, pour y choisir l'emplacement de la maison de Dieu. Los saints fond.ateurs de Citeaux, craignant pour leurs disciples la dis:sipation et le bruit, avaient réglé qu'ils s'établiraient loin des villes, dans des lieux cachés et favorables au recueillement. Sous ce double rapport, on pouvait difficilement trouver une retraite plus convenable que la vallée de Clairefontaine, gorge solitaire, étroitement resserrée entre deux collines que couvraient d'épaisses forêts. Une source abondante et limpide y jaillit de la base d'un rocher : cette circonstance fournit à l'abbé le nom du nouvel établissement. Les propriétaires du sol et des alentours applaudirent a son choix etlui firent la remise de leurs droits (1). Dès que les premiers travaux furent terminés, Vauthier regagna Morimond, où il mourut la même année (1131). Othon de Fre.ssingue, son successeur, désigna Larnbert pour gouverner la colonie de Clairefontaine. Celui-ci acheva les bâtiments, et l'installa.ion des religieux se fit le 4 juin 1133.

 

(1) ('es donateurs étaient Guy, clerc d'Aillevillers ; Guy, prêtre de Menoux ; Ar nould, clerc de C,urbry ; Hugues, prêtre de Saint-Loup ; Ascelin de Dornbrot (Vo.ges) ; Albéric, prêtre de Polaincourt, et huit autres bo "urgeois de ce lieu ; Théodoric, prévot d'Ormoy ; Olivier, Kalo et Rufus de Jussey ; Licinius de Port; Théodoric d'Anchenoncourt ; Pierre de Faucogney ; Guyon de (Gevigney ; Guyon, sergent de Jonvelle, etc. (Archives de la H;aute-Saône, H, 34 , et Mlérnoire manuscrit sur Clairefontaine, pag. 65.)

Par mi les bienfaiteurs nombreux qui dotèrent cette maison, aucun ne se montra plus généreux que le seigneur de Jonvelle. Nous le voyons sans cesse exciter par son zèle, et plus encore par ses exemples, le dévouement de ses vassaux envers ses religieux bien-aimés. Avec la cession de quelques meix dans le voisinage, ils reçurent de lui les droits les plus illimités, dans toute l'étendue de ses domaines, pour la pêche des étangs et des rivières, l'usage des forêts, la paisson des animaux et la construction des édifices. Différentes chartes énumèrent et, confirment ces bienfaits, que le fondateur eut soin de consolider encore, en les faisant aut,oriser par son épouse Élisabeth, par son fils Bertrand et par sa bellefille Comitissa, femme de Bertrand (1). Nous verrons plus tard les sires et les dames de Jonvelle, issus de Guy I", rivaliser de zèle pour la dotation du monastère qu'il avait fondé. Clairefontaine fut ainsi comme la caisse d'épargne où ils entassèrent des trésors de bonnes oeuvres, pour leur servir dans la vie future. Grâce à toutes ces libéralités et surtout, à la ferveur des religieux, ce monastère devint à son tour la providence des pauvres, des malades et des affligés, une maison de prière, une école de vertu, de science et d'agriculture, en un mot le plus grandl bienfait pour toute la contrée. C'est dans son église que les seigneurs de Jonvelle ont choisi le lieu de leur dernier repos en ce monde, afin que leur sépulture entendit nuit et jour la psalmodie suppliante et les chants pieux des cénobites, priant pour le repos ét,ernel de leurs àmes. C'est là qu'ils ont dormi en paix,

 

(1) Archives de la Haute-Saône, ibid.

 

durant sept siècles et demi, à côté des plus nobles barons de Comté, de Champagne, de Lorraine et du Barrois, jusqu'à. ce que l'effroyable tempête, commencée en 1789, chassât les enfants du bienheureux Larnbert de leur asile et de leurs domaines, et même les illustres défunts de leurs tombeaux. L'eglise de Clairefontaine a disparu : ses cloîtres élégants, convertis en ateliers de faïencerie, ne retentissent plus des chants de la prière ; et la curiosité, intéressée par l'histoire, cherche en vain quelques débris de ce magnifique monument du douzième siècle, quelque fragment de pierre où soit gravé le souvenir d'un seigneur de Jonvelle (1).

Cependant les sires de Jonvelle, en marne temps qu'ils honoraient leur nom par des libéralités sans bornes envers les cisterciens, se laissaient entraîner à la déprédation sur les domaines de deux autr es monastères, Faverney et Saint-Marcel, et cela par une singulière contradiction, que présente souvent la noblesse de cette époque encore demi-barbare. Anséric, archevêque de Besançon, informé de l'état déplorable dans lequel était tombée l'abbaye de Faverney, occupée jusqu'alors par des religieuses sous la direction de l'abbesse Odiarde, s'était transporte sur les lieux pour mieux connaître le mal et pour y apport,er un remède efficace (2). Or, ce mal était grand : les nonnes avaient déserté leur cloître, envahi par les violentes injustices des seigneurs, de ceux-là même qui avaient charge de protéger les biens de la communauté.

 

(1) C'est encore au temps de Guy 1er qu'il faut placer la fondation des prieurés de Jonvelle et de Voisey. ( Voir à la fin du volume les noticee sur l'église de Jonvelle et sur Voisey.)

(2) Vie des Saints de Franchc-Comté, IV, 275.

Ces avoués ou gardiens de l'abbaye étaient le comte de Bourgogne, et, sous sa délégation, Guy de Jonvelle, Henri, son frère, Thiébaud de Rougemont, Richard de Montfaucon, Humbert et Louis de Jussey. A l'envi tous les sous-gardiens avaient traité les biens de ce monastère comme leur propre héritage. Convoqués à l'église du couvent par l'archevêque et par le comte (1132), Guy de Jonvelle et ses collègues reconnurent franchement leurs torts, en présence des religieuses et devant une assemblée d'ecclésiastiques et de laïques. Ils se dépouillèrent, entre les mains de Renaud, de tous les fruits de leurs déprédations, et renoncèrent pour l'avenir à tous leurs droits d'avouerie. Le comte remit ce désistement à l'archevêque, qui s'empressa de le, consacrer, en le plaçant sur l'autel, pour l'offrir à Dieu et à la bienheureuse Vierge Marie, avec de grandes actions de grâces. Mais le plaid de Faverney avait un second but non moins important, la réforme du monastère. Pour l'opérer, on ne vit point d'autre moyen que de changer le personnel ; et l'empressement des nonnes à subir ce projet ne prouva que trop a quel point elles avaient perdu l'esprit de leur vocation. Anséric proposa donc d'offrir leur maison aux bénédictins de )a Chaise-Dieu en Auvergne. Aussitôt, dit-il dans sa lettre à Étienne, abbé de ce monastère, religieuses, clergé, peuple, barons et avoués, tous applaudissant d'une voix unanime, ont été d'avis que l'église de Faverney fût unie à votre église. La charte du prélat qui nous donne ces détails fut scellée à Besançon, avec l'approbation du chapitre de Saint

Jean, le 21 septembre 1132, quelques jours après la tenue des assises de Faverney. Parmi les témoins de l'acte figurent Guy, abbé de Cherlieu, Guy et Henri de Jonvelle, Humbert et Louis deie Jussey, Pierre de Traves, doyen de Saint-Étienne, Hugues de Faverney, archidiacre, Hugues, abbé de Luxeuil, et Lambert, abbé de Clairefontaine (1).

Cependant la paix jurée devant l'archevêque, au sujet de Faverney, ne fut pas de longue durée ; et le principal auteur des nouveaux troubles fut Bernard, le nouvel abbé, prélat indigne, qui, non content de dilapider les biens de son monastère, osa porter ses mains violentes sur les terres de Cherlieu et de Clairefontaine (1). Henri et Olivier de Jonvelle se crurent sans doute engages par l'honneur à venger les injures et les vexat.ions faites à deux maisons qui étaient si chères à leur famille ; et ils s'attaquèrent non-seulement aux bénédictins. de Faverney, mais encore au prieure de Saint-Marcel (3), qui sans doute avait pris part dans le débat, d'une manière hostile à Cherlieu. Le prieur de Saint-Marcel était Halinard. Non-seulement il eut à souffrir les plus violentes rapines, mais il vit encore sa juridiction entièrement usurpée. Louis de Jussey fut accusé d'avoir été le cornplice de ces excès. La plainte sur cet,te affaire fut portée au tribunal du comte Renaud, qui l'entendit dans un nouveau plaid, à. Faverney (vers 1140). Or, dans ce debat,

(I) Annales de MABI.LON, Vl, 633 ; D. GRAPPIN, Histoire de Faverney.

(2) Vie des Saints de Franche-Comté, IV, 140 et suivantes.

(3) Voir la Notice sur Saint-Marcel.

 

pour un motif que l'acte du jugement n'explique pas, Louis et Olivier subirent contradictoirement le duel, comme épreuve judiciaire, sans doute parce qu'ils auraient rejeté l'un sur l'autre l'accusation présente, ou du moins parce que chacun d'eux aurait voulu la décliner pour soi-même. En cela ils manquaient également à la franchise, et ils oubliaient la noble loyauté qu'eux-mêmes, avec les autres avoués de Faverney, avaient montrée dans un cas semblable, quelques années auparavant. Toujours est-il qu'Olivier de Jonvelle fut vaincu dans ce duel, et que son adversaire se vit en conséquence libéré de toute répétition, quand même il avait eu sa part d'injustice. Guy, chef de la maison de Jonvelle, qui était, aux yeux du comte souverain, l'avoué responsable pour Faverney et pour Saint-Marcel, se vit condamné à réparer toutes les injustices faites aux deux maisons, et à. les rétablir dans leur ancienne paix. Il accepta la sentence et jura sur les saints Evangiles d'en remplir les conditions, donnant pour cautions de sa parole Renaud de Traves et l'abbé de Cherlieu. Cet acte eut pour témoins Gaucher de Salins, le doyen Garin, Renaud de Traves, Guillaume de Pesmes, Odillon de, Montbozon, Henri de Purgerot et Etienne, maire de Vesoul. Plus tard, Olivier de Jonvelle se transporta encore devant le comte, au plaid de Luxeuil, où, après avoir réparé complètement ses torts et ses usurpations, il fit serment, avec tous .-es gens, de ne plus rien entreprendre à l'avenir sur les biens des églises, ni par lui- même, ni par la main d'autrui, s'engageant, en cas fortuit de nouveau dommage, à le réparer dans les sept jours qui suivraient la vérification du délit (1).Peu d'années après (1145), Guy de Jonvelle eut l'honneur de recevoir chez lui Humbert, archevêque de BESANÇON, accompagné de Godefroid, évêque de Langres, et des abbés de Cherlieu et de Clairefontaine (2). Douze ans plus tard, le manoir de Jonvelle reçut de nouveau les hottes les plus illustres, l'archevêque Humbert, Mathieu, duc de Lorraine, une foule de gentilshommes et tous les supérieurs des abbayes filles de Morimond, établies dans le comté de Bourgogne. Mais tout ce que les documents historiques nous apprennent au sujet de cette nouvelle assemblée, c'est qu'elle sanctionna les donations faites à Clairefontaine par Philippe d'Achey, seigneur de Saint-Remy, Menoux et Senoncourt, et régla les limites entre les possessions du donateur et celles du monastère (3).Les descendants de Guy 1er se distinguèrent, à son imitation, par leur zèle pieux en faveur des maisons saintes, et par leur ascendant conciliateur, qui les rendait arbitres de toutes les querelles. Les chartes qui rappellent ces actes honorables de leur bienfaisance, avec celles qui mettent en relief l'autorité de leur consentement ou de leur simple témoignage, nous donnent presque au complet la généalogie et les alliances de la maison de Jonvelle, avec la série de ses diverses mouvances

 

 

(1) Preuve Il.

(2) Histoire du diocèse de Besançon, I, 360.

(3) Archives de la Haute.saône, ibid.

 

(1) Du reste, ces titres sont à peu près les seuls qui les signaient â l'attention de l'histoire pendant trois siècles. Mais ils sont bien plus glorieux et plus méritoires, aux yeux de l’humanité et de la foi, que ces annales sanglantes qui nous font connaître les terribles hommes de bataille et de dévastation; car ces titres nous démontrent que, dans leur opulence, les seigneurs de Jonvelle se sont complu uniquement à faire le bonheur de la contrée soumise à leur domination.

C'est dans ces pensées que Guy Il, fils et successeur de Bertrand, fonda par ses donations à Clairefontaine un service annuel, pour le repos éternel d'Elisabeth, sa première femme, et de ses ancêtres (12O8). il cédait pour cela un battoir ou moulin à foulon, avec les moulins situés sur la Saône, entre Corre et Ormoy, et deux autres moulins placés sur le ruisseau de Bosserenville. " Ce service anniversaire, ajoute le donateur, se célébrera le lendemain de la fête de saint Mathieu. En ce jour, le seigneur défraiera la table des moines; tous les pêcheurs porteront au couvent le poisson qu'ils prendront pendant la semaine de la fête dudit apôtre, soit dans la partie de la Saône comprise entre le ruisseau de Bosserenville et celui du Champ-Fromond, soit dans le cours de ces deux ruisseaux (2). >

Les donations de ce genre étaient ordinairement pourvues des garanties les plus solennelles de paisible jouissance. De plus, on les trouve bien souvent revêtues du consentement authentique des héritiers directs ou collatéraux.

(1) Archives de la Haute-Saône, 11, 360.

(2) Ibidem.

Il fallait toutes ces précautions, dans un temps où, la cupidité, la force et le brigandage remplaçant le plus souvent tous les droits, les engagements personnels offraient seuls quelque sûreté pour l'avenir. Encore de quel luxe de formalités ne les entourait-on pas, afin de les rendre plus sacrés ! Telle était l'investiture de la propriété cédée; cette investiture se donnait ou par le vête-ment, dont le vendeur et le donateur se dépouillaient pour en revêtir l'acquéreur, ou par la porrection de petits bâtons, qui, en passant d'une main à une autre, Signifiaient et consacraient la transmission de la chose. Tels étaient ensuite les serments échangés sur le livre ouvert des saints Evangiles; la présence des témoins, choisis parmi les personnes les plus honorables et les mieux qualifiées; la rédaction de l'acte, faite quelquefois dans l'église, et toujours au nom d'un grand seigneur ou d'un officier distingué, d'un évêque, d'un abbé ou de quelque autre dignitaire ecclésiastique; l'apposition de leurs sceaux; enfin, au besoin, la confirmation de l'acte par le seigneur suzerain ou par le dignitaire supérieur, le comte, l'empereur, l'évêque, le pape lui-même. Bientôt les chancelleries, les officialités, les prévôtés et les tabellions ou notaires donnérent aux chartes de vente, de donation, de transactions quelconques, la solennité et la garantie de stabilité que l'on demande aujourd'hui aux bureaux de l'enregistrement et des hypothéques. Cependant, malgré cet appareil, malgré les stipulations de perpétuité les plus expresses, les donataires sentaient le besoin de faire confirmer leurs titres par les héritiers du donateur, et souvent par un second acte du donateur lui-même.Il serait trop long de mentionner en détail les chartes où figure le nom des sires de Jonvelle. Presque toutes regardent les abbayes, les prieurés et les églises de la contrée, Cherlieu, Clairefontaine, Luxeuil, Enfonvelle, Faverney, Vaux4a-Douce, Bitîl aine, Villars-Saint-Marcellin, etc. Elles mettent en relief les sires d'Achey, de Rougemont, de Traves, de Deuilly, de Bar, de Novillars, de Chauvirey, de la Roche, de Cantecroix, de la Chassagne, de Lomont, de Cilley, de Chesnel, de Baon, de la Fauche, etc. ; et pareillement les nobles, les bourgeois, les curés et les clercs de Jonvelle, de Jussey, de Corre, de Demangevelle, deVoisey, de Blondefontaine, de Ramcourt, d'Ormoy, de Bourbévelle, de Gevigney, de Vauvillers, de Montdoré, de Saponcourt, de Polaincourt, de Dampierre de Conflans), de Villars, de Bourbonne, de Senoncourt, de Chazel, de Richecourt, de Vougécourt, de Purgerot, de Faverney, en un mot de tous les bourgs et villages de la seigneurie et du voisinage.

 

 

 

CHAPITRE III.

AUTRES BRANCHES DE LA MAISON DE JONVELLE.

 

 

ELISABETH de Jonvelle épouse Simon 1er de saisserontaine. - Etat du commerce. - Elisabeth remariée à Titiébaird de Neurchateau. -Chartes de Villars-Saint-Marcellin , d'Anchenoncourt et d'Enfonvelle. -Simon II de Saissefontaine. - GUY III. - GUY IV et SIMON III. - Château de Richecourt.

(1224-1300.)

 

 

Elisabeth, fille unique de Guy II, avait épousé Simon de Saissefontaine (1), qui commença la seconde branche des seigneurs de Jonvelle (1224). Gollut le range au nombre des vassaux les plus marquants du comte Othon II. Son origine était des plus illustres; car les chartes lui donnent pour frére Richard II de Dampierre. Leur pêre fut le célèbre Richard 1er, qui se croisa en 1201, avec ses trois frères, Odet, Renauci et Guy, et se couvrit de gloire, comme eux, dans la conquête de Constantinople et de l'empire byzantin. Revenu d'Orient, il continua de remplir un rôle important dans les affaires de son pays, alors bouleversé par les guerres sanglantes

 

(1) arrondissement de Chaumont.

que Jean de Chalon, Etienne, comte d'Auxonne, son père, et Thiébaud IV, comte de Champagne, soutenaient contre Othon Il de Méranie, comte palatin de Bourgogne. Gelui-ci, ayant enfin obtenu la paix de ses redoutables adversaires, en profita pour se rattacher ses vassaux plus étroitement encore, en faisant renouveler l'hommage de chacun d'eux. C'est en ces termes que Simon de Saissefontaine-Jonvelle s’acquitta de son de-voir, par sa charte testamentaire de 1230 : " J'atteste par ces présentes lettres que le duc Othon de Méranie m'a donné Jonvelle et sa châtellenie en fief et seigneurie, et que je suis son homme-lige, sauf la fidélité que je dois au comte de Champagne. Simon faisait cette réserve pour sa terre de Saissefontaine en Bassigny. Mais son dévouement au palatin ne se borna pas à un stérile hommage; car il termina son testament par lui céder son fief de Jonvelle, dans le cas où il mourrait sans enfant (1), Plus tard il eut un fils de même nom que lui, et la donation fuL sans résultat. Après sa mort (1238>, Elisabéth, son épouse, s'empressa de fonder une messe à Clairefontaine pour lui et pour son père, moyennant une rente de quarante sols estevenants, qu'elle constitua aux religieux sur les marchés et les foires de Jonvelle et sur l'écluse du faubourg Sainte-Croix. Ce service anniversaire devait se célébrer à la fête de saint Gai (16 octobre); et ce jour-là tous les pêcheurs de Jonvelle, de Corre et d'Ormoy, étaient requis de porter au couvent le poisson réservé au seigneur (2)

 

(1) Aux Preuves.

(2)Archives de Vesoul, H, 360.

Comme on le voit, Jonvelle avait alors ses foires et ses marchés, et cela sans doute depuis que cette ville avait l'importance d'un chef lieu de châtellenie et de résidence seigneuriale. Les foires qui se tenaient dans nos villes et dans nos bourgs , étaient le principal moyen d'écoulement pour les produits indigènes, qui du reste étaient assez peu variés. Dans les foires comtoises connues le plus anciennement, on ne voit figurer que des draps, des boeufs, des chevaux, des porcs, des salaisons, de la toile, des cuirs, du fil, de la poterie, de la poix, de la cire et autres matières de moindre valeur; c’était alors l'enfance du commerce et de l'industrie. Les arts mécaniques, les divers genres de fabrication, la production industrielle, la circulation des marchandises par les voies de terre et d'eau, toutes ces sources de la richesse publique ne se sont ouvertes pour nous que dans les temps modernes, ou plutôt ne sont devenues réellement fécondes que depuis la réunion définitive (le notre pays à la France. Au moyen âge, la partie nord du comté de Bourgogne ne comptait guère que des forges, des salines, des verreries, des fabriques de poterie, des tanneries, des métiers à faire la toile et le droguet (1) ; et les produits de ces divers ateliers ne sortaient pas de la province; car on ne voit nulle part dans nos chartes qu'ils aient été, avant le quinzième siècle, l'objet d'un commerce d'exportation (2)

 

(1) Dans notre province I c'est à Gray (1318) que fut établie la première manufacture de drap ou droguet. (MM. GATIN et BESSON, hist de Gray, p36.)

(2) D. GRAPPIN, essai sur les monnaies; M. Lonchamp', Glanures, au mot Vellefaux.

La veuve de Simon 1er épousa Thiébaud de Neufchâteau, et fit ainsi entrer cette troisième branche dans la maison de Jonvelle. Parmi les chartes nombreuses qui signalent le nouveau seigneur et sa dame, citons celles qui intéressent Villars-Saint-Marcellin, Anchenoncourt et Enfonvelle.

1248. Les temps calamiteux, la guerre, les folles dépenses, la mauvaise gestion des affaires, les malheurs, toutes ces causes de ruine pour les maisons les plus riches elles plus nobles, profitèrent souvent aux maisons religieuses, à cette époque, aussi bien que la piété générale des fidèles. Nous en avons la preuve dans la

charte suivante, donnée sous le sceau de Thiebaud, sirede Jonvelle et de Montjustin : " Nous attestons, dit-il, qu'Olivier, damoiseau de Villars-Saint-Marcellin, présent devant nous, contraint par la nécessité, a vendu au couvent de Clairefontaine, pour 80 livres estevenantes, payées comptant et duement quittancées, tout ce qu'il possédait au village et au territoire d’Anchenoncourt, hommes, terres, prés, bois, dîmes, usages, justices et droits quelconques. Si le domaine vaut davantage, il abandonne à perpétuité cette mieux-value en aumône à Dieu, à l'abbé et au monastère! Le dit seigneur s'est donc dessaisi de toute sa propriété en question, et il en a investi personnellement l'abbé et sa maison (1), en lui assurant qu'elle était jusqu'ici franche et libre de toute vente, donation, hypothèque ou autre engagement, et en lui garantissant par son serment exprès

 

 

(1) De omnibus iis se devestivit, et ipsum abbatem et conventum corporaliter vestivit.

de ne jamais contrevenir, ni par lui-même ni par d'autres, au présent contrat, qui oblige également ses héritiers ; car il est approuvé par Elisabeth, sa femme, par le seigneur Viard, prévôt de Voisey, père de la dame, et par Rossin, fils dudit prévôt (1) >

Gomme on le voit, Olivier de Villars était d'autant plus libre d'aliéner sa terre d'Anchenoncourt, qu'il était sans enfants et n’avait que des héritiers collatéraux. Encore prend-il leur consentement et le fait-il constater authentiquement, précaution que l'abbé de Clairefontaine avait du requérir contre les dangers de l'avenir. Il paraît que plus tard Olivier se tira de peine et remonta ses affaires; car, devenu chevalier, nous le voyons, à l’exemple de ses pères, doter de ses largesses le prieuré de Villars, tenu par les religieux de l'abbaye de Saint Vincent. lis possédèrent là dés lors la moitié du four seigneurial et quarante-cinq émines de blé, mesure de Bourbonne, à prendre chaque année sur les moutures ou coupes du moulin (2)

En 1250, c'est Elisabeth de Jonvelle qui intervient elle-même, dans une espèce de plaid tenu en faveur de l'abbaye de Saint-Bénigne et du prieuré d'Enfonvelle, qui en dépendait (3). La dame est assistée de Richard, prieur de Jonvelle, et de Hugon, prieur de Bourbonne. Un habitant d'Enfonvelle, du nom de Perrenet, s'était rendu coupable de méfaits envers la communauté et refusait de reconnaître ses torts. Inutilement cité à

 

 

(1) Archives de la Haute-Saône, H, 353.

(2) Archives du Doubs, cartul. de Saint-Vincent charte de 1289.

(3) Voir ]a notice sur Saint-Marcel.

 

comparoir devant l'abbé ou devant le prieur, il fut arrêté et condamné, devant les parties plaignantes, à la réparation de tout le dommage commis. Sa femme jeannette, Pari sot son fils, Herbelet et Baudouin ses frères, Félice femme d'Herbelet, et Besancenet leur fils, tous constitués solidaires dans la cause, furent tenus d'engager, par serment sur les saints Evangiles, tous leurs biens meubles et immeubles entre les mains de l'abbé, pour garantir que le coupable réparerait son dommage passé et qu'il n'en commettrait plus à l'avenir. De plus, ils s'obligèrent par les mêmes serments à faire sceller cet arrêt par le seigneur de Jonvelle (1) Deux ans plus tard, nouvelle intervention en faveur des mêmes religieux. Cette fois Thiébaud de Jonvelle paraît lui-même. Bérault de Gilley, chevalier, prétendait à la possession héréditaire de la terre de la Mothe (2), au préjudice du monastère de Saint-Bénigne et du prieuré d'Enfonvelle. Il reconnaît enfin l'injustice de ses prétentions, et pour couper court à toute difficulté dans l'avenir, et non moins pour le salut de son âme et de ses parents défunts, du consentement de sa femme Adeline et de ses enfants, Odon, Pierre et Adeline, il abandonne à Dieu et aux églises de Saint-Bénigne et d'Enfonvelle tous les droits qu'il pourrait avoir sur le domaine en litige. L'acte est affirmé par lui et par les siens, en face des saints autels, dans l'église de Châtillon-sur-Saône, puis scellé par Thiébaud de

(1) Aux Preuves.

(2)Petite montagne escarpée de tous cotés, située sur la route de Bourbonne à Neutchâteau. La place forte qui la couronnait fut raséeen 1645.(voir troisième époque, chap. V.)

Jonvelle, seigneur de Chatillon, et par Etienne , curé du même lieu (1)

Thiébaud de Neutchâteau-Jonvelle mourut sans enfants, et sa veuve garda la seigneurie. Quant au jeune Simon Il de Saissefontaine, qu'Elisabeth avait eu de son premier époux, il n'est jamais mentionné dans les chartes de son beau-père : le second mariage de sa mère l'ayant éloigné de Jonvelle, il s'était retiré en Bassigny, dans les terres de son patrimoine, où il épousa Agnès de Chesnel. La mort de Thiébaud fut le signal des réclamations les plus vives et des plus orageux démêlés entre le fils et la mère. Le comte Othon, la comtesse Alix, Thierry de Montbéliard, Amé de Montfaucon son frère, et l'abbé de Saint-Vincent de Besançon, réussirent enfin à les arranger (1263)

Rendue à la paix, Elisabeth voulut aussitôt reconnaître les bons offices de l'abbé de Saint-Vincent par ses libéralités envers le prieuré de Villars-Saint-Marcellin. La charte qui les a consacrées est remarquable par la sollicitude éminemment pieuse que l'amour filial et les sentiments de la foi suggérèrent à la donatrice. < Uniquement guidée par la crainte de Dieu, dit-elle, entièrement saine et libre d'esprit et de corps, je cède en aumône au prieuré de Villars tous les droits que j'y percevais annuellement, avec tous mes revenus de ce village, en argent, blé, ténements, corvées ou autres; et cela pour le salut de mon âme, pour celui de mes ancêtres et surtout de ma mère Nicholette, d'heureuse mémoire, qui a longtemps exercé les mêmes droits et levé les mêmes

 

(1) Aux Preuves.

cens à Villars. Que Si> ce qu'à Dieu ne plaise! son <âme est encore liée dans les châtiments de l'autre vie, pour avoir ici-bas froissé la justice envers le prieuré, sciemment ou involontairement, soit par elle-même, soit par tout autre en son nom, l'abbé, le prieur et leur communauté lui font remise aujourd'hui de tous ses torts, autant qu'il est en eux; et. ils vont supplier le Seigneur de hâter son entière délivrance. Les donataires jouiront absolument comme ma mère et moi nous avons joui, excepté qu'ils ne pourront jamais rien aliéner de la présente donation, que de mon consentement ou de celui de mes héritiers (1264) (1) "

Une charte de 1268, la dernière qu'Elisaheth nous ait laissée, nous apprend la mort de son fils. La mère du défunt, oubliant le passé et n'écoutant que la voix de la nature et de la religion, s'empressa de fonder à Clairefontaine des services funèbres pour lui et ses ancêtres, par une rente sur son four de Corre. Simon de Saissefontaine laissait deux fils, Guy et Simon, et deux filles, Elisabeth et Aux. Les quatre orphelins, à qui la succession de leur aïeule devait naturellement revenir, furent appelés par elle à ratifier cette donation, en présence d’Agnès, leur mère, de Pierre de la Fauche, leur oncle, et de Bertrand, curé d'Ormoy et doyen de Faverney (2). Elisabeth de Jonvelle mourut peu d'années après. Mariée à deux seigneurs des plus distingués, l'un de Champagne et l'autre de Lorraine, elle avait fourni une carrière pleine d'années et d'illustration. L'empressement

 

(1) Preuves, années 1263 et 1264

(2) Archives de la Haute-Saône, H, 360.

affectueux des princes de Bourgogne et des plus grands barons à lui rendre service, est une preuve de la haute considération que lui avaient acquise ses qualités et ses vertus, jointes à la noblesse de son nom et de ses alliances.

Trop jeunes encore à la mort de leur père, les quatre enfants de Simon Il de Saissefontaine, héritiers de la belle châtellenie de Jonvelle, furent placés sous la tutelle de leurs oncles, Jacques, seigneur de Baon et de la Fauche, et Jean, seigneur de Chesnel. En 4282 Guy III, l'aîné, et Jacques de Baon, accompagnèrent le comte de Bourgogne, Othon IV, conduisant ses vassaux en Italie, au secours de Charles d'Anjou, après le massacre des Vêpres siciliennes. Ils se joignirent aux barons français, en Languedoc. Mais, arrivés à Carcassonne, ils apprirent que Charles d'Anjou avait consenti à se mesurer en champ clos avec Pierre d'Aragon, son compétiteur, et ils revinrent sur leurs pas. Rentré dans ses foyers, le jeune sire de Jonvelle recueillit l'héritage que lui laissait Simon, son frère, mort sans enfants, et fonda pour lui et les siens des prières à Clairefontaine, en assurant au monastère une rente annuelle de soixante sols estevenants, à prendre sur les tailles de Jonvelle (1284). L'année suivante, il fit alliance avec une des plus illustres maisons du pays, en se mariant à Marguerite, fille de défunt Philippe de Chauvirey, qui lui apporta en dot une partie de cette riche seigneurie, dont la terre de Soilly (Soilliacus), en Champagne, faisait partie (1)

 

(1) voir la Notice sur chauvirey.

Aussi se nomme-t-il dans ses chartes " Guy de Jonvelle, sire de Chauvirey et de Soilly (1) " Quant à ses soeurs Alix et Elisabeth, elles ne se marièrent pas moins noblement que lui; car elles épousèrent, l'une hugues de Vienne, sire de Pagny (2), et l'autre Jean de la Fauche, son cousin.

L'année même de son mariage, Guy III eut ['honneur d'intervenir comme arbitre, avec Jacques de Baon, son oncle, et Hugues de Vellefaux, sire de la Rochelle, pour concilier Foulques de Rigny avec Jean de Chalon et son neveu le comte Othon IV, qui lui réclamaient huit livres estevenantes (3), Mais le vieux sire de Rigny ne fut guère reconnaissant de ce bon office ; car, peu de temps après, ayant marié son petit-fils Hugues à l'héritière de Richecourt (4), qui faisait alors partie de la châtellenie de Jonvelle, il fronda l'autorité du suzerain en bâtissant, contre sa défense, un château fort dans ce lieu. Guy porta plainte au comte, et il en obtint l'ordonnance suivante "  La coutume générale de notre comté de Bourgogne est que nul ne peut élever de forteresse dans la

 

 

 

 

(1)Une de ces chartes (1289) conservée aux archives du floubs, porte encore appendu le sceau de Guy, en cire jaunatre, pointu par le bas et tronqué en haut, comme les écus de ce temps-là. Il porte un lion rampant, sur fond plain, comme les armes de Bourgogne, avec cette légende: Seel de ségnor de Jonville. Le revers est un contre-sceau semblable à la face, mais plus petit. Presque tous tes sceaux de cette époque présentent ce petit contre.sceau du revers. (v. hist. des sires de Salins, 122 222 et 334.) voir aux Preuves cette charte de 1289.

(2) Il était fils de Philippe, comte de vienne, et d'Âgnés, une des sept enfants du comte Hlugues et de la comtesse Alix. Il épousa en secondes noces Marguerite de Ruffey (Jura). Les généalogistes n'ont pas connu son premier mariage.

(3) Cartul. de Bourgogne, fol. 405.

(4) voir aux Preuves la notice sur Richecourt.

 

châtellenie d'un autre, sans sa permission. Si le fait arrive, le seigneur offensé dans ses droits peut de son chef abattre la forteresse; s'il ne le fait pas et qu'il en reçoive du dommage, tant pis pour le cher sire. Guy de Jonvelle, faites donc votre devoir contre le coupable, sinon vous en répondrez vous - même devant moi (1290) (1), " Mais l'autorité du comte fut méconnue comme celle du suzerain immédiat, trop faible pour entreprendre contre son puissant adversaire, et le château de Richecourt demeura debout. Plus tard même, cette terre devint une seigneurie indépendante de Jonvelle. Foulques de Rigny avait pris l'exemple de l'insubordination sur la famille même du souverain. La comtesse Alix n'était plus; malgré son testament, qui avait réglé les partages avec tant de sagesse et de précision, ses fils se livrèrent à des luttes fratricides, qui mirent la province en état permanent de ravage et de désolation (~). Cependant quelques traités intervinrent (1292-1293), dans lesquels Jean de Bourgogne se fit céder par le comte Othon, son frère, la suzeraineté des fiefs de Jonvelle,

 

 

 

(1) voir aux Preuves.

(2) Ecoutons à ce sujet les doléances de l'archevêque Odon de Rougemont, intervenant comme pacificateur (1293) : Li pahis se destruoit et perdoit et chaçoit à mal , et li homes et li églises maismes, que sont faites en révérence de Deu et en son nom, et pour lui honorer et servir, en espirituel bien et en temporel souffroient grant lésion et domaige ; pourquoy plusiours fois convenoit que ses tres-sanctissimes et très-glorieux et très-dignes services en fut destorbés et lassiés, etc... (Cartul. de Bourgogne, fol. 451.) Entre autres excès ' cette année avait vu les sévices de Hugues de Bourgogne contre l'abbaye de Luxeuil, dont l'église fut brûlée avec une partie du monastère. (M. ED. CLERC, Essai sur l’hist. de Franche-Comté, I, 487; Hist. des sires de Salins, page. 98 et 99, notes.)

 

Jussey, Passavant, Chauvirey, Bourbonne, Amance (1), Baulay, Contrêglise et Scey-sur-Saône. Les autres fiefs de la contrée restèrent sous la souveraineté immédiate du comte palatin (2). Mais bientôt survint le traité de Vincennes (2 mars 4295), par lequel Othon livrait à Philippe le Bel son comté, ses fiefs, ses hommages, tous ses droits, avec ses deux filles et sa femme pour sûreté du contrat. Après cette honteuse transaction, le comte ne reparut plus dans sa patrie Si lâchement trahie notre province ne reçut que sa dépouille mortelle, pour laquelle il avait demandé un tombeau dans l'église de Cherlieu (3), Jeanne, sa fille aînée, devint l'épouse de Philippe le Long, et notre province fut successivement annexée au royaume de France et au duché de Bourgogne, jusqu'en 1493.Guy III de Jonvelle mourut sur ces entrefaites (1296), laissant deux filles, Catherine et Marguerite , et deux fils, Guy et Simon ; ceux-ci moururent jeunes et sans postérité.

 

 

(1) Le bourg d'Amance était autrefois chef-lieu d'une terre considérable, qui comprenait Colombier, Montigny-les-lionnes, Montaigu, Bougnon et Faverney. En 1276, il fut l'objet d'un acte de société passé entre le monastère de Faverney et la comtesse Alix, en vertu duquel fut bâti le château fort d’Amance, destiné à protéger l'abbaye. (Annuaire de la Haute. Saône; M. LONCHAMP, Glanures, au mot Quincey.>

(2) Cartul. de Bourgogne, fol. 442, 454, 460 et 471.

(3) Mémoire sur Cherlicu, pag. 54 et suivantes.

 

 

 

CHAPITRE IV.

QUATRIÈME MAISON DE JONVELLE; BRANCHE DE CHAUVIREY.

 

CATHERINE, JEAN et PHILIPPE. - Charte de l'abbaye de Saint-Vincent. -Affranchissement de Jonvelle et de sa seigneurie. - Guerres du quatorzième siècle; ravages des Grandes Compagnies. - Jean de Bourgogne. - La comtesse Marguerite. - GUILLEMETTE DE CHARNY, dame de Jonvelle. - Le fief est confisqué. - Violences exercées par Thomas de la Rochelle. - La terre de Jonvelle donnée à Guy DE LA TREMOUILLE.

 

 

(1300 - 1378.)

 

 

 

Par la mort de ses deux frères, Catherine, l'aînée des filles de Guy III, se vit titulaire de la seigneurie de Jonvelle. Elle la porta par mariage à Jean de Chauvirey, dont elle eut un fils, nommé Philippe. Devenue veuve, elle épousa le fameux Jean de Vienne, son cousin, le même qui, en 4346 et 1347, gouverna et défendit en héros la place de Calais, assiégée par Edouard, roi d'Angleterre. Epuisé par la maladie et la faim, hors d'état de marcher, il parcourait la ville sur une petite haquenée, soutenant seul tous les Courages. Après quatorze mois de résistance, il fallut enfin céder devant l'abandon, la force, la famine et le désespoir, et la capitulation fut demandée. Grâce au dévouement d'Eustache de Saint-Pierre, le sang ne coula point à l'entrée d'Edouard dans Calais; mais le gouverneur fut conduit prisonnier à Londres, également admiré de l’Angleterre et de la France. Puis, rendu à la liberté> il continua de servir son pays, au nom du duc de Bourgogne, et mourut à Paris le 4 août 1351 (1).

De son second mariage, Catherine de Jonvelle n’eut qu'une fille, du nom de Jeanne, qui épousa Guillaume de Granson-Sainte-Croix.

Philippe, fils et héritier de Jean de Jonvelle, avait épousé Guillemette de Charny. Après la mort du père, les religieux de Saint-Vincent de Besançon sentirent le besoin de faire assurer par le successeur la jouissance tranquille de tout ce qu'ils possédaient dans la seigneurie de Jonvelle. La charte fut rédigée par l’officialité de la cour archiépiscopale et revêtue des formes les plus solennelles de ce temps (1~ décembre 13~9) (~). Philippe promit que le monastère ne serait point troublé dans ses droits, ni par lui-même ni par les siens. Pour sûreté de ses serments, prêtés pour lui et ses hoirs, il se soumet avec eux à la peine de l'excommunication, et il engage tous ses biens, meubles et immeubles, présents et à venir, à l'abbé Guillaume de Quingey et à ses successeurs, avec droit de les vendre et de les aliéner. Un acte de confirmation Si extraordinaire, qui fondait la paisible possession des religieux sur des engagements aussi étranges,

 

 

(1)Essai, Il 84. Un autre Jean de Vienne , sire de Roulans que plusieurs historiens comtois, continuant l'erreur de Feller, ont confondu avec le héros de Calais, ne se rendit pas moins célêbre au service de la France et du duché contre leurs ennemis. Il périt à la désastreuse journée de Nicopolis ,1396).

(2)V. aux Preuves.

ne peut s'expliquer que par les envahissements et les brigandages exercés sur les domaines de l'abbaye, pendant les guerres presque continuelles des années précédentes. Ces injustices furent sans doute réparées par Philippe, ou avant lui par ses parents, et ce généreux abandon, qui le mettait comme à la merci de l'abbé, n'aurait été qu'une garantie contre les torts à venir. Au reste, ces concessions lui furent payées soixante livres comptant, de bonne monnaie, à deux deniers l'engrogne du roi.

A part cet acte, les documents historiques sont muets sur Philippe de Jonvelle, jusqu’en 1354. Mais cette date est importante dans notre histoire; car c'est celle de la charte des franchises accordées par le seigneur aux sujets de sa terre, en particulier à la ville de Jonvelle. Pour en bien comprendre le sens et la portée, il est nécessaire d'entrer préalablement dans quelques appréciations sur la véritable situation civile des classes inférieures, pendant le règne de la féodalité (t)

Il est faux, comme l'ont prétendu quelques historiens et même des jurisconsultes, que les vainqueurs aient réduit en servitude tous les naturels du pays, et que la conquête des Gaules ait eu pour résultat de partager la France en deux classes, celle des Francs, seigneurs et gentilshommes, et celle des gallo-romains, leurs esclaves; en un mot, que le règne féodal ait été la suite immédiate de l'invasion. A la vérité, les rois mérovingiens, que la conquête avait rendus maîtres des domaines considérables autrefois possédés par le fisc romain, furent

 

 

 

(1) voir sur cette question CURASSON, Discours de réception à l’Académie de Besançon (1840), et Discours prononcé à la séance du 18 janvier 1841.

 

obligés d'en abandonner une partie à leurs officiers, à titre de récompense, ainsi que les empereurs romains l'avaient pratiqué. Mais ces bénéfices demeurèrent longtemps amovibles, aussi bien que les charges; et il faut descendre jusqu'au règne de Charles le Chauve, pour voir commencer l’hérédité de l'un et de l'autre, arrachée à la faiblesse et à l'incapacité de ce monarque, par la nécessité de ménager et de satisfaire l'ambition et la cupidité d'hommes puissants dont il avait tout à espérer et tout à craindre.

Au reste, les domaines concédés étaient alors dans l'état le plus déplorable. Pour la plus grande partie, ils étaient restés sans culture, faute de bras; tant les guerres, les invasions et surtout l'oppression avaient dépeuplé le pays. Ils présentaient l'aspect de vastes déserts, de forêts impénétrables, de lacs et de marais, le tout percé çà et là de quelques voies militaires, que protégeaient des camps ou retranchements de défense. Pour tirer parti de ces vastes terrains' les concessionnaires eurent donc à opérer le défrichement, et par conséquent il fallut y attirer des colons , leur accorder des usages communs et leur céder le domaine utile des terres, moyennant de légères prestations en reconnaissance du domaine direct. De là, il n'en faut pas douter, sont sorties la plupart de nos communes actuelles. Mais il en a été de la féodalité comme des autres institutions humaines : toutes finissent par dégénérer. Sous les descendants de Charlemagne, la faiblesse et l'inertie minèrent successivement un édifice que le génie de ce grand prince semblait avoir rendu inébranlable. L'ambition des vassaux de la couronne prenant chaque jour plus d'accroissement, bientôt leur pouvoir est sans bornes et le faible sans appui contre leur oppression. La féodalité n'a plus de frein : c'est une anarchie qui corrompt et bouleverse tout. Chacun s'arroge le droit de guerre ; le seigneur s'arme contre le seigneur, les villes contre les villes, une abbaye contre une abbaye; l'esprit d'indépendance est général; la royauté elle-même n'est plus qu'un vain titre, une magistrature impuissante. C'est dans cette période des dixième et onzième siècles, appelés justement siècles de fer et de barbarie, que fut pratiquée l'oppression des classes ouvrières et indigentes et même des menus propriétaires, par la caste des seigneurs féodaux. Ils firent de leurs vilains de véritables esclaves (t), attachés à la glèbe, ne s'appartenant pas plus que ceux des Grecs et des Romains, et sur lesquels ils avaient fait prévaloir, comme un droit coutumier, tous les genres de vexations, d'arbitraire et de despotisme. Qu'on en juge par les lettres d'affranchissement données aux treizième, quatorzième et quinzième siècles: malgré les droits étranges qu'elles conservaient aux seigneurs, elles furent cependant bénies par les Sujets, comme un bienfait signalé et comme une heureuse émancipation. Sous quelle oppression gémissaient-ils donc auparavant? Mais cet esprit cupide et tyrannique avait reçu sa principale influence des maximes

 

 

 

(1) On distinguait deux sortes de serfs: 1° l'homme de mainmorte ou mainmortable. qui était attaché 'i la glébe, c'est-à-dire serf de corps et de biens ; l'homme de poosté, homo potestatis. dont la servitude se réduisait à payer certains droits ou à faire certaines corvées. (velly, Hist. de France, III, sous l'an 1187; PERRECIOT, Etat civil, i, 391.)

 

despotiques du droit romain, qui gouverna la Gaule nouvelle pendant plusieurs siècles.

Heureusement la religion, qui avait procuré l'abolition de l'esclavage ancien, en apprenant aux hommes qu'ils sont tous frères, put adoucir plus d'une fois les rigueurs de l'esclavage féodal. Toutefois les sentiments de mansuétude et d'humanité qu'elle inspire n'eussent pas suffi, de longtemps, à procurer aux peuples l'établissement des communes avec un peu de liberté, Si les nobles n'avaient pas fini par comprendre que les affranchissements, condition nécessaire d'accroissement et de prospérité pour les populations, devenaient par là un profit assuré pour le seigneur comme pour le sujet (presque toutes les chartes d'affranchissement préposent ce remarquable considérant), et s'ils n'avaient eu besoin d'acheter ainsi la puissante assistance des milices bourgeoises pour leurs guerres incessantes. Les rois de France, comme Louis le Gros et ses successeurs, qui sentirent ce besoin avant tous les autres, donnèrent aux premiers vassaux l'exemple des concessions; et par cette générosité intéressée, les grandes villes d'abord eurent leurs communes et leurs franchises. Dans le comté de Bourgogne, l'impulsion de cette politique heureuse et pleine d'humanité fut donnée par les illustres familles de Chalon et de Vienne. Ce fut à l'exemple de ces hauts et puissants barons, ses alliés pour la plupart, que Philippe de Jonvelle voulut aussi gratifier sa ville d'une charte de franchises, qui du reste ne fut que la confirmation et l'extension de libertés municipales déjà préexistantes et anciennes. En son nom et en celui de ses héritiers, il déclare affranchirde toutes tailles, débits et servitudes quelconques, la ville, le finage et les habitants de Jonvelle, pour le temps présent et à venir. Cet affranchissement est expliqué et modifié comme il suit : Tout propriétaire ou marchand, ayant feu et ménage, doit annuellement au seigneur dix sous estevenants, payables par moitié dans les semaines de Pâques et de la saint Rein, sous peine de douze deniers d'amende pour chaque jour de délai. Les journaliers et les veuves ne sont imposés que pour la moitié de cette taxe. Si le seigneur est armé chevalier, les habitants lui doivent cent vingt livres de joyeuse congratulations ; autant, s'il marie sa fille ou sa soeur, mais seulement pour un premier mariage ; autant, s'il achète en une fois quatre cents livrées de terre. En cas de guerre particulière au dehors, ils doivent un char à trois chevaux ronssins (chevaux de trait), et deux chars si le seigneur est obligé de se mettre en campagne pour le service du souverain, le comte de Bourgogne. Il préviendra huit jours à l'avance; les chevaux seront à ses dépens jusqu'au retour. Comme du passé, il demeure juge de toutes les causes, tant civiles que criminelles, Les faits de meurtre ou de vol seront punis à discrétion. D'autres délits, comme bris de clôture, tapage nocturne, rupture de ban, violation de scellés, détournement frauduleux de biens saisis, vols commis sur les foires et marchés, vente à faux poids ou fausse mesure, désobéissance au seigneur, au bailli, au châtelain, au prévôt ou sergent, seront dûment constates et punis de soixante sous d'amende, au profit du seigneur (1). Il conserve en tout le droit de justice haute, basse et moyenne, c’est-à-dire de totale justice (2). Les habitants ne pourront dépendre d’aucun seigneur forain, S'ils quittent la seigneurie au préjudice du maître, tous leurs biens seront confisqués à son profit, excepté le seul cas du service pour le comte. Ils ne pourront former bourgeoisie, ou garde urbaine, que selon le bon plaisir du seigneur. Celui-ci conserve tous les droits anciens de cens, éminage, banvin et autres ventes (3).

 

(1) La loi Gombette et la législation franque réservaient les amendes à la partie lésée. Insensiblement elles furent transférées au souverain, et cette transformation, loin d'avoir la portée que lui donne la théorie moderne, n'eut sans doute point d'autre but, selon la pensée de ses auteurs, que de substituer, dans la condamnation, le caractère de pénalité proprement dite à celui de vengeance et de réparation privée. (Albert DU BOYS, Hist. du droit criminel des peuples modernes II, 259.) (2) Presque tout fief, laïque ou ecclésiastique, avait le droit de justice, par cette raison qu'il avait terres. Ce droit était plus ou moins étendu. La Haute justice était celle qui pouvait condamner à la peine capitale et connaître de toutes les causes, civiles ou criminelles, excepté des cas royaux. Le signe caractéristique de ce droit était la potence, à deux, trois ou quatre piliers, dressée dans l'endroit le plus patent du chef-lieu seigneurial, qui avait un tribunal pour informer et prononcer, des archers pour lui prêter main-forte, et un bourreau pour exécuter. La moyenne justice connaissait des actes de tutelle et des injures dont l'amende ne pouvait excéder soixante sous. la basse justice s'occupait des droits dus au seigneur, des dégâts et injures, dont l'amende n'excédait pas sept sous six deniers. On l'appelait encore justice féodale ou foncière. Le juge était le prévôt ou sénéchal. Au temps de Charlemagne, il n'y avait que des juges royaux. (Ce n'est que dans la décadences des Carlovingiens, et grâce à leur faiblesse, que les grands seigneurs s'emparèrent de l'autorité judiciaire, pour l'exercer sur leurs vassaux et leurs sujets, en sorte que les justices seigneuriales ont eu à peu près la même origine que les fiefs, c'est-à-dire que, légalement constituées dans le principe, elles sont ensuite tombées dans l'ernpiétement, l'usurpation et l'abus. Voir sur ce point Dict. de Trévoux, au mot Justice. (S) Banvin, droit exclusif de vendre du vin pendant un temps déterminé. le vin devait ètre vendu à la maison seigneuriale, et non exporté. Eminage, redevance sur chaque émine de grains vendue

Les habitants ne se serviront que de ses moulins, fours et pressoirs, sous peine de cinq sous d'amende, sans compter la redevance ordinaire. Celui qui serait allé ailleurs par la faute des fermiers, serait excusable, mais seulement sur la foi de son serment et d'un témoin. Hspaieront une écuelle par penal, et cette écuelle, tenant le vingt-quatrième du penal, sera attachée à la trémie; ils paieront également au four un vingt-quatrième de pâte, sans compter les peines du portaige et rapportaige à payer au fournier.

Ils sont chargés d'entretenir les murs, clôtures et fossés de la ville, et d'y faire le guet et garde. Le bois des cloisons sera pris dans les forêts seigneuriales, sans qu'on puisse en couper pour un autre besoin.

En cas de guerre, dix ou douze prudhommes de la ville garderont le château.

Les habitants doivent au seigneur le service militaire à pied et à cheval.

Si quelques-uns d'entre eux se sont engagés pour un duel (en présentant ou en acceptant le gage de bataille, comme de jeter ou de relever le gantelet) , ils pourront se dégager avant la prise d'armes et faire accord, moyennant soixante sous d'amende. Elle sera de cent sous, si les champions sont entrés en lice, et de dix livres après la première passe d'armes, appelée le coup du roi, avec frais et dépens au profit du seigneur et de son conseil. Si le combat se poursuit jusqu'à la fin, on statuera sur le vaincu d'après le droit coutumier.

Chaque feu ou ménage doit la corvée de faucille aux moissons de blé et d'avoine, celle de fourche et de ra'teau pour les foins. Si elles ne sont pas fournies, elles seront payées chaGune six deniers estevenants. Sont exemptés de la corvée: 1° ceux qui la doivent au prieuré, 2° ceux qui équipent des chevaux pour la milice, ou qui les montent; 3° ceux qui devront fournir charrois et charrues; 4° les arbalétriers.

Chaque feu doit également un vendangeur, pour la récolte des vignes de Jonvelle.

Toute charrue fera trois corvées annuelles pour le bouverot du seigneur, la première au tramois, la seconde au sombre et la troisième au vain (1),

Tout habitant ayant un chariot doit trois charrois au bouverot seigneurial, un pour les foins, l'autre pour le blé et le troisième pour l'avoine. A Noèl chaque harnais de cheval devra amener, pour le loin gnier (bûcher) du seigneur, une voiture de ses forêts de Jonvelle.

Les habitants ne seront jamais contraints à d'autres corvées, et le seigneur ou ses gens ne prendront jamais leurs harnais pour d'autres besoins. Il ne leur sera jamais pris gelines, poulailles, blé, vin, chair grasse ou maigre, morte ou vive, ni autres denrées ; tout sera acheté de leur gré et convenablement payé (2),

Ils nommeront tous les ans, à la Saint-Jean, quatre ou six prudhommes ou échevins, qui, après leur

 

 

(1) Bauverot ou bouveret, domaine exploité par le seigneur. Tramois, semailles au printemps; sombre, premier Iabour, en juin ; pour les semailles d'automne ou le vaîn.

(2) Cet article ne rapelle que trop la dure condition des pauvres vilains, non-seulement tail1ables et corvéabLes à merci, mais encore exposés à se voir impunément dévaliser par des maîtres iniques.

 

élection, feront serment en la main du seigneur d'exécuter fidèlement ses ordonnances. Ils veilleront sur les biens communaux et les amodieront selon l'usage du pays. Ils auront droit d'imposer les habitants pour l'entretien des fortifications de la ville. Ce sera toujours à leur requête seule que le seigneur fixera les bans des foins, des moissons et des vendanges; après quoi chacun récoltera selon son bon plaisir.

Le seigneur ne contraindra jamais les habitants à porter des lettres, à moins que dans un cas de guerre, et en payant deux deniers estevenants par lieue, soit pour aller, soit pour revenir.

A la foire ou au marché, l'acheteur aura vingt-quatre heures de crédit; passé ce terme, il devra payer ou laisser un billet avec gage; faute de quoi le vendeur pourra porter plainte devant la justice seigneuriale, qui condamnera le débiteur à soixante sous d'amende.

Nulle saisie pour gage de dette (1) ne pourra être opérée hors de Jonvelle et de son territoire, sans autorisation du seigneur ou du comte. Si le défendeur reconnaît ses obligations, il recevra ordre de les remplir dans la quinzaine, et il laissera pour cela au demandeur un titre exécutoire, le tout sans encourir d'amende. Mais la quinzaine passée, il sera saisi et exécuté, avec trois sous d'amende.

Les habitants ne pourront se citer entre eux que dans le ressort de la cour seigneuriale, excepté pour les causes ressortissant de l'officialité ecclésiastique.

 

 

(1)Item ne pourront liditz haâns gaigier l'un l'autre, etc. Goigier la terre, c'était y prendre gens et bétail, jusqu'à satisfaction obtenue.

 

Les successions de meubles ou d'immeubles passeront aux parents, jusqu'au cinquième degré, nés à Jonvelle, ou du moins y domiciliés (1).

Le seigneur ne peut arrêter personne, ou saisir ses biens, que dans le cas de meurtre, de vol, de rixe violente et d'autre cas criminel, ou pour (lettes envers lui et ses officiers. Encore, dans tous ces cas, il sera d'abord procédé par voie d'enquête.

Toute personne venue à Jonvelle d'une autre seigneurie y jouira de la condition commune. Mais elle ne pourra plus quitter la seigneurie sans congé et sans laisser au seigneur le cinquième de ses biens. Si l'on partait sans autorisation, tout ce qu'on laisserait serait confisqué au profit du seigneur.

Tous habitants ayant chariot ou charrue peuvent prendre, entre la Saint-Jean et l'Assomption, pour l'entretien de leurs harnais, deux voitures de bois, hêtre ou chêne, dans la forêt seigneuriale d'Ormoy. En mars, ou

 

 

(1) Cet article est l'abolition de la mainmorte ,ans restriction. On appelait gens de mainmorte ou m aimmortales, les serfs dont les biens, soit en totalité, soit seulement immeubles, soit seulement meubles, appartenaient au seigneur, quand ils décédaient sons hoirs issus de leurs corps et procrée" en légitime mariage. Ils ne pouvaient tester sans autorisation que jusqu'à cinq sous. Ainsi mainmorte signifiait puissance morte, incapable de transmettre, ni par testament, ni par décès. On donne encore cette singulière explication du terme de mainmorte. Autrefois, après 15 mort d'un chef de famille de condition serve, le seigneur envoyait prendre le plus beau meuble de la maison; ou s'il n'y en avait point à sa convenance, on coupait la main droite du défunt, pour la lui offrir, et lui signifier ainsi qu'il ne le servirait plus. (Dict. de Trevoux.)

On voit que Philippe de Jonvelle affranchit ses maimortables sans ancolie réserve. Cependant plusieurs chartes nous montrent que les successions des bâtards, décédés sans enfants légitimes, étaient généralement exceptées de cette franchise. En 13t9, les barons se firent confirmer dans ce droit par ta reine et comtesse Jeanne. (Essai, Il, 9~, note 2. Documents inédits de l'Académie de Besançon, Il, 539.)

en autre saison, s'il y a nécessité, ils peuvent couper, dans les bois seigneuriaux de Jonvelle, tout le bois nécessaire pour haies, palissades, bennes ou rortes. En temps de moisson, chacun peut couper où il voudra, dans les bois du seigneur, les liens nécessaires; le chêne seul est interdit.

A la demande des habitants, le seigneur ordonne que toute femme mariée à Jonvelle obtienne en propriété, au décès de son mari, pour elle et ses héritiers, la moitié des meubles et des immeubles entrés en communauté depuis le mariage. Ce règlement aura force de loi, nonobstant tout usage contraire,

On paiera trois sous d'amende pour une bête trouvée de jour en dommage, et soixante Si elle est trouvée de nuit. De plus, le dommage sera payé. L'amende ne sera que de quatre deniers Si l'animal était égaré.

Les mêmes peines seront encourues par les maraudeurs.

Pour les délits d'arbres coupés de jour, l'amende sera de soixante sous. Quant aux délits nocturnes, l'amende sera réglée selon la gravité du fait.

Pour leurs propriétés sises hors de Jonvelle, quoique dans la seigneurie, les habitants jouiront des mêmes franchises que pour celles qu'ils ont à Jonvelle. Mais aussi les premières paieront, comme celles-ci, les tailles et impôts de la communauté. Ce dernier article étendait à toute la seigneurie le bénéfice de l'affranchissement.

Tels sont les règlements, concessions et abonnement que Philippe octroie à la ville de Jonvelle et à toute sa châtellenie, en jurant, la main sur les saints Evangiles, pour lui et ses successeurs, que cette charte sera respectée, nonobstant tous droits, coutumes et privilèges contraires (27 avril 1354) (1), Elle fut confirmée la même année par le roi de France, Jean le Bon (2), et trois ans après par Philippe de Rouvres, duc et comte de Bourgogne (3) Ces libertés arrachaient les habitants de la terre à la malheureuse condition des mainmortables, serfs de corps et de biens, attachés à la glèbe et taillables à 'volonté; et malgré la servitude de poosté (potestatifs), que cette concession substituait à la première, Philippe, en l'accordant, se montrait humain et acquérait tout droit à la reconnaissance de ses sujets. Ces franchises furent respectées à chaque changement de souverain, en vertu de la coutume de Bourgogne (4). De son côté, chaque nouveau seigneur, dans ses propres intérêts, fit renouveler par ses tenanciers et sujets l'aveu de ses droits sur eux et de leurs devoirs à son égard. Du moins nous avons les titres de renouvellements semblables, faits dans les années 1537, 1611, 1665 et 1684. Les droits féodaux, ainsi limités par les chartes seigneuriales et consacrés par les aveux souvent répétés des sujets, subsistèrent presque tous jusqu’à la fin du siècle dernier. Mais c'est à tort que l'on attribue aux états généraux de 1789 l'honneur d'avoir aboli ce qui en restait encore:

cette reconnaissance doit remonter à la générosité du bon Louis XVI, qui décréta cette abolition, motu proprio, en 1779, dans tous les domaines de la couronne,

(1) Voir aux Preuves.

(2) Trésor des chartes.

(3) Chambre des comptes, J, 99. Philippe de Rouvres était fils lu duc Eudes IV et de Jeanne de Boulogne. Celle-ci épousa en secondes noces Jean le Bon, roi de France, et l'investit de la régence du duché et du Comté.

(4) V. Droz, Hist. de Bourgogne, IV, p. cccxxx.

 

considérant un tel affranchissement bien moins comme une aliénation que comme un retour au droit naturel.

" Nous verrons avec satisfaction, ajoute-t-il, que notre exemple amène, sous notre règne, l'abolition générale des droits (le mainmorte et de servitude. " Disons donc avec utt célèbre publiciste : < Il est bon que les générations n'oublient pas que la main qui a jeté le germe des bienfaits dont elles jouissent, n'est pas celle de la Révolution, qui a tout brisé, mais celle du législateur de 1789, qui voulait tout améliorer (1) >

 

Nous sommes arrivés, dans notre histoire, au milieu du quatorzième siècle, comparable aux plus mauvais des âges féodaux, pour les désastres qu'il fit peser sur notre malheureuse province. Esquissons-en les événements principaux, parce qu'ils offrent des détails intéressants pour les environs de Jonvelle, et parce qu'ils amenèrent la confiscation de ce beau fief.

Irréconciliables ennemis de la France et des ducs de Bourgogne, que la France leur avait imposés comnie souverains, les principaux barons du comté étaient presque toujours en armes contre eux et contre leurs partisans. Le fameux Jean de Chalon-Arlay Il était à la tête de la ligue contre le duc Endes IV. En 1344, l'armée du prince battit les confédérés dans le bailliage d'Amont, et leur enleva Port-sur-Saône, puis la Bochelle, qui se défendit longtemps co~tre Bobert de Chatillon, gardien du comté, assisté du prévôt de Clerval et de Guillaume Mercier, prévôt de Jussey. Celui-ci, en arrivant sur les

(1) À. GALITZIN, dans l'Ami de La Religion, 31 août 1864.

lieux, avait commencé par le sac de Semmadon, quoique les habitants, sujets de Henri de Bourgogne, se fussent placés sous la protection du souverain, à l'exemple des moines de Cherlieu (1), Jean de la Rochelle était coupable d'avoir forcé dans son château et fait prisonnier Henri de Conflandey, partisan du duc. Cependant, après un an d'occupation, sa terre et sa maison lui furent rendues, à condition qu'il se tiendrait en paisible obéissance, ou, s'il reprenait les armes contre son rival, que le prince recommencerait la saisie par maieur et sergents (2). Bientôt les hostilités recommencèrent, sans autre répression; car, assez tolérant pour les nombreuses guerres privées de s'es vassaux, Eudes 1V ne voyait son repos assuré que quand ils se déchiraient entre eux. Seulement il exigeait qu'on s'entretuâtet qu'on incendiât en bonne forme. Aussi, dans l'information qu'il ordonna sur les démêlés des sires de la Rochelle et de Conflandey, il se contenta de savoir s'il y avait eu entre eux gage de bataille, c'est-à-dire un défi jeté et accepté par le gantelet ou le chaperon (3) Du reste, le pays était aussi maltraité par les troupes du parti de l'autorité que par les rebelles ou par les guerres particulières de seigneur

(1)Chambre des comptes, B, 866 ; D PLANCH~R, preuve !8~.

(2)Archives de la Côte-d'Or.

(3)Premièrement h généraul et notoire coustume en la contey de Bourgoigne, prescrite et approvée entre les gentushomes elles nobles, est que, toutes fois que hung gentuhome et noble court sus hung aultre, et h fait domaige, cil qui hay soffert le dornaige, puet court (Courir) sus I'aulli'e, et Iy tenir en esga~ (assiégé) et faire domaige par Iuy et par ses aydans, sans aultre deffiance. Item, la coustume gardée et approvée au duché et contey est que fait qui se puet prover par tesmoins, ne se doivent prover par gaiges de bataille. (1343, Information du duc sur le pourchaz de Jehan de la Roichelle contre Henri de Conflandey. ArchivI8 de la Côte-d'Or.)

à seigneur. La garnison de Jussey mit à feu et à sang le village de Rignévelle; mais, sur les réclamations du seigneur, Gauthier de Laweline, le dommage fut payé deux cent cinquante florins d'or (1348) (1)

Sous le gouvernement de Jean le Bon, les malheurs de notre pays vinrent des ennemis de la France. Pendant que le vaincu de Poitiers honorait sa captivité de Londres, les Anglais envahirent les deux Bourgognes. Une de leurs compagnies s'avança par Coiffy jusqu'à Jussey, et joignit ses ravages à ceux des Lorrains, commandés par Etienne de Vy (2). L'abbaye de Cherlicu et toute la frontière furent dévastées, sauf les bonnes places, que le bailli d'Amont, Jean de Cusance, avait réparées à la hâte (3). Il y fit entrer, de gré ou de force, tous les retrahants, et l'on y retira tous les vivres de la campagne; puis l'on abattit et brûla tout ce qui n'était pas tenable, ainsi que les maisons, fours et moulins pouvant servir à l'ennemi (4). Outre les retrahants, le château de Jussey reçut quarante hommes de garnison, pendant que son prévôt conduisait au duché les contingents de cavalerie et d'infanterie levés dans la prevôté (1359) (5). La place de Jonvelle, dont le fief n'était pas tenu directement par le souverain, comme Jussey, dut se suffire à elle-même. Philippe la défendit vaillamment, avec le noble concours de ses bourgeois et de ses manants :

(1)Archives du Doubs, papiers de dépense, collection Duvernoy.

(2)Chambre des comptes, J, 118.

(3)7 avril 1358, ordre au prévôt de Jussey de réparer le château et d'y contraindre les ressortissants, même par prise de corps et de biens. (Cartul. de Cherlieu, à la BibI. impériale.) En 1363, défense aux gentilshommes de Jussey de sortir de la ville, sous peine de perdre leur fief. (Ch. des c., J,122

(4)Ch. des c., D, 114

(5)Ancienne ch. des c., J, 118, 119.

elle tint bon contre l'ennemi et demeura un refuge inexpugnable pour les religieux de Clairefontaine, expulsés de leur monastère en ruine. Il paraît aussi que Demangevelle et les châteaux voisins offrirent une résistance non moins solide (1). A la fin de juin (1360), une compagnie aux ordres d'Hugues de Vienne, seigneur de Saint-Georges, vint occuper Jussey; mais elle en fut chassée par les Anglais, qui venaient d'emporter d'assaut la ville de Vesoul, d'en massacrer les habitants et d'en raser les murailles (2).

Cependant après le traité de Bretigny, Edouard retira ses troupes; mais ~e ne fut que pour faire place à un autre fléau plus long et plus désastreux encore. Aux Anglais succédèrent les Grandes Compagnies. C'était une foule de nobles ruinés, de soldats anglais et bretons licenciés par la paix, et d'autres aventuriers, qu'on appela aussi des noms de routiers, Malandrins> Tard-venus, et qui, après avoir couru et pillé la Champagne et la Lorraine, entrèrent dans les Bourgognes et ravagèrent toute la contrée pendant cinq ans. Leurs bandes les plus nombreuses s'abattirent sur le bailliage d'Amont, et avec eux une peste affreuse, appelée murie de la bosse.

La mort du jeune duc Philippe de Rouvres (1361> acheva de livrer ce pays à tous les malheurs. Pendant que Marguerite, sa fille, et Marguerite de Flandres, son aïeule, étaient investies du comté par le roi de France, d'un autre côté, Jean de Bourgogne, sire de Montaigu,

(1) Mémoire sur Clairefontaine, p. 189, 195.

(2) M. ED. CLERC, Es8ai su, l'histoire de Franche-Comté, Il, 117.

d'Amance, de Fontenoy, etc., prit le Litre de comte palatin, auquel il se croyait tous les droits, comme étant le dernier mâle issu de la branche aînée de Jean de Chalon l'Antique. Les portes de Gray lui sont ouvertes sans résistance, aux acclamations des échevins et du peuple. Jussey reçoit ses troupes, et les deux rives de la Saône saluent à l'envi le nouveau palatin. Mais les hauts barons avaient trop intérêt à ce qu'une femme gouvernât le comté, pour ne point s'armer contre le téméraire usurpateur : bientôt, abandonné et vaincu, Jean de Bourgogne dut renoncer à sa puissance éphémère. Les villes de Gray et de Jussey expièrent l'appui qu'elles lui avaient prêté, l'une par une amende de quatre mille florins, et l'autre par une amende de deux mille (1362) (1),

Cependant les routiers et la guerre civile continuèrent à désoler le pays jusqu'à la paix de 1369, qui fut le résultat du mariage de Philippe le Hardi, fils du roi Jean, avec Marguerite de Bourgogne. La vieille et bonne comtesse douairière en profita pour visiter son peuple (1374 qui gémissait de son absence et qui l'accueillit avec amour et générosité, malgré ses malheurs (2), A travers nos campagnes, ce ne fut pour elle qu'un long spectacle de dévastation. Marguerite ne put retenir ses larmes en voyant les abbayes ruinées et désertes, les terres en friche, les villages presque inhabités et portant les traces profondes de l'incendie, les bêtes fauves peuplant le pays, à la place des hommes. La détresse générale

(1) Chambre des comptes, J, i2~.

(2) Gray lui offrit 500 florins. Jussey 300, vesoul 200, Montbozon 140, Charriez 400 et six queues de vin. (M. ED CLEBC, Essai, Il , 180 note 3.)

était telle, que les grands seigneurs eux-mêmes ne pouvaient payer leurs dettes ni leurs redevances au suzerain, qui souvent était obligé de forcer leurs châteaux pour y saisir leurs meubles. Dépeuplé par cinq ou six pestes et par quarante années de guerre, le comté de Bourgogne n'avait pas alors cent mille habitants> tandis qu'il en renferme aujourd'hui près d'un million (1),

Telle est en quelques mots l'histoire lamentable de notre pays, pendant la vie de Philippe de Jonvelle. Il mourut en 1374, après avoir fondé sa sépulture et son anniversaire à Clairefontaine, par une rente annuelle de vingt livres estevenantes, sur Magny lez-Jussey (2) Dernier mâle de sa race, il ne laissait que deux filles,

(1) Essai, Il, 140, 180, 184.

(2) Clairefontaine obtint plusieurs chartes bienfaisantes de Philippe de jonvelle. En 1355, il confirme tous les dons et privilèges accordés à ce monastère par ses prédécesseurs, et il défend à tous ses gens, présents et à venir, de troubler les moines dans leurs possessions, sous peine d'une amende de vingt marcs d'argent. Dans cette charte, Philippe s'appelle seigneur de Jonvelle et de la Votice. Le sceau présente un cavalier brandissant une épée, et de l'autre côté le lion.

En 1354, intervention de Philippe en faveur des mêmes religieux, contre les habitants d'Ormoy. Ceux-ci non-seulement refusaient au couvent les cens que le seigneur lui avait donnés sur eux , mais encore ils prétendaient avoir droit de pâturer le grand pré des moines, le jour qu'ils charroyaient lour chavenne de la Saint-Jean. La sentence du seigneur fit rentrer les délinquants dans le devoir. (Archives de vesoul, H, 358.)

Agnè et Isabelle. La seconde, qualifiée dame d'Argillières, avait épousé Gobert, seigneur d'Apremont et de Busencey en Lorraine (10 février 1358) (1). Agnès, l’aînée, dame de Charny du Chef de sa mère, épousa Guillaume de Vergy, seigneur de Mirebeau, Choye, Bourbonne, etc., et en secondes noces Phîlibert de Beauffremont (2). C'est ainsi que le sang des sires indigènes de Jonvelle, en perdant son nom, féconda l'une des plus illustres familles de Franche-Comté. Nous en verrons sortir de nobles rejetons. La seigneurie de Jonvelle était restée à la veuve de Philippe, selon l'usage féodal; mais elle en fut dépouillée la même année. Philippe le Hardi avait besoin d'argent, pour suffire à sa prodigue magnificence et aux titres richement pensionnés par lesquels il cherchait à payer les services de ses amis et à se rallier les

(1) D. CALMET, Hist. de Lorraine, III, généal. de la maison d'Apremont.

(2) Les Beauffremont, originaires du château de Beauffremont, Belfredimons (vosges), sont connus dans notre province depuis les premières années du treizième siècle.

De son premier mariage, Agnès n'eut qu'une fille nommée Jeanne. Remariée à Phîlibert de Beauffremont, elle lui donna 10 un fils nommé Jean, qui fut le dernier mâle de la branche aînée de cette maison !o une fille du nom d’isabelle, qui épousa Richard d'Oiselay, seigneur de la Villeneuve, Frasne-le-Château, etc. Jean de Beauffremont mourut en 1~I5, à la bataille d’Azincourt, sans laisser de postérité, et ses droits passèrent à la branche cadette, représentée par Henri, son cousin, qui avait épousé Jeanne de Vergy, issue du premier mariage d'Agnès de Jonvelle. De la sorte, Henri de Beauffremont réunit dans sa main les biens de la seconde branche de Vergy et ceux de la maison de Charny, dont Agnès, sa belle-mère, avait hérité. (Hist. des sires de Vergy, p. ~ et aux preuves; DUNOD, Nobiliaire, p. 263, et Hist. du comté, Il, 500 à 508.)

principaux barons du comté, ses ennemis (1). Déjà possesseur de grands châteaux au bailliage d'Amont, il venait d'acheter, ou plutôt d'extorquer d'une faible femme la terre de Faucogney. L'année précédente ~ il était venu à Faverney avec les hauts barons, pour les obsèques de son cousin, Jean de Bourgogne, et il n'avait pas dû quitter les bords de la Saône supérieure sans jeter, depuis les donjons d'Amance et de Jussey, un regard de convoitise sur la riche baronnie de Jonvelle. En effet, Philippe, son possesseur, n'eut pas plus tôt fermé les yeux, que le duc de Bourgogne se fit vendre le château et la terre par le sire d'Apremont, du consentement d'Isabelle, sa femme, et de Geoffroy, leur fils aîné, pour huit mille florins d'or (2), qui probablement ne furent jamais payés; car les comptes de la seigneurie de Jonvelle, ouverts à la chambre de Dijon cette année-là même, ne présentent, pendant dix ans, que des sommes insignifiantes de cent à deux cents francs, versées à Sandrin de Guines, procureur de Gobert, plutôt comme intérêts que comme à-compte du principal. En tout cas, Isabelle n'avait pu vendre que sa portion: aussi, repoussant une pareille transaction, sa mère et sa soeur refusèrent d'aliéner l'héritage de leurs aïeux. Alors l'ambitieux prince recourut à la force : Guillemette de Jonvelle fut accusée de violences et de pillages exercés de son aveu sur les terres du royaume et ailleurs, par les gens

(1) De ce nombre, Olivier de Jussey, longtemps bailli d'Aval, conseiller dévoué de la comtesse Marguerite et gouverneur du bailliage de Dijon. (M. Ed. CLERC, Essai, Il, 173 et passim; D. Plancher, passim.>

(2) Monnaie de compte, qui valait alors tantôt quinze, tantôt vingt-un sol.

de son château. Ces griefs remontaient au temps du seigneur défunt. En 1372, le châtelain de Jonvelle, Jean de Voisey, avait été arrêté par le bailli du comté, Jean de Montmartin, sans doute pour quelques méfaits de ce genre, et il n'avait recouvré sa liberté que sous la caution de ses amis, Richard de Blondefontaine, Jean de Cemboing et Guillaume de Montigny (1). Quoi qu'il en soit, sur un prétexte aussi vague, le fief de Jonvelle fut enlevé à ses maîtres légitimes, pour être réuni provisoirement au domaine de la comtesse douairière de Bourgogne; et la confiscation fut sentenciée à Dijon, pendant le séjour qu'elle y fit en revenant du comté, Immédiatement Philippe installa ses officiers dans la châtellenie, dont le capitaine fut Jean de Jussey, et le receveur Jean Millotet, trésorier de Vesoul.

La veuve de jonvelle, Agnès sa fille et Phîlibert de Beauffremont son gendre, se voyaient donc chassés de l'héritage de leurs aïeux. Ils protestèrent énergiquement, encouragés dans cette attitude par la maison de Vergy, leur alliée, et surtout par deux autres mécontents Thomas et Jean de la Rochelle, aussi leurs parents. Ils avaient engagé leur fief à Jean de Vergy III, pour deux cents livres de rente, sans y être autorisés par le souverain; et pour les punir de cette insubordination, le duc avait saisi terre et château, comme jadis Eudes IV en 1341. Ils se vengèrent sur ses fiefs de Comté, sur Je duché même et sur le royaume, et la dame de Jonvelle passa pour leur complice. Poursuivant d'ailleurs une vieille rancune léguée par un père à ses fils, et qui datait

(1) Archives de la Côte-d’Or, Recueil, tome 11, page 823.

des faits d’armes du prévôt de Jussey et de Guy de Vy contre le château de la Rochelle, Thomas entre à Jussey, y tue plusieurs bourgeois et met la ville au pillage. De là il pousse à Jonvelle, dont il ravage les environs, après avoir brûlé plusieurs maisons du faubourg Sainte-Croix (1), Les terres de Jean de Vy, à Demangevelle, à Bourbévelle, à Corre, à Ranzevelle, furent des plus maltraitées. Ensuite, il entreprit de forcer dans son manoir Barthélemi de l'Etang, beau-frère de Jean de Vy; mais ici la fortune le trahit et il fut fait prisonnier   Cet échec désarma les rebelles, qui obtinrent le pardon de leurs excès et la remise de tous leurs dommages, par l'intervention du sire d'Apremont. Le bailli du comté signa la charte de grâce et la fit confirmer par la comtesse Marguerite et par le roi de France. Mais Thomas de la Rochelle n'en resta pas moins dans les sombres oubliettes de la Grange de l'Etang (près de Jussey), d'où il ne s'échappa que longtemps après. Le fief de la Rochelle

 

 

(1) Quelques-uns de ces détails !1ous sont révélés par les comptes de la seigneurie de jonvelle. On lit à l'article des cens imposés aux habitants de Jonvelle pour leurs maisons, terme de la saint Remi 1375: Cy-après s'ensuignent cil qu’il n’ont payé que demi-esehief, 2 sols 6 deniers, parce que lour maisons son: arses par Mons. Thomas de la Roichelle, et quant elles seront refaites, ils paieront entier, ~ sols. (Total, sept incendiés) Jacques h borne se fait excuser, parce qu'il est sergent; Vines li pourtiers, parce qu il est pourtiers ; h Bruiers , parce qu'il a demourey au temps passé dessobs mons. Huart de Mandres, et dorez en avant il paiera, car il a d.C~Ui5 une maison sous monseigneur (le duc); Jehan Girars, parce que je n'ai pas encoir demourey an et jour à Jonvelle Cy-aprés sont poures femmes vesves, de quoy l'on ne puet riens avoir, pour pouretey, qui ne tiennent pas de feu, mas sont aubergies por Deu. (Total, sept.) Dans cette recette figurent quarante-huit sujets payant la redevance entière, dix autres sans héritage, ne payant que la moitié, enfin quatre déclarés francs. (Archives de la Côte-d'Or, B, 4968.)

 

demeura sous le séquestre jusqu'en 1388 (1) Quant à Celui de Jonvelle, la Comtesse, rentrée a Gand, s'en dessaisit entre les mains du jeune duc, dans les Conditions suivantes. Elle avait en Franche-Comté de grands domaines, provenant de la succession de la reine Jeanne, sa mère, fille du Comte Othon IV. Voulant être seule dame suzeraine dans le bailliage d'Aval, elle engagea Philippe à lui laisser Poligny, Grimont et sa châtellenie, avec tout ce qu'il tenait dans Cette région du chef de sa femme. En échange, la douairière Céda aux jeunes époux les villes, Châteaux et seigneuries de Montjustin, Jussey, Vesoul, Charriez, Montbozon, Chatillon le-Duc et Baume-les-Nonnains, avec les fiefs et arrière-fiefs qui en dépendaient, le tout devant produire un revenu de quatre mille livrées de terre. Puis la charte continue ainsi: " Item est accordé que le chastel, ville et chastellenie de Jonvelle-sur-Soone, qui sont à présent en la main de Madame d'Artois, pour plusieurs pilleries et maléfices qu'on dit avoir esté faicts dez ledit chastel et par le consentement de la dame de Jonvelle, tant sur le royaume comme en plusieurs autres lieux, se bailleront, avec les choses dessus dites, à mesdits seigneur et dame de Bourgoingne, pour en faire raison etjustice...

(Gand, 1er mai 1375) (2)

Philippe le Hardi ne garda que trois ans la terre de Jonvelle. Un favori, son parent, non moins aimé de la duchesse que de lui, convoitait cette riche baronie c'était Guy de la Trémouille. Déjà le duc, en 1372, lui avait assigné une pension de mille livres, en récompense

 

 (I) Chambre des compte~, 5, registre; Archives de la Côte-d'Or, ibid.

(2) D. PLANCHER, 111,48,49, et aux preuves, p. IL.

 

de ses services, en même temps que Guillaume, son frère, en recevait une de cinq cents. De plus, Philippe leur devait encore, depuis quatorze ans, huit mille florins d'or, prix d'un noble captif qu'ils lui avaient vendu (1) La terre de Jonvelle n'était-elle pas pour eux une excellente occasion d'être payés, et pour leur illustre débiteur un moyen facile de s'acquitter envers eux? Pour déterminer le prince à lui faire cette donation, la Trémouille lui fit entendre que le fief était sans importance et d'une mince valeur de quatre ou cinq cents livres de revenu, tandis qu'il en rapportait trois ou quatre fois plus (2), et qu'il renfermait cent quarante arrière-fiefs de gentilshommes. Sur ces entrefaites , arrive à Dijon le sieur Jean Damville, un des officiers de Jonvelle. La ville et la terre venaient d'être mises en interdit par ]'archevêque de Besançon, à la requête d'un chanoine de Belfort, créancier du seigneur défunt pour une somme prêtée. C'était au prince, son successeur, à désintéresser le chanoine en faisant honneur à la dette, et Damville était venu pour cette négociation. Guy de la Trémouille accapara cet homme en lui obtenant la sa

(1) Jean de Neuchâtel, pris au siège de Pontaillier (1364). (D. PLANCHER, III, 20, 21.)

(2) On l'estimait de 1,000 à 1,500 livres. Dans ses comptes de 1377, Simon Millotet établit ainsi les recettes ordinaires < Argent, 712 francs 7 gros et demi froment, 7 muids 5 émines une quarteranche; 3 muids une émine et demie de blé de mouture ; une émine une quarte de seigle; sept-vingt-une émines et demie avenne ; et vaut 1'émine d’eux poineaux, que sont quatre quartes, et a au bichot six émines. Item, 45 muids de vin, mesure de Jonvelle; le muid 38 501Z1 qui sont environ cent et neuf florins. Cire, sept-vingt-six livres trois-quarts et demi. Gelines, nuef-vingt-six, 3 chapons et 4 oisons. (Archives de la Côte-d'Or, B, 1061.)

Interrogé par Philippe sur la va-leur de Jonvelle, Damville ne manqua point de seconder les dires du solliciteur, qui, pour mieux tromper le duc, évita soigneusement devant lui toute relation de con-naissance avec l'envoyé. Enfin le prince céda aux priéres de la duchesse et il investit son favori du fief tant dé-siré, pour le récompenser de ses grands, continuels, bons et agréables services. La donation, datée de l'abbave de Maiziéres (18 juin 1378), comprenait en détail la ville et son château, la chatellenie et toute son autorité de justice haute, basse et moyenne, tous les revenus et tous les droits directs et utiles de la seigneurie, noblesse, fiefs et arriére-fiefs, prés, terres, maisons, bois, grueries, étangs, riviéres, moulins, garennes, patronages, abonnements, tailles, corvées main morte, cens et usages. Le duc ordonne à tous les sujets et vassaux d'obéir à leur nouveau maître et de lui prêter hommage, ainsi qu'à ses héritiers, comme ils faisaient envers le souverain lui-même, les délivrant de ce devoir à l'avenir. L'acte fut soumis à la ratification du roi, de la comtesse Marguerite et de Louis de MaIe, son fils. Le consentement de la vieille princesse fut donné deux fois (1379 et 1381). En 1389, une nouvelle charte, confirmative de la premiére, fut encore octroyée au donataire, par le duc et la duchesse (1), tant il avait de peine à s'établir soli-dement dans un domaine escamoté à son maitre, qui l'avait lui-même volé.

En effet, l'abandon d'une aussi riche baronie ne causa pas une médiocre surprise en Comté ; et l'étonnement

(1) Archiv. de la côte-d'or, B, 1061, cote 85. D. PLANCHER, III, 53 et suiv., et aux preuves, XL1X.

public n'eut d'égal que le mécontentement des sujets de la seigneurie; car ils furent très mortifiés d'avoir été donnés aussi légêrement, et de passer ainsi de la domi-nation immédiate du souverain à celle d'un vassal étranger, tout grand seigneur et tout brillant gentil-homme qu'il pût être. L'hiver suivant, une circonstance extraordinaire amena Philippe le Hardi en Comté : il s'agissait de mariage entre sa fille et le fils de Léopold, duc d'Autriche. Déjà les articles du contrat avaient été réglés à Remiremont , entre les délégués des deux princes (7juillet 1378); parmi ceux de Bourgogne fi-guiaient Jean de Ray et Olivier de Jussey. En attendant les noces, dont le projet fut rompu plus tard, les deux cours se réunirent à Montbéliard, où elles passèrent un mois dans les fêtes (12 janvier-12 février 1378, v.s).

A son retour, Philippe le Hardi voulut visiter le bailliage d'Amont, et prit le chemin de Luxeuil avec l'intention de passer par Jonvelle. Toute la noblesse de la seigneurie se réunit au chef-lieu, pour 'y faire une réception solennelle à l'auguste voyageur. Mais on avait compté sans la Trémouille, qui ne se souciait nullement de laisser connaître à son maître combien il avait été trompé et lésé en lui donnant Jonvelle. Il le dissuada de ce projet, comme devant trop le détourner de sa route, et lui fit prendre le chemin de Vesoul. Ce ne fut que vingt-six ans plus tard, après la mort du sire de la Trémouille et de Philîppe le Hardi, que l'on put savoir à Dijon la vérité sur l'importance de Jonvelle et sur les cupides manoeuvres du chambell(1).an Un tel avènement

(1)D.PLANCHER.VoiriciauxPreuves,1404

était de mauvais augure pour la seigneurie nous verrons en effet les princes de la Trémouille, entrés dans ce fief par voie de supercherie, en sortir, au bout d'un siècle, chargés de l'exécration du pays.C'est ainsi que fut consommée la spoliation des héritiers de Jonvelle. Phîlibert de Beauffremont, après la mort de Guillemette, sa belle-mère, se qualifia bien encore seigneur de Jonvelle et de Saisse fontaine; mais ce n était plus qu’un vain titre, dont on ne prit aucun ombrage. Plus tard, le duc réussit à désintéresser le réclamant et à le gagner par caresses et par faveurs. En effet, en 1402, nous voyons Philibert lui faire hommage, pour sa terre de Villers~les-Po1s, prés d'Auxonne, et dans cet acte Philippe le Hardi l'appelle son Amé et féal chevalier (1) Néanmoins, cent ans après (1470), le célèbre Pierre de Beauffremont, son arrière-petit-fils, revendiquait encore le titre de seigneur de Jonvelle , contre Charles le Téméraire.

(4) DUNOD, Nobiliaire, p. 499.

 

La Suite : 3ème EPOQUE