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LA TERRE DE JONVELLE TENUE PAR DES SEIGNEURS ENGAGISTES. ( 1509 - 1574 )

LES SEIGNEURS DE CHÉNARRAZ. -- Nouvelle reconnaissance des droits seigneuriaux.- LES NOBLES D'ANDELOT.- Tentatives du protestantisme sur la frontière de Jonvelle. -Invasion de Wolfgang et du prince d'Orange.

LA SEIGNEURIE DE JONVELLE DÉFINITIVEMENT RENTRÉE DANS LE DOMAINE DES SOUVERAINS. (1570 - 1631.)

Le pont de Jonvelle. — Le prieuré aux Jésuites. — INVASION DE TREMBLECOURT — LA VILLENEUVE, capitaine. — Stratagème de Thierry la Valeur. — CLAUDE DE VERGY, gouverneur du Comté. — La trahison livre Jonvelle et les places voisines. — Villeneuve remplacé par FAUQUIER DE CHAUVIREY. — Traité de Lyon. — Jonvelle recouvré. — Réclamations de Biron. — Désordres des gendarmeries. Paix de Vervins. —ALBERT et IsABELLE. — Miracle de Faverney. — Autres franchises de Jonvelle. — Milices de la seigneurie. — Réunion de la châtellenie au bailliage.

GUERRES DU XVIle SIÈCLE. Premières années de la guerre de dix ans. ( 1632 - 1636. )

Richelieu attaque la Franche-Comté. - Sac de Jonvelle. - Weymar et la Force menacent la frontière. - La peste. - Dégàts des coureurs. - De Mandre. - Fauquier d'Aboncourt emprisonné. - Grachaut de Raucourt. - Invasion des Suédois. - Warrods du Magny. - De Mandre renvoyé à la frontière de Jonvelle. - Siège de Dole.

Continuation de la guerre.  RUINE DE JONVELLE. (1637-1659.)

Le bailliage d'Amont ravagé par ses propres garnisons. -- Les Suédois y rentrent par Champlitte. -- Famine et dépopulation. -- Les partisans. -- Jonvelle est la terreur du Langrois et du Bassigny. -- Fauquier de Chauvirey est tué. -- Baucher du Magny, son successeur, livre Jonvelle dont la ruine ouvre tout le pays aux Français. -- (Capitulation de Vesoul. -- Le baron de Scey reprend les places perdues, w Il est battu devant Ray. -- Les courses continuent leurs dévastations réciproques. --. Exploits de Caucher. --Ruine de la Mothe. -- La paix.

JONVELLE APRÈS SA RUINE.(1659-1863.)

Nouvelle reconnaissante des droits féodaux. – La Franche-Comté passe à la France. - Jonvelle au dix-huitième et au dix-neuvième siècles.

 

 

 

 

CHAPITRE III.

 

LA TERRE DE JONVELLE TENUE PAR DES SEIGNEURS ENGAGISTES.

 

LES SEIGNEURS DE CHÉNARRAZ. -- Nouvelle reconnaissance des droits seigneuriaux.

- LES NOBLES D'ANDELOT.- Tentatives du protestantisme sur la frontière de Jonvelle. -Invasion de Wolfgang et du prince d'Orange.

 

( 1509 - 1574 )

 

La terre de Jonvelle était restée dans la noble maison de Ghénarraz. En mourant ( 1498 ), don Ladron l'avait transmise à son frère, don Diégo, maître d'hôtel du roi d'Espagne, et premier écuyer fauchant de l'archiduc des Pays-Bas. Peu d'années après, la famille de la Tré-mouille essaya de rentrer juridiquement dans le domaine qu'elle avait perdu avec tant d regret. Le demandeur était Georges III de Craon qualifiant seigneur de Jonvelle, neveu et héritier dt fameux Georges II. Il était soutenu dans sa poursuite par ses trois frères, Louis II de la Trémouille, vicomte de Thouars et gouverneur du duché de Bourgogne, Jean de la Trémouille, archevêque d'Auch, et Jacques de la Trémouille. L'empereur Charles-Quint et les archiducs saisirent le grand

conseil de Malines de cette affaire, avec ordre de l'instruire et de la juger, après une enquête solennelle. Le défendeur, que son service retenait à la cour de Castille, se fit représenter par Jean Chaviraz, son procureur. Un grand nombre de témoins furent entendus, tous des plus honorables et d'un âge à savoir par eux-mêmes les événements accomplis en Franche-Comté depuis un demi-siècle (1). Ensuite la cour, sur le rapport de son huissier, maître Louis Ligier, considérant d'une part l'antique possession des comtes de Bourgogne et l'investiture authentique donnée par eux aux seigneurs de Ghénarraz; considérant d'autre part les odieux méfaits des seigneurs de la Trémouille envers la maison de Bourgogne et sur son lier de Jonvelle, mit à néant les prétentions du demandeur (1510).

Après don Diégo de Ghénarraz, son fils don Philippe, chevalier de l'ordre de Saint-Jacques, fut mis en possession de la terre de Jonvelle (1536), qui avait alors pour bailli le sieur Etienne Desbarres. Depuis la mort du bailli-chàtelain Claude-François d'Occors, sa charge avait été, comme autrefois, partagée entre deux officiers spéciaux, ayant chacun leur tribunal. Dans cet état de choses, le bailli demeurait haut justicier. Quant au châtelain, outre sa commission militaire, il avait le pouvoir civil d'un prévôt, c'est-à-dire la moyenne et basse

(1) Entre autres témoins, le procès-verbal nomme: premier témoin, maitre Richard de la Chapelle, chantre de l'église Saint-Donat de Bruges, conseiller et maître des requêtes au grand-conseil de Malines, agé de soixante-dix ans; deuxième témoin, dame Isabeau, veuve de messire Olivier de la Marche, âgée de soixante-sept ans. (Chambre des comptes, registre 13, cotes 59 et 6O.)

justice. Il connaissait des délits commis par les habitants des villages usagers dans les forêts et autres propriétés du seigneur, et il prononçait les amendes de soixante, de sept et de trois sous. Les premières étaient pour le souverain; les autres se partageaient entre la ville pour deux tiers, et le fermier du domaine pour le reste (1). Le châtelain, comme e bailli, avait son lieutenant. On appelait des sentences du premier au tribunal du second. C'était une complication qui, en doublant le personnel, ne faisait qu'entraver les affaires et multiplier les frais de procédure; cependant elle dura encore près d'un siècle.

Sous les seigneurs précédents, les officiers de Jonvelle avaient eu à représenter que plusieurs tenemen-tiers refusaient leur hommage t frustraient le seigneur de ses droits (2). Les sujets récalcitrants étaient les nouveaux venus qui avaient repeuplé le pays. Il fallait de toute nécessité remédier à ce désordre. Le décret impérial qui conférait le fief don Philippe de Ghé-narraz, lui commanda en même temps de donner à Sa Majesté (3) le dénombrement des sujets, avec la reconnaissance générale et individuelle, faite par eux, de tous les droits féodaux dont ils étaent grevés. Philippe de Ghénarraz (4) se fit représenter dans la seigneurie par

(1) CHEVALIER, Hist. de Poligny, I1, 40,

(2) Chambre des comptes, J, 5.

(3) Quoique les archiducs et archiduchesses gouvernassent les Pays-Bas et la Franche-Comté avec une autcrité presque royale, cependant l'empereur, puis le roi d'Espagne, nommaient aux principales dignités; les lois, édits et dépèches se faisaient à leur nom.

(4) Dans la seignourio do Jonvelle, on le nommait, par erreur, Philippe de Navarre.

Thiébaud Renard, son procureur, qui reconnut bientôt l'impossibilité d'obtenir les soumissions demandées, attendu que les titres du domaine étaient vieux et fort caducs, et surtout que les tenanciers étaient presque tous changés. Il était donc absolument nécessaire de renouveler les titres. En conséquence, à la requête de messire don Philippe, le bailli de Jonvelle ordonna, par acte du 10 novembre 1537, de constater à nouveau tous les droits du seigneur, par l'aveu solennel des sujets, dans toute l'étendue de la châtellenie, par-devant le notaire Jean Dubois, assisté de deux autres notaires. Dubois opêra donc successivement à Voisey, à Montdoré et à Jonvelle (1). Nos archives ne nous donnent pas les actes de reconnaissance rédigés dans les autres mou-varices du fief.

En vertu de cette commission, le ,dimanche 25 novembre suivant, Dubois, assisté de ses collègues, François Chichet, de Vesoul, et Claude Joly, de Jonvelle, commença son travail par Voisey, où le seigneur avait le plus de sujets acensés. Ce travail dura jusqu'au t0 décembre. Là comparurent devant lui le procureur de la seigneurie et les tenanciers du lieu, qui sont nommés au nombre de cent quatre-vingt-onze (2). Après leur avoir fait connaître les motifs de leur assignation, le notaire les requit tous, sous la foi du serment prêté

(1) Manuel des recognoissances des droicts seigneuriaulx apparte-nants à Sa Majesté, aux lieux de Jonvelle, Vousey, Montdorel, etc. (Chambre des comptes, J, 6.)

(2) En téte: , Honorables hommes Clément Grosjehan et Richard Courrier, vouhiers (voyers) et eschevins, Nicolas le Niefs, maire dudit Vousey, etc. ·

individuellement sur les saints Evangiles, de lui déclarer les droictures anciennes et préhéminences que le seigneur avait sur eux. Ils avouèrent les articles suivants ·

Le seigneur de Jonvelle possède à Voisey haute, moyenne et basse justice, qu'il fait exercer par un maire, un secrétaire et un doyen. Ils tiennent audience le lundi. Sur la place publique s'élèvent le carcan et le signe patibulaire à quatre piliers.

Le seigneur a droit de tabellionage pour toutes les transactions. Il a divers cens en grains, cire, gelynes ou poulailles, argent, et la vie des chiens: le tout, pour champs, prés, vignes, curtils, maisons, emplaistres à maisonner (places à bàtir), que les habitants tiennent de lui. Il a droit sur la vente de, deux foires de l'année et sur celle du marché, qui se lent le lundi. Ce droit est affermé. Il laisse pareillement à ferme la gruerie de ses bois, c'est-à-dire leur garde et les amendes qu'elle produit. La paisson des mêmes bois est aussi affermée; mais les habitants y ont droit de mort bois.

Le prieuré est de la fondation des seigneurs de Jonvelle, qui en ont la gardienneté.

Les manants et habitants, taillables h volonté deux fois l'an, à Pâques et à la Saint-Michel, sont tenus, à toutes réquisitions, d'accompagner les gens de justice à Jonvelle, et d'y faire monstres d'armes (passer des revues) devant les officiers de la châtellenie. Ils sont du retrait et de la garde du château de Jonvelle, auquel ils doivent les menus remparements et le grand escharguet (le grand service de garde ), en temps d'éminent péril, Quand ce service n'est pas fait en personne, il est payé une émine d'avoine, livrable à la Toussaint, pat' tous

 

ceux qui ont harnais et voiture. Cette redevance s'appelait l'avenne du grant escharguet, ou simplement l' avenne du guet.

Ils doivent récolter pour le seigneur son pré du Breuil; mais les ouvriers de corvée reçoivent repas de bouche raisonnablement. Toute charrue doit trois corvées (journées), ou seize niquets (un quart de denier) par corvée.

Vient ensuite le rôle des redevances particulières. Chaque cote est rédigée au nom du tennementier, qui, en présence du procureur et de deux témoins, confesse tenir ses meix et héritaiges du seigneur don Philippe de Ghénarraz, et reconnait ensuite en détail tous ses devoirs envers lui. " Si je ne paye lesdites redevances, ajoute-t-il, pour ladite maison, au jour fixé, ledit seigneur ou ses officiers peuvent abattre la porte, jusqu'à mon entier acquictement, et moi je ne pourrai la relever que soubs peine de trois sols estevenants d'amende. "

Les redevances en argent se payaient le lendemain de Noël; les redevances en volaille, à la caresme-entrant (mardi gras)' celles-ci étaient imposées pour les maisons. Il y avait beaucoup de redevances en cire, variant de trois quarts à trois livres.

Plusieurs manants avaient leur maison chargée d'un droit appelé/a vie des chiens, c'est-à-dire que, quand le seigneur ou ses officiers venaient chasser à Voisey, les tenanciers de cette maison étaient tenus de fournir du pain pour la nourriture des chiens; mais ils se trouvaient affranchis de la poule, des trois corvées de charrue, de l'avoine du guet et de la corvée du Breuil.

Chaque déclaration, attestée par les deux notaires assesseurs de Dubois, est signée par celui-ci et par le tenancier lui-même, à moins qu’il ne soit illettré.

Le 25 avril, jeudi après Pâques de l’année suivante, Renard et Dubois exécutèrent le même travail à Mont-doré (1). Là, soixante-douze tenanciers, dont plusieurs étaient de Vauvillers, reconnurent les droits seigneuriaux suivants:

Le seigneur a les trois justices, qu’il fait rendre par un maire et des officiers. Les autres seigneurs de Mont-doré (2) relèvent de lui. Les actes de vente d’immeubles doivent se passer sous le sceau du tabellion de Jonvelle. Le seigneur a un bannerot (domaine) qu’il amodie en grain, " au bled le bled, à l’aveine l’aveine, au sombre néant. " Les sujets doivent une corvée à chacune des trois récoltes du bannerot. Il amodie la paisson dans son bois de la Rieppe. Les habitants sont tenus, le cas requérant, d’accompagner la justice à Jonvelle, d’y faire monstres d’armes et de contribuer aux menus remparements du château. Quant aux cens particuliers, ils sont tous en argent. Une seule propriété, une fauchée de pré, est taillable à volonté, et au demeurant franche et quitte de toutes autres charges et servitudes quelconques.

Le lundi 28 août 1539 commença le travail des reconnaissances pour Jonvelle, sous le cloître de l’église Saint-Pierre, place accoutumée des actes et exploits de justice. Tous les sujets sont présents, au nombre de

(1) Présents honorables hommes Loyx Roux et Jehan Bronhiet, vou-hiers et coeschevins dudit Mondorel, Jehan Mignon, maire, Âgnus Goffin, maire, etc. "

(2) " Tels que la dame de Passavant et la dame de Boingne. " 

soixante-quatre (1) Comme on le voit, il restait un bien petit nombre de mainmortables à Jonvelle. Tout le reste de la population était de gens bourgeois et libres; et la ville pouvait bien renfermer à ce moment quatre ou cinq cents feux; car elle possédait deux paroisses, Saint-Pierre et Sainte-Croix; et grâce à son commerce et à son importance de chef-lieu et de place fortifiée, elle avait dû se repeupler rapidement, après les désastres de la fin du siècle précédent: on en a la preuve dans le chiffre de la population de Voisey et de Montdoré. En 1614, dix-huit ans après l’invasion de Tremblecourt, qui anéantit le faubourg Sainte-Croix, presque aussi populeux que la ville, Jonvelle comptait encore cent quatre-vingt-neuf feux.

L’assemblée formée, le notaire signifia les motifs de l’assignation, les sujets tenanciers jurèrent sur les saints Evangiles de Dieu, et les déclarations suivantes furent recueillies :

Monseigneur don Philippe de Ghénarraz est à Jonvelle hauli justicier, bas et moyen; tous les habitants sont ses sujets. Il possède au même lieu bailliage, capitainerie, châtellenie et château, prévôté, procureurs, greffiers, sergents, gouverneurs de justice et autres officiers, enfin signe patibulaire à quatre piliers. Il a dans la ville les fermes de la prévôté, des tabellions, des ventes, éminages, tailles, poids et balances, fours, moulins, pressoirs, grueries, banvins, bancs à bouchers, maîtrises des

(1) Entre autres - honorables hommes Jehan Fagnin, Jehan Defenoy le Viez, vouhiers et cocschevins, Nicolas Bresson, Perrenot Bresson, etc. "Nous verrons la famille importante des Bresson devenir bourgeoise et figurer dans tes êvénements du seizième siècle.

bouchers et des cordonniers, moustiers et quelques autres. Ces fermes sont adjugées aux enchères, tous les ans, à la Saint-Michel. Le droit de banvin dure six semaines, et si l’on fait garde, il est de douze semaines, dont la moitié de Pâques à la Pentecôte, et l’autre moitié de la Saint-Martin à Noèl. Le petit moulin de la Minelle appartient au seigneur, qui a droit sur la vente et les transactions, dans les quatre foires de l’année et dans le marché du samedi.

Tout chambrier (propriétaire de maison) doit annuellement dix sous estevenants, payables par moitié, àPâques et à la Saint-Martin. Les veuves ne doivent que cinq sous. Chaque charrue doit un penaut (deux quartes> à la Saint-Martin; les demi-charrues, une quarte. De plus, chaque charrue doit faire une voiture de bois, la veille de Noèl, pour le loingnier de Monseigneur.

Enfin, les sujets lui doivent divers cens en grains, cire et argent, pour leurs héritages en maisons, places à côté des maisons, cours, jardins, vignes, prés et champs. Le détail de ces cens est donné en soixante-quatre cotes séparées (1) Vient ensuite la charte des franchises accordées par Philippe de Jonvelle, pièce qui fut fournie par

(1) Vingt-trois de ces cotes sont pour des vignes, toutes, excepté une seule, situées en Tahon ou sur Cunel. Le cens par ouvrée variait entre t niquets (1/6 de denier), t engrognes (4 deniers 4/9>, un , deux ou trois blancs (le blanc valait 3 engrognes, ou 3 deniers 1/3). Treize cotes de maisons varient entre un blanc, deux, six ou huit gros, un à dix sols et deux livres (le gros de comté valait 4 blancs, ou Il engrognes, ou I sol I denier 1/3, de monnaie française); I à 10 sols et deux livres de cire. Les seigneurs tenaient beaucoup à la redevance de cire, qui se trouve marquée en marge d’un signe distinctif, dans le Manuel des reconnaissances, et dont le produit était destiné au luminaire aire de leurs châteaux.

La faulcie de prel est taxée à un gros environ, et le journal de champ a six sous.

les habitants eux-mêmes; car la copie insérée ici est çelle que leurs devanciers avaient obtenue des archives de la prévôté de Langres, en 1402. Par son insertion au procès-verbal des reconnaissances, cette charte recevait une consécration nouvelle pour les articles que les énoncés précédents n’avaient pas modifiés. Mais la différence notable que l’on remarque entre les droits féodaux de 1354 et les déclarations de 1537-1539, est une preuve sensible du progrès et des améliorations introduites dans la condition des mainmortables. Comme ses deux prédécesseurs, Philippe de Ghénarraz, du fond de la Castille, était trop loin de sa terre de Jonvelle pour gérer utilement les intérêts de ce beau domaine et en tirer lui-même son profit personnel. Peu de temps après les reconnaissances, il finit par le céder à Jean d’Andelot, au même titre que don Ladron, son oncle, l’avait reçu lui-même , c’est-à-dire pour quatre mille écus de Flandre, et à titre de rachat perpétuel de la part du souverain. La maison d’Andelot, qui tirait son nom d’un village situé sur les monts de Salins, était dis— tiriguèe depuis le treizième siècle et avait rempli des charges importantes dans la province. Le quinzième siècle nous la montre établie à Ornans (1)Le nouveau seigûeur de Jonvelle, sorti de cette famille, sieur de Myon, Fieurey, etc., eut une carrière des plus illustres, sous le règne de Charles-Quint. Premier écuyer de sa maison, commandeur de l’ordre d’Alcantara, bailli de Dole,

(1)M. Adrien MARLET. La vérité sur l’origine de la famille Perrenot de Granvelle p. 87,

premier capitaine de la première garnison rendue à Dole, Jean d’Andelot suivit l’empereur dans toutes ses campagnes, et fut toute sa vie l’un de ses officiers les plus braves et les plus affectionnés. A la journée de Pavie (94 février 1515), il fut longtemps aux prises avec le roi François rr en personne, qui le blessa au visage d’un grand coup d’épée. Il était aux côtés de son maître, à Vienne, contre Soliman Il (1532); devant Tunis (1535>; dans sa traversée de la France, lorsqu’il marchait contre les Gantois révoltés (1540); devant Alger (1542>; en Flandre, contre le duc de Gueldres, avec le sieur de Voisey (1543); en Allemagne, contre les protestants, avec le chancelier Nicolas Perrenot de Granvelle et Nicolas du Châtelet, sieur de Vauvillers et de Demangevelle (1546-1547); enfin dans ses campagnes contre la France (1552). Quatre ans après, CharlesQuint donnait au monde l’exemple le plus magnanime, en descendant volontairement de ses trônes pour se retirer dans la solitude, au monastère de Saint-Just en Castille. Il ne retint avec lui que douze serviteurs, choisis parmi ses gentilshommes les plus dévots et les plus aimés, dont le premier fut Jean d’Andelot, son maître d’hôtel. Mais le sire de Jonvelle mourut au moment de quitter Bruxelles avec son illustre maître (20 décembre1556)(1) Georges, Jean-Baptiste, Jean et Gaspard, fils de Jean d’Andelot, se firent honneur tous les quatre de se qualifier sieurs de Jonvelle et de Voisey (2). Georges d’Andelot,

(1) GOLLUT. cal 1579 à 1582 et 2895.

(2) Ibid., col. 125.

l’aîné, baron de Flofles, du titre de sa mère, fut bailli de Dole, comme son père. Gaspard était seigneur de Chemilly. Mais le plus célèbre des quatre frères fut Jean-Baptiste d’Andelot, sieur de Myon et d’OlIan, marié à une petite-fille du chancelier Perrenot. Il devint bailli de Dole et lieutenant du comte Mansfeld, maréchal général des armées de Sa Majesté Catholique pour les Pays-Bas. Selon Gollut, grand ami de cette famille, il passait dans l’armée pour " un brave et expérimenté chevalier, habile en militaire discours, fort spéculatif de jugement et l’un des meilleurs guerriers de nostre Bourgougne(1). "

Ces nobles seigneurs assistaient aux éjats de Franche-Comté en 1561, 1562, 1568, 1574, avec les sieurs d’Augicourt, de Gesincourt, de Bichecourt, le prieur de Jonvelle, les échevins de Jussey, etc. Ces assemblées politiques, de concert avec les commissaires royaux, s’occupaient alors de trois questions principales:1° de la neutralité à entretenir avec les voisins, sur le pied primitif; de la foi catholique à maintenir et de l’hérésie à repousser; des places fortes à mettre en bon état, à cause des guerres du voisinage et des tentatives incessantes des protestants. Jonvelle, à cause de sa situation des plus menacées, avait le privilège d’exciter la sollicitude des états, autant que les villes de Dole et de Gray.

La seigneurie de Jonvelle sortit de la maison d’Andelot en 1570, époque à laquelle la chambre des comptes racheta la terre, au nom du roi Philippe Il, en remboursant

(1) GoLLUT, cal. 115.

la somme versée pour son engagement (1). C’est dans Ces années que la prétendue réforme bouleversa l’Eglîse, ensanglanta l’Europe et fit des efforts acharnés pour envahir la Franche-Comté. Elle frappait àses portes et par le nord, où les luthériens tenaient déjà le comté de Monthéliard avec la principauté d’Héricourt, et par la frontiére de France, où les calvinistes prêchaient en liberté leurs doctrines perverses et allumaient partout les fureurs de la guerre civile. Excité par le zéle sans égal du roi catholique, le parlement sut maintenir sa vigilance et son activité à la hauteur du péril; et chaque année les états méritérent les félicitations des princes pour leur attachement à l’Eglise et pour leur fidélité au souverain (2). En 1575, la belle défense de Besançon, cité fidèle par excellence à Dieu et à César, ne fut qu’un épisode et le couronnement (le cette noble conduite de notre patrie tout entiére. C’est à cette persévérante résistance des grands corps de la Franche-Comté contre les fanatiques tentatives de l’hérésie, que cette province dut le bonheur de garder sa foi. Citons à ce sujet quelques preuves assez peu connues, dont la première en particulier ne manque pas d’intérêt pour les pays dont nous écrivons l’histoire. C’est un édit du parlement, rendu à Salins le 21janvier 1566, contre ceux qui allaient aux prêches des hérétiques :" Malgré les mandements de Sa Majesté, dit la cour,

(1) Chambre des comptes, J, 7.

(2) Voyez Recez des états, aux années 1561, 1564, 1568, 1574.

qui défendent, sous peine d’emprisonnement et de confiscation, de se trouver aux prédications qui se font dans le voisinage du Comté, par les ministres des nouvelles sectes et damnables erreurs élevées depuis peu contre notre ancienne et sainte foi catholique; cependant plusieurs sujets de la province se rendent tous les jours au prêche que les hérétiques viennent d’établir en France, à trois lieues de Jonvelle, près de Godoncourt. Pour arrêter ce désordre, qui pourrait s’étendre, la cour renouvelle ses interdits, et ordonne à tous de dénoncer les contrevenants, dans l’espace de deux jours, aux procureurs fiscaux de leurs bailliages. Les baillis d’Amont, de Dole et de Luxeuil, feront publier et afficher les présentes dans tous les villages et villes de leur ressort, et les procureurs fiscaux en poursuivront l’exécution. "

Le 19 novembre de la même année, le parlement, séant encore à Salins à cause de la peste, défend à tous manants et habitants du Comté de tenir des serviteurs suspects de luthéranisme. Sur la fin de l’année suivante (Dole, 1er décembre), nouvel édit ordonnant d’informer sur les sentiments religieux et la conduite antérieure des étrangers et vagabonds nouvellement reçus comme habitants de la province (1). Peu après (28 avril 1568), les calvinistes établirent un nouveau prêche à Pressigny, et les pères bénédictins de Morey, stimulés par leur zèle autant que par les recommandations du parlement, ne négligèrent aucun moyen pour empêcher les funestes effets d’un aussi dangereux voisinage.

(1) Recueil des ordonnances du parlement , dixième partie, p. 220 et 221.

Cependant, malgré cette vigilance, malgré les rigueurs extrêmes employées contre elle, depuis 1529, dans tous les Etats de l’empire, la réforme avait trouvé des partisans nombreux et zélés jusqu’au sein de la Franche-Comté, à Besançon surtout, à Jonvelle, Conflans, Mailley, Amance, Vesoul, Luxcu il, Montureux-sur-Saône, Oiselay, et dans les autres bailliages (1)· En même temps, leurs coreligionnaires étrangers arrivaient en bandes armées, pour implanter l’erreur, de vive force, dans une province qui défendait si énergiquement sa foi. Dés les années 1566, 1567 et 1568, des reîtres calvinistes, venus d’outre-Rhin pour secourir les sectaires bourguignons, avaient recommencé l’ère des dévastations dans le nord-est du bailliage d’Amont et dans celui de Luxeuil, jusque-là si heureux de la paix, comme toute la province, depuis la fin du siècle précédent. Un manuscrit de nos archives signale ainsi le passage des hérétiques à Bain-court: "Le 25 mars 4568, à l’heure de vêpres, les avant-coureurs des huguenots français, affublés d’habits de moines blancs, tombent sur le village et se précipitent dans l’église, en poussant des cris furieux. Les fidèles s’enfuient épouvantés dans les bois, abandonnant le saint lieu et leurs maisons à la merci des brigands, qui ne laissèrent à l’église que les cloches et qui ravagèrent de même tout le village (2), > Cependant les populations

(1) GoLLuT, col. 1651, note.

(2) . Ils emportèrent deux calices d’argent, on valeur de 60 francs, une ymaige d’argent de sainet vaubert, de haulteur d’ung pied et demi, on laquelle reposaient les saincts ossements dudit sainct vaubert, mesme un os du bras, dès la noye du couste jusques à celle de l’ospaule : aussi une coste, que l’on estimoit de grande valeur. Furent aussi perdues cinq chasubles, tant de velours damas qu’aultres, deux theuniques,

lorraines et comtoises de ces frontières, même les prêtres et les moines, unissant leurs efforts contre ces invasions de brigandage, réussirent à les rejeter en Alsace, et reçurent les félicitations du roi pour cette brave et digne conduite (1).Mais en 1569, les luthériens d’Allemagne, accourant à l’appel des huguenots de France, au nombre de douze à quinze mille, entrent dans le Comté par Montbèliard et par Lure, sous les ordres de Wolfgang, duc de Davière et des Deux-Ponts (2), Guillaume, prince d’OrangeINassau, conduisait l’avant-garde, presque toute composée de Français (3), Faucogney, Luxeuil, Baudoncourt, Faverney, Clairefontaine et tous les villages des bords de la Lanterne et de la Saône, sont pillés et réduits en cendres (4). Hélas! quelque intérêt qu’elle portât au Comté, la cour d’Espagne n’avait point pris d’autre mesure que le traité de neutralité, pour le défendre soit contre les ennemis du dedans, soit contre les périls du dehors.

deux chappes bien riches et tout ce qu’estoit on ladite église; de manière qui ne laissèrent que les murailles et les cloches; firent tant de maux et dommaiges audit Raineour, qui ne laissèrent auleuns biens meubles, dont les habitants furent moult appauvris. (Extrait d’une reconnaissance par laquelle les habitants de Raincourt s’imposent extraordinairement pour contribuer aux réparations de leur église et des fortifications de Gray. Archives de la Haute-saône, bailliage de Jonvelle, E, 81.)

(1) D. GRAPPIN, Guerres du seizième siècle, p. 41 et suiv, Etats de 1568, séance du 29 février.

(2) Comte palatin du Rhin, comte de Feldentz, etc., tuteur des jeunes princes de Montbêliard, avec Christophe de Wurtemberg et Philippe de Liechtenberg.

(3) Deux ans auparavant, Guillaume d’Orange était lui-même gouverneur du Comté, berceau de sa famille, qu’il venait dévaster on ce moment, les armes à la main, devenu renégat de sa foi, de son pays et de son roi et chef de la révolte des Pays-Bas. L’année suivante, Philippe Il mit sa tête à prix, et il fut tué à Delft (Hollande) par Balthazar Gérard, de vuillafans, le 10 juillet 1584.

(4) e Si oneques ennemis furent violents et sanguinaires, ceux—ci le sont sans merci, cesIe guerre estant tyrannique et les chefs non obeys. Les bailliages d’Amont et de Luxeul sont perdus pour longtemps : on en est aux extrêmes, sans force et sans argent. " (Lettre du conseiller Belin au cardinal de Granvelle, 3 avril 1569.) En effet, les lettres de Wolfgang prouvent assez que les violences étaient commises contre ses ordres. (D. GRAPPIN, Guerres du seisiême siécle, p. 69 et suiv.)

Nous verrons pareillement, à la fin de ce siécle et dans la guerre de dix ans au siécle suivant, notre malheureuse patrie aussi dépourvue de défense, aussi abandonnée à elle-même,aussi victime de l’incurie ou plutôt des embarras de son souverain. Le 24 mars, Wolfgang était campé à Conflans, dans l’intention de passer la Saône à Port ou à Conflandey. Mais, apprenant que le gouverneur de la province, François de Vergy, l’y attendait avec cinq cenis cavaliers pour lui disputer le passage, il tire droit à Jussey; et pendant tout le mois d’avril, son armée, contenue dans le Comté par l’armée royale de France, proméne impunément ses ravages dans les environs de Purgerot, Poutsur-Saône, Ray, Morey et Membrey, saccageant et brûlant les villages et les églises, tuant tout ce qui résistait et emmenant prisonniers ceux de qui il espérait quelque rançon. Cependant les habitants de Semmadon, plus heureux qu’en 1339, firent une si courageuse défense, secondés par le sieur d’Eternoz, que l’ennemi fut repoussé, laissant plusieurs morts sur la place et plusieurs prisonniers entre leurs mains (1). Mais l’abbaye de Cher-lieu subit le même sort que celles de Luxeuil, de Faverney, de Bithaine et de Clairefontaine. Les dévastateurs y furent conduits par Savigny,

(1) D. GRAPPIN, ibid., p. 58, et Preuves, p. 9.

seigneur (le Saint-Remy, que la passion d’une vengeance personnelle contre l’archevêque de Besançon, Claude de la Baume, abbé (le Cherlieu, avait entraîné dans le parti de l’hérésie, sous les enseignes du prince d’Orange (1). En résumé, tout fut dévasté dans les villages non défendus; mais les forteresses, telles que Jonvelle, Richeèourt, Demangevelle, Artaufontaine, Amance, Bougey, Gevigney, Chauvirey, Port-sur-Saône, Scey, Ray, etc., furent vainement insultées par les bandes hérétiques, et les habitants du voisinage y trouvérent un asile inviolable pour leurs personnes et leurs biens les plus précieux. Enfin le duc de Baviére délivra le bailliage d’Amont, en entrant dans le duché de Bourgogne (mai 1569). Il mourut peu de temps après à la Charité-sur-Loire, d’une fièvre ardente causée, dit-on, par les excés du vin (2), Aux états suivants (1574), le président Froissard, au nom des princes, complimenta le pays pour sa résistance héroïque contre cette agression nouvelle des ennemis de Dieu et du roi, en ajoutant que, e par le bon gouvernement de Sa Majesté, Dieu grâces, il avoit été maintenu jusqu’à ce jour en toute seureté et tranquillité, et hors des troubles et désordres qui désoloient la France; que Sa Majesté n’avoit rien épargné non plus pour l’administration de la justice et les fortifications

(1) Le sieur de Saint-Remy avait inutilement sollicité du prélat les dispenses nécessaires pour épouser la marquise de Rénel, sa cousine germaine. (31dm. sur Cherlaeu, p. 81.) Treize ans plus tard, le roi fit surprendre le château du chevalier félon et renégat. (D. GRAPPIN, ibid.,p. 117.)

(2) D. GRAPPIN, ibid., p. 75.

des Villes; qu’elle demandoit un don gratuit de cent mille francs. " Mais l’exposé du commissaire royal était bien loin de la vérité; car le Comté avait été abandonné à ses seuls efforts, et si des troupes y avaient paru, depuis le départ de Wolfgang, ce n’était que pour le traverser et le ruiner de plus en plus, soit en allant aux Pays-Bas, soit à leur retour. D’ailleurs, un avenir prochain nous démontrera qu’on avait très peu fait pour les places fortes et à peu près rien pour Jonvelle. Aussi le sieur de Clairvaux, subrogé du gouverneur, répondit-il au nom des états, que <vu les passages répétés de la gendarmerie, par lesquels les habitants de la province avoient subi d’incroyables dommages; vu la chereté des vivres en Bourgoigne, on ne pouvoit payer que soixantequinze mille francs (1), "

(1) Recez des états, 1574. c La queue de vin se vendoit 100 francs, et la mesure de froment un écu, chose non encore vue ny entendue dois cent ans. Et par ce avoient esté obligés et contraincts les poures habitants dudit pays de vivre de chardons et autres herbes, ou de viandes inaccoustumées. "

La queue (le vin était d’un muid et demi, et le muid de trois cent vingt litres. Aux quatorzième, quinzième et seizième siècles, le prix du vin varia de 40 sous à 6 francs le muid. Le blé valait alors un demi-denier la livre. La mesure de Dole était de vingt-neuf livres, celle de Besançon de trente-six livres, et celle de Port-sur—Saône de trente. Celle— ci devint bientôt la mesure légale de la province. (D. GRAPPIN, Recherches sur les anciennes monnaies, poids et mesures, p. 400 et suiv.)

 

 

 

CHAPITRE IV.

 

LA SEIGNEURIE DE JONVELLE DÉFINITIVEMENT RENTRÉE

DANS LE DOMAINE DES SOUVERAINS.

 

 

 

Le pont de Jonvelle. Le prieuré aux Jésuites. INVASION DE TREM— BLECOURT LA VILLENEUVE, capitaine. Stratagème de Thierry la Valeur. CLAUDE DE VERGY, gouverneur du Comté. La trahison livre Jonvelle et les places voisines. Villeneuve remplacé par FAUQUIER DE CHAUVIREY. Traité de Lyon. Jonvelle recouvré. Réclamations de Biron. Désordres des gendarmeries. Paix de Vervins. ALBERT et IsABELLE. Miracle de Faverney. Autres franchises de Jonvelle. Milices de la seigneurie. Réunion de la châtellenie au bailliage.

 

(1570 1631.)

 

 

 

Quand la terre de Jonvelle eut été retirée aux d’Andelot, elle eut pour châtelain Henri d’Oiselay, baron de la Villeneuve, qui descendait d’Agnés, fille de Philippe, le dernier seigneur indigène de Jonvelle (1), Ainsi était-il entre Comme serviteur à gages dans la seigneurie de ses aïeux. En même temps, Ambroise de Raincourt devint receveur ou fermier anîodiataire de la châtellenie (1570-1575), et après lui, Jacques Ogier, de Fontenoy-lez Montbozon (1575-1590);

(1) Henri d"Oiselay, seigneur de Champvans, Saint-Loup, Ranzevelle, etc. En 1584, il fait reprise de quelques fiefs mouvants de Jonvelle, entre les mains de François de Vergy, gouverneur du Comté, délé. gué ad hoc. (Chambre des comptes, reg. 13.)

puis Jean Dorey. Tous les trois, en prenant possession de leur charge, engagèrent en caution leurs biens, leurs personnes et celles de leurs familles (1) Ogier remplissait encore ses fonctions en 1586, lorsque fut décidée la reconstruction du pont de Jonvelle, ruiné depuis quelque temps par les grandes eaux. Le pont détruit était très élégant et devait remonter au treizième ou au quatorzième siècle. Sur chacune des six piles qui le soutenaient, se trouvaient établies deux boutiques, formant ainsi sur les côtés un double rang de jolis pavillons carrés. Au milieu de l’un des côtés, une gracieuse niche à jour présentait une statue de la Vierge à la vénération des passants. Dès l’an 1580, les habitants avaient obtenu du roi des lettres-patentes qui les autorisaient à relever leur pont et leur promettaient pour cela trois mille livres, à charge pour eux de faire les charrois (2). Mais la chambre des comptes ne donna suite au projet que le 9 janvier 1585. Après avoir été publié et affiché, aux jours de foire ou de marché, sur les places publiques de Vesoul, Faverney, Jussey, Purgerot, Luxeuil, Port-sur-Saône, Fontenoy-le-Château, Mirecourt, Bourbonne et Jonvelle, et même publié en chaire par le curé de Saint-Pierre (3), le devis estimatif

(1) Chambre des comptes, J, 10, no 5, fol. 106—118, et n° 4, fol. 285.

(1) Ibid., fol. 322.

(3) C’était Hugues Gérard d’Autrey, qui avait obtenu cette cure au concours, selon les prescriptions du concile de Trente (11 mars 1583). A cette époque, le prieur de Jonvelle était Claude d’Andelot, et le curé de Sainte.Croix. dans le faubourg, Félix Dubois, commis par la cour au temporel du prieuré. (Archives du greffe de la cour de Besançon.)

 

fut mis en monte à ravalement (rabais), le samedi 9 février, jour de marché, heure de midi, sous le cloître de l’église paroissiale, par-devant les officiers de la seigneurie, Jacques Ogier, receveur, Etienne Dujardin et Antoine Rousselet (1), procureurs licenciés. Ce devis n’oubliait pas un détail qui fait honneur à la piété des habitants: "Et au milieu dudit pont, dit-il, il y aura une chappelle pour y apposer une ymaige de la Vierge Marie, comme il estoit au vielz pont. > Du reste, cette démonstration pieuse ne nous surprend pas, à une époque où la guerre fanatique des nouveaux iconoclastes, contre la Mére de Dieu en particulier, ne fit qu’affermir son culte et multiplier ses images dans tous les lieux de la catholique Franche-Comté.

Cependant les travaux ne furent pas concédés dans cette enchère du 9 février, dont la chambre des comptes trouva le chiffre trop élevé. Le 26 avril de l’année suivante, elle aima mieux traiter avec l’échevin Antoine

Vautrin, qui s’engagea, au nom de la communauté, àfaire et à entretenir le pont, moyennant une somme de treize cents francs de Comté (2), fournis par le roi. Le 4 mai suivant, la communauté elle-même, réunie sous le cloître, au nombre de cent trente-trois de ses membres, chefs de famille, représentant la majorité, fut requise de ratifier le traité passé par son échevin : ce qu’ils firent, en prêtant serment sur les saints Evangiles,

(1) Antoine Rousselet, de Port-sur—Saône, bailli de Jonvelle, savant antiquaire, composa la généalogie des ducs de Lorraine, que dom Cal— met a mise à profit pour son histoire, Il devint tabellion général de Bourgogne. C’est à ce titre que Pierre d’Andelot, abbé de Bellevaux, prieur de Jouhe et de Jonvelle, lui acense une place vacante appartenant au prieuré, prés de la Porte-Haute ou Porte-Arnoul (11 février 4565). (Chambre des comptes, J, 22.)

(1) Le franc de Comté valait 13 sols 4 deniers de France.

et en donnant hypothèque, non-seulement sur leurs biens meubles et immeubles, mais encore sur ceux de leurs héritiers et descendants (1). Les travaux du pont furent donc commencés, puis menés à bonne fln, avec l’aide des habitants de Corre (2) Mais l’exécution, faite sans doute avec une parcimonie forcée, fut aussi lourde que celle de l’ancien pont était riche et gracieuse. La maçonnerie coûta trois mille livres. Les boutiques furent faites en bois. Les margelles, hautes de cinq pieds, étaient crénelées en haut et percées en bas de regards cintrés, " pour entre les iceulx veoir soubs ledit pont. " C’était donc un ouvrage de défense, destiné à commander la rivière et ses abords. Ce pont a élé encore refait depuis; mais il porte toujours la petite chapelle et son image vénérée.La même année, Jonvelle perdit son prieuré, dont les biens, après la mort du titulaire> dom Claude d’Andelot, de la famille des anciens seigneurs du lieu, formèrent la dotation du collége des jésuites de Dole, avec ceux des prieurés de Voisey, de Saint-Vivant et de Jouhe. La réunion, sollicitée par le magistrat de Dole, fut autorisée par Philippe 11(14 mars 1586>, " dans le but de favoriser de plus en plus les hautes études, la piété et

(1) chambre des comptes, J, 10.

(2) Le 9 décembre 1608, le roi accorde, sur les revenus de Jonvelle, 150 francs à la communauté de corre, en reconnaissance et dédommagement de ce qu’elle a fait pour le pont de cette ville. <chambre des comptes, J, 10, n° 5, fol. 157.)

les bonnes moeurs, dans son cher comté de Bourgogne, en augmentant le bien-être matériel des révérends pères, > dont le nouveau collége existait depuis deux ans. Ce transfert, décrété par la cour souveraine de parlement, le 7 novembre 1588, fut confirmé par une bulle de Sixte-Quint, datée du 9 octobre 1589. Toutefois la prise de possession n’eut lieu que l’année suivante, apres un nouvel arrêt du parlement (14 avril 1590) (1). A cette époque, la Franche-Comté se reposait de ses derniers désastres, grâce au traité de neutralité, qui, renouvelé sept fois depuis sa première conclusion, venait encore de recevoir une nouvelle consécration par un traité passé avec la Ligue, en 1580(1); ce qui n’empêcha pas le duc de Guise et le marquis de Pont, son neveu, d’entrer en Comté avec une armée de ligueurs, à la poursuite des Mlemands luthériens et des huguenots français, commandés par François de Coligny. Pendant deux ans (1587-1588), une partie de la province, surtout la frontière de Jonvelle, fut en proie aux dévastations de ces corps de gendarmerie, neutres ou ennemis. Peu de temps aprês, Jonvelle subit encore le pas

(1) Archives de Dole, cartulaire de Jonvelle, fol. 877 à 388.

(2) Cette négociation avait été obtenue, comme les précédentes, par la médiation des Suisses. Dès l’an 1575, le parlement avait envoyé le sieur Pierre d’Augicourt, avec l’écuyer Benoît, à la diète des cantons séant àBaden, pour obtenir leur pressante intervention dans cette affaire. Les états de 1579 votèrent au sieur d’Augicourt une somme de 103 francs il gros, pour les (rais de ce voyage. Dans ces états, qui avaient été convoqués pour aviser aux moyens de remédier aux dégâts des Français, figurérent les sieurs de Chauvirey, d’Augicourt, de Ricbecourt, de vitrey, de Raincourt et les échevins de Jussey. (Recez des états, fol. 200—101.)

des ligueurs (1591) (1), Henri IV régnait en France depuis 1589. Après avoir désarmé la Ligue par son abjuration (1593>, qui lui ouvrit les portes de Paris (1594>, il tourna ses forces contre l’Espagne, qui l’avait peu ménagé dans les discordes civiles et l’un de ses projets fut de lui enlever la Franche— Comté. Du reste, il était poussé à cette conquête par une femme trop célèbre pour l’honneur du monarque> Gabrielle d’Estrées, qui voulait faire de cette province un apanage à l’un de ses bâtards (2). Un capitaine lorrain, parent du roi, fut chargé par lui d’entrer en avant-coureur dans le Comté, pour le ravager, en forcer les places et préparer ainsi la conquête projetée. C’était Louis de Beauveau, seigneur de Tremblecourt, nom d’aussi funeste mémoire pour notre pays que ceux des Louis XI, des Georges de Craon, des Charles d’Amboise et des Wolfgang. Deux autres officiers lorrains, non moins farouches, Loupy et d’Aussonville, baron de SaintGeorges, devaient l’appuyer de leurs corps d’armée. Dès l’année précédente, Aussonville avait formé le sien, fort de trois ou quatre mille hommes, aux environs de Deuilly en Vosges, et de Fontenoy-le-Château, que les Lorrains venaient d’usurper. Le péril était imminent. Déjà l’ennemi avait fait reconnaître la place de Jonvelle par deux espions déguisés en mendiants, qui la visitèrent à leur aise. A leur retour, une femme qui travaillait à la campagne, entendit l'un d'eux dire à l'autre:

(1) Mémoires de Champagney, IV 307 ; D. GRAPPIN, Guerres du seisiéme siécle, p 103 à 115.

(1) D. GRAPPIN, ibid., p. 182, 183, et Preuves, p. 42.

" Tu prétendois qu’on ne fesoit garde ici ; mais il ne faut s’y fier que bien à poinct. " Ils avaient caché leurs uniformes et leurs arquebuses dans un buisson, où ils les reprirent, en y jetant leurs drilles. C’est le comte de Champagney-Granvelle, baron de Renaix, qui donnait cet avis au ministre Laloo, à Madrid. " L’espion disoit vrai, ajoute-t-il ; car si la place est en mauvais état, je ne pense pas qu’il y ait capitaine meilleur et plus aguerry que le sien. C’est mon neveu, Monsieur de Villeneuve, qui a déjà rembarré l’ennemi plusieurs fois dans ces parages, et qui en est tellement redoubté, que les Lorrains se plaignent de ne pouvoir rien faire de bon sur le Comté (1), " Ce gouverneur de Jonvelle était Antoine d’Oiselay, baron de la Villeneuve, qui avait succédé dans cette charge à Henri, son père.

Mais les renseignements donnés au cabinet de Madrid par le sieur de Champagney, sur les pensées de l’ennemi, étaient malheureusement trompeurs, et le comte, en y croyant lui-même, endormait le pays dans la plus fatale sécurité. D’ailleurs, nous allons voir bientôt que le népotisme lui faisait un peu trop compter sur la vigueur et la vigilance du capitaine de Jonvelle. Pendant que d’Aussonville stationnait à Fontenoy avec sa colonne, Tremblecourt, de son côté, à la tête d’un corps de six mille hommes, occupait Neufchâteau, à une étape de Jonvelle ; et les deux chefs se tenaient prêts à opérer leur jonction pour fondre sur le Comté. Les mémoires

(1) Mémoires ou correspondance de Frédérit Perrenot de Granvelle,

comte de Champagney, tome III, fol. 123 ; Dole, 6 octobre 1594

du temps placent leur première attaque enjanvier 1595; mais une tradition locale nous porte à croire qu’elle eut lieu auparavant, lorsque le capitaine Thierry, de Jonvelle, surnommé la Valeur, sauva son pays par un stratagème curieux. L’ennemi comptait surprendre la ville, qu’il croyait sans défense. A son apparition soudaine, la Valeur se mit à sonner de la trompette sur les murailles de ceinture et dans les forts, en se portant rapidement d’un point à un autre, de manière à se faire entendre partout presque en même temps. Cette ruse de guerre persuada aux assaillants qu’ils avaient à faire àune garnison nombreuse, et ils s’éloignèrent, sans rien entreprendre de plus contre la place. Depuis, on célébra dans l’église de Jonvelle, en mémoire du libérateur, un service annuel, qui a subsisté jusqu’à la fin du siècle dernier (1)

François de Vergy, ce gouverneur si cher à la province, n’était plus depuis quatre ans. Claude Il, son fils, comte de Champlitte (1), homme de table et d’un caractère emporté, si nous en croyons Champagney, n’avait ni la valeur, ni la sagesse, ni la popularité de son père,

(1) La retraite est sonnée tout l’hiver, à Jonvelle, et l’on tinte trois coups à la fin de la volée. C’était, dans le principe, en mémoire de Tbierry la valeur, et afin d’inviter les habitants à prier pour le repos de son âme. Il y a peu d’années, les vieillards récitaient encore le De pro— fundis à cette intention. Au rétablissement du culte, en 1800, M. Laillet, curé de Jonvelle, annonça et célébra fréquemment des messes pour Thierry la valeur. (Témoignage de M. Degenne, propriétaire des ruines du château.)

(1) Baron d’Autrey, seigneur de Fouvent, Flagy, Morey, la Rochelle, etc., chevalier de la Toison d’or. Philippe Il avait érigé la ba— ronnie de Champlitte en comté, en faveur de François de vergy. (DUNOD, Nobiliaire, p. 518.)

quoi qu’en dise son panégyriste Duchesne (1). Ennemi secret du parlement, époux d’une Française dont la famille était vendue à Henri IV (1), il était également suspect à la nation, parce qu’il avait sa mère, Claudine de Pontaillier, à la cour de France, et qu’il entretenait des Correspondances avec le chancelier de Chiverny et d’autres Français. Les provisions abondaient à Champlitte, qui lui appartenait, et à Pesmes, qui était à son ami, le comte Antoine de la Baume -Montrevel ; mais elles manquaient partout ailleurs (3), Jonvelle se voyait dépourvu de défenseurs, de vivres, de canon, de munitions. Les murailles étaient en mauvais état, malgré la sollicitude et les réclamations souvent réitérées des députés de la province. Une poignée d’élus à peine exercés, aux ordres du sieur de Villers, formaient toute la garnison de la ville ; Antonio gardait le château avec une compagnie d’Italiens. Ces deux capitaines sont fort maltraités dans les lettres du sieur de Champagney, qui les appelle des hommes indignes, surtout Antonio, que la table seule aurait fait ami du comte de Champlitte. Du reste, cet étranger n’est guère signalé dans les Mémoires du temps que par les violences et les déprédations qu’il exerça sur le pays. Au lieu de se borner à le

(1) Histoire des aires de Vergy, p. 353.

(1) Mémoires de Champagney, tome III, lettre du 9 janvier 1595. Le comte de Champlitte était marié à Gatherine Chabot, fille de Léonor Chabot, comte de Charny, lieutenant général au duché de Bourgogne, et de Françoise de Bye, dame de Neuchatel, Amancey, Montrond, Bourguignon, Renaucourt, Lavoncourt, Choye, Poinson, etc. (DUCHESNE, ibid.)

(8) A ce moment nos pays sortaient d’une peste qui en avait horriblement maltraité les populations : vesoul avait perdu les deux tiers de ses habitants,

défendre, tout récemment il avait porté ses courses en Lorraine ; provocation fatale, dont l’ennemi fut heureux de profiter pour tomber sur le Comté, et d’abord sur Jonvelle. Tremblecourt et d’Aussonville s’ébranlent à la fois, en plein hiver (24 janvier 1595) ; ils paraissent le même jour aux portes de cette ville, du côté de Châtillon, avec dix mille hommes, infanterie et cavalerie, et la somment de se rendre. Le commandant de Villers fut assez lâche et assez traître pour obéir à cette première injonction, sans avoir entendu ni tiré un seul coup d’arquebuse, et pour subir une honteuse capitulation, qui devait livrer l’entrée du pays, épouvanter les autres villes, et coûter aux bourgeois de Jonvelle une rançon de quatre mille écus, Du moins, c’est à cet officier que le baron de Renaix, sur les plaintes de Villeneuve, reproche toute la honte de cette reddition précipitée (1). Quant au gouverneur de la place, dont la bonne garde et la vaillance étaient tant vantées par son bon oncle, trois mois auparavant, vit-il dans cette circonstance ses ordres méconnus, ou bien l’humanité lui fit-elle un devoir de céder àla force et de ne pas exposer la ville et les citoyens aux horreurs inévitables d’un assaut? On peut supposer l’un et l’autre. Quoi qu’il en soit, Antonio fit d’abord assez bonne contenance dans le château, défendu du côté de la ville par la double fortification de ses murailles et de la Saône, Mais Tremblecourt force le pont, pénètre dans le faubourg Sainte-Croix, qui est livré aux Ilammes, porte ses batteries au midi et les pointe contre les antiques et épais remparts de la forteresse. Le douzième

(1) Mémoires de Champagney, VI, 1.

coup de canon vit tomber la vaillance du capitaine, qui se rendit après deux jours de siège, et put se retirer vie et bagues sauves, comme le commandant de la ville. Le vainqueur laissa dans la place une garnison et du canon, que le maréchal de Biron lui fit passer ; car il importait d’assurer une place qui était la clef du pays. Puis il poursuivit sa marche en avant. La première digue était rompue : le flot de l’invasion allait envahir la contrée, comme un torrent furieux, sans rencontrer nulle part une barrière capable de l’arrêter.

Ce fut par une dépêche du baron de Villeneuve que le comte de Champlitte apprit, vers le 5 février, l’attaque inopinée des Lorrains et la prise de Jonvelle. Il se montra très affecté de ce premier échec ; mais en l’annonçant au prince infant, il en rejeta la faute sur le parlement, qu’il ne consultait jamais. C’est alors seulement qu il s’occupa de faire de nouvelles levées, en convoquant les élus et l’arrière-ban des bailliages d’Amont et d’Aval, et en demandant des troupes aux Suisses et au duc de Savoie (1), Mais déjà, descendant librement les deux rives de la Saône, étendant partout le pillage, l’incendie et la mort, Tremblecourt à droite, Aussonville àgauche, s’étaient donné rendez-vous à Vesoul, au coeur du bailliage. Toutes les places durent être emportées sur leur passage. Les manuscrits contemporains signalent en particulier, comme ayant été la proie de la force et du brigandage, d’un côté Jussey, malgré ses deux cents élus, Chauvirey, Mercey, Scey-sur-Saône, Traves, la Charité, Port-sur-Saône, Charriez ; d’un autre côté Demangevelle, Richecourt, Vauvillers, Luxeuil,

(1) Mémoires de Champagney, IV, 73, 79; Dole, 6 lévrier 1595.

Amance, Baulay, Polaincourt, Clairefontaine (1) et Faverney. Aussonville ne trouva de résistance sérieuse que devant Amance, qui , après plusieurs semaines d’une défense héroïque, ne laissa entrer l’ennemi que par la brèche du canon (2) Partout régnaient l’épouvante et le désespoir : l’antique énergie des FrancComtois, qui s’étaient si bien montrés sous François de Vergy, avait fait place sous Claude, son fils dégénéré, àune terreur universelle, qui dépeuplait les villes et les villages. La plus grande partie des habitants, emportant ce qu’ils avaient de plus précieux, fuyaient au fond des bois et des cavernes retirées, pour y trouver un asile contre la violence et la rapacité du soldat (3) D’ailleurs, on croyait le gouverneur vendu au roi de France et complice de l’invasion. Champagney n’hésite pas à dire que Jonvelle fut livré par trahison , ainsi que Chauvirey et d’autres places. Ses accusations répétées sur ce point dénoncent le comte de Champlitte et ceux qu’il appelle ses créatures, Fauquier de Chauvirey, Philippe d’Anglure, sieur de Guyonvelle et frère utérin de Fauquier, enfin le

(1) Le curé de Polaincourt, l’abbé et le prieur de clairerontaine, furent emmenés prisonniers et traînés de village en village, avec toutes sortes d’avanies. Cependant le général finit par les mettre en liberté. (Afémoire sur Clairefontaine, p. 227-228.)

Baulay en particulier fut tellement ruiné et dépeuplé, que ses registres de baptêmes n’offrent aucun acte pendant deux ans (1595-1596).

(1) " Amance a fait le saut, " écrit Champagney, à la date du 3 mars. (Mém., IV, 92 à 106.) Cette ville était environnée de bons remparts de quatre mètres d’épaisseur. son château, bâti par la comtesse Alix, aa treizième siècle, avait des murs non moins solides, flanqués de dix tours élancées et ceints de rossés profonds. (Annuaire de ta Haute-Saône, 1845 )

(8) D. GRAPPIN, ibid., 132.

président Richardot de Morey, aussi parent du sieur de Chauvirey. Guyonvelle, gentilhomme du duché, était un ardent ligueur, homme remuant, tour à tour Vendu au service de l’Espagne et de la France (1). Quoi qu’il en soit, le capitaine de Villeneuve fut arrêté par les ordres du gouverneur, peu après la prise de Jonvelle, puis relâché sans jugement, mais néanmoins destitué. Fauquier obtint sa charge (14 décembre 1595); il était alors en fonctions à la cour de Bruxelles, et il parut peu à Jonvelle (2) Pendant que Vergy commandait ses levées et annonçait à la province les divers secours qu’il Venait de solliciter, les ennemis, maîtres de Port-sur-Saône (9 février>, se présentaient devant Vesoul, dont les murailles étaient ouvertes, et qui n’était gardé que par deux compagnies d’élus, jeunes conscrits venus depuis trois jours des prévôtés de Montjustin et de Cromary. La place capitula, comme Jonvelle, sans coup férir, en payant douze mille écus et en livrant tout ce que les étrangers et les retrahants y avaient apporté en dépôt; puis, malgré le traité, la ville fut encore livrée au pillage (18 février). Gy eut le même sort, neuf jours après; mais il coûta plus cher à Tremblecourt. Le sieur de Villers, qui commandait la petite garnison de cette place, brûlant de rentrer en Franche-Comté,

(1) Mémoires de Champagne y, VI, fol. 61, lettre à Son Altesse l’archiduc Albert, texte espagnol; Mém. de Cuill. de Tavannes, cités dans les Mémoires de l’hist. de France, jre série, tome XXXV, p. 361, 366, 367; Chronique novénaire de Palma-Cayez, citée ibid., tome XL, p. 211.

(2) Chambre des comptes, 5é regist., fol. 33; Mém. de Champ., VI, I et suiv.; S mars 1597, lettre à du Faing; 5 juillet, id., lettre à l’archiduc, texte espagnol, fol. 59; 10 août, id., lettre à du Faing, fol. 98 verso.

et d'abord à tomber sur Gray, qui, toujours par la faute du gouverneur de la province, était sans vivres ni munitions de guerre. Pour cette nouvelle invasion, Biron n'attendait que l'expiration du temps accordé, au roi d'Espagne pour la ratification du traité de Lyon. Sur la première nouvelle qu'il eut des exploits du comte de Champlitte, il -lui dépêcha le grand prieur de Champagne, Charneson, gouverneur de la Romagne, chargé de ses réclamations. L'envoyé arrivait à Jonvelle huit jours après l'expulsion des Lorrains. Il s'aboucha immédiatement avec le comte , et ils dressèrent ensemble (13 octobre) le procès-verbal de leur conférence, en forme de dialogue, dont voici le résumé :

Le grand prieur. Jonvelle a été repris par une violation flagrante de l'accord du 23 septembre, stipulant que cette place, ainsi que Jussey et Faucogney, ne serait rendue que quatre semaines après cette date. Je demande en conséquence qu'elle soit remise entre les mains de Tremblecourt, pour quatre semaines. Le comte de Champlitte. Je n'ai point agi sciemment contre le traité de Lyon, puisque je ne l'ai connu que le 6 octobre, deux jours après la capitulation finale de Jonvelle. Du reste, je ne puis rendre cette place sans l'autorisation de mon souverain, de qui je ne puis avoir de réponse avant l'expiration des quatre semaines fixées par le traité. D'ailleurs, je n'aurais de lui qu'une réponse négative.

Le prieur. Au moins, conformément à l'article 2 du traité, rendez au maréchal le canon, les munitions et les trains d"artillerie que vous avez trouvés à Jonvelle et qui sont au roi de France. Le comte. Tout ce butin m'a été cédé par la capitulation. Cependant, je soumettrai la chose à mes augustes maitres; et si leurs députés, avec ceux du roi de France et ceux des cantons suisses, conviennent de cette restitution, je la ferai.

Le prieur. Qu'il soit fait justice des incendies, violences et assassinats commis en France par les Comtois, au mépris de l'accord. Le comte. J'ai toujours défendu ces excès et je suis prêt àles punir, mais en vous demandant la réciprocité; car, pour un village brûlé en France, les vôtres en ont brûlé dix en Comté.

4° Le prieur. Qu'il soit permis à Tremblecourt de lever les tailles qui lui sont dues pour le passé et pour les quatre semaines fixées dans le traité. Le comte. Le traité interdit toute violence, et il ne mentionne ni tailles ni contributions à lever par Tremblecourt.

5° Le prieur. Faites évacuer Fouvent, Richecourt, Chaussin et autres forteresses de France tenues par vos gens. Le comte. Je le ferai (1) quand vous serez disposés vous-mêmes à rendre les places que vous tenez dans notre province. En attendant, j'ordonnerai, sous des peines sévères, à nos garnisons logées en France de respecter votre territoire.

6° Le prieur. Envoyez des commis à Dijon pour approuver le traité de paix.

(1 ) Le connétable fit rendre ces places aux Français le 18 octobre suivant. (D. GRAPPIN, ibid., 199.)

Le comte. Ils y seront au jour que fixera le maréchal ; mais il faut aussi que la France envoie les siens à Dole.

Le prieur. Rendez les canons et autres meubles qui se trouvaient dans le château de Richecourt. Renvoyez àTremblecourt les chevaux de l'un de ses officiers resté àJonvelle par suite de blessures, et ensuite mis à mort au mépris du droit des gens. Enfin restituez à qui de, droit tous les prisonniers, meubles et bétail saisis par vous dans les forts et châteaux que vous avez recouvrés depuis le 23 septembre. Le comte. Tout le mobilier de Richecourt a été rendu au sieur dAigremont, héritier du sieur de Meuse. Aucun officier ennemi n'est resté à Jonvelle; ils en sont tous sortis avec chevaux, armes et bagages. Je mettrai tous mes soins pour faire rendre tout ce qui vous a été pris depuis le 6 octobre, àcondition que le maréchal en usera de même envers nous, et dorénavant je punirai tous les violateurs de la paix (1).

Charneson repartit aussitôt avec ces réponses, accompagné du sieur de Montot, que Vergy députait. auprès de Biron et de Tremblecourt, au camp de la Romagne. Le maréchal accepta les explications données par le comte de Champlitte, et signa la neutralité que Montot lui proposa de sa part, et dont un article portait que les garnisons étrangères de Jussey et de Faucogney évacueraient ces deux villes dans six jours, à compter du 15 octobre. Tremblecourt cependant fit encore des bravades et des menaces : " Bon gré malgré vous, dit-il à l'en

(1) Pièce communiquée par M. Laboulaye, bibliothécaire-archiviste de la ville de Langres.

voyé du comte, je tiendrai Jussey et Faucogney jusqu'au paiement des dépenses que j'ai faites pour les fortifier, et même jusqu'au remboursement de tous mes frais de guerre, depuis la neutralité de Lyon.- Si nous n'avons sur les bras que vous et vos troupes, lui répondit Montot, nous n'aurons guère peur (1). "Cette affaire terminée, Vergy s'occupa de donner satisfaction aux plaintes universelles, en remédiant aux désordres des gendarmeries, qui, faute de recevoir des munitions régulières, vivaient sur le bonhomme avec la dernière brutalité. Il fit à ce sujet une circulaire, datée de Jonvelle, 22 octobre, qui fut adressée aux officiers de Vesoul, Gray, Baume et Luxeuil. On leur commandait des réquisitions de vivres pour quinze jours. Les quatre prévôtés d'Amont, Vesoul, Montjustin, Cromary et Jussey, devaient fournir, pour chaque jour de cette quinzaine, une queue de vin, 1,600 livres de pain bis bien panneté, 800 livres de chair de boeuf, 850 bottes de foin de quatre livres chacune, 200 bottes de paille de huit livres chacune, 200 rations d'avoine chacune de quatre picotins, faisant le douzième du boisseau de Portsur-Saône (2). Les contributions de la terre de Jonvelle

(1) D. GRAPPiN, ibid., p. 149, et aux Preuves, p. 44.

(2) Les ordonnances de 1587 et 159& avaient déterrniné pour mesure légale des liquides la queue de Beaune , contenant 365 pintes de Dole (la pinte, un peu plus du litre). Le boisseau de Port-sur-Saône (30 livres) était la mesure légale pour les grains. (D. GRAPPiN, Recherches sur les monnaies, poids et mesures, p. 180 et 189.)

Dans un commandement de contributions de vivres, fait le 22 mai précédent, pour les troupes espagnoles, la ration de pain est réglée à 25 onces poids de marc, et celle de vin à une pinte. (Gorresp. du parlem.' B, 653, liasse 129.)

étaient réservées pour la garnison de cette place (1). Le comte de Champlitte quitta Jonvelle les jours suivants, en y laissant son lieutenant' le sieur de Rye, avec ordre de faire tenir ses commandements à leur adresse. Mais celui-ci' aussi négligent que son chef dans une mesure qui demandait tant de célérité, ne fit partir les circulaires que le 2 novembre, dix jours après leur date. Leur exécution fut dirigée avec la même incurie : elles restèrent lettres mortes' comme tous les actes administratifs du gouverneur; ou du moins' malgré les vivres fournis, les compagnies continuèrent de plus belle leurs excès demeurés irnpunis. Pendant l'hiver suivant' la restitution du canon français resté à Jonvelle avait été réglée entre les deux puissances. Néanmoins Biron ne l'avait pas encore reçu à la fin d'avril (1596), et il menaçait la Franche-Comté de ses armes, si on ne lui faisait pas justice sur ce point, si on ne lui rendait pas Seurre, et si on l'empêchait de tirer des munitions de la province. On savait au reste que la guerre était dans sa pensée ; de plus, on n'ignorait pas que le roi de France y était poussé par son conseil (2). Les vrais patriotes étaient donc vivement alarmés' surtout quand ils considéraient que le pays, désolé par la famine, se trouvait sans argent et sans provisions, comme il était sans discipline; quand ils voyaient que les troupes étrangères, appelées pour le défendre' voire même les compagnies indigènes, ne songeaient qu'au pillage, et que le gouverneur lui-même semblait devenu

(1) Corresp. du parlem., ibid.

(2) Mém. de Champagney, Y' lettre à du Faing, 30 avril 1596.

le plus grand ennemi de la province, par son administration déplorable, par ses concussions scandaleuses et ses intelligences avec les Français. Qu'on juge de l'état des choses et des esprits par les doléances du sieur de Champagney, qui pourtant semblent trop amères et trop passionnées pour ne pas être suspectes de quelque exagération. Selon lui' le capitaine Antonio, depuis sa sortie de Jonvelle, s'était comporté dans le bailliage d'Amont avec les mêmes excès que les Routiers, les Ecorcheurs et les Tard-Venus d'autrefois. Amance, Faverney, Flagy' Noroy-l'Archevèque, les environs de Luxeuil , avaient subi ses rançonnements et les ravages de ses soldats (1), sous prétexte que la province ne le payait pas. Et pourtant il était bien venu auprès du gouverneur (2). Du reste, les compagnies deVergy, qui formaient les garnisons de Jonvelle et de Jussey (3)' ne se comportaient pas mieux que les étrangers; et le comte, loin de punir ou de réprimer ces violences' passait pour en tirer son profit. Il y joignait ses dilapidations personnelles' par exemple en se faisant donner par le trésor des sommes énormes pour monter des recrues qu'il ne levait pas. Il s'était fait

(1) Tellement que Champagney ne put aller aux bains de Luxeuil. (Ibid., V, 254. Lettre à du Faing, 16 décembre 1596. Voir aussi lettre àl'amiral d'Aragon, texte espagnol, 20 janvier 1596.)

(2) - Le conte de Champlite n'a cessé d'yvrongner avec le capitaine Antonio, et Dieu veuille qu'ils ne s'entendent avec les François, par le moyen du prieur de Champaigne, commandeur de la Romagne, que fust encore l'autre jour avec luy à Autrey, à faire grande chère. . (Ibid., 30 avril 1596, lettre à du Faing.)

(3) Jusqu'à l'été (1596), le château de Jussey avait été confié au sieur de Guyonvelle. Le comte de Champlitte l'en fit sortir par les ordres de l'archiduc, et Guyonvelle se retira au château de Vaivre, près de Vesoul, qu'il avait acheté, et dans lequel il fit transporter son mobilier de Beaujeu. (Mémoires de Champagney, V, 272 lettre à (lu Faing, 21 décembre 1596.)

payer douze cents écus pour avoir battu la place de Jonvelle' contre laquelle le baron de Renaix prétend qu'on ne tira " oncques cinquante coups de canon. "Celuici va jusqu'à lui reprocher de s'entendre avec Nicolas de Watteville pour s'accommoder ensemble des calamités du pays, et d'avoir assez gagné' dans la dernière guerre , pour acquitter ses dettes et acheter une seigneurie (1). Cependant la guerre contre la Franche-Comté avait été résolue à Paris' dans le mois de février 1597, et la province se préparait à la soutenir. Déjà les troupes ennemies se formaient en Bassigny et en Lorraine' aux portes de Jonvelle, qui toujours était le point de mire de ce côté. Tremblecourt avait été assassiné par un des siens, à Remiremont, l'année précédente ; mais Aussonville était encore là' prêt à une seconde invasion. Un gentilhomme français lui donnait la main ; c'était le sieur de Guyonvelle, acheté par Henri IV et devenu traître à la Franche-Comté' pour se venger d'avoir été disgracié par l'archiduc et mis hors de Jussey' dont il commandait la garnison. Il avait offert aux Français de leur ouvrir le Comté, en leur livrant, avec la plus grande facilité, la place de Jonvelle. En effet' à ce moment, cette ville se trouvait sans garnison et sans chef militaire, Fauquier de Chauvirey, son gouverneur, étant toujours àBruxelles. " Aussi' ajoute Champagney' les habitants de ceste place' ceulx de Vesoul' Luxeuil et les alentours, se réfugient-ils' avec ce qu'ils peuvent de leurs

( 1) Mém. de Champ Y, 27 avril. 15 mars 1598, fol. 115, et tome VI, 55, 16 décembre 1596, lettres à du Faing.

biens' à Montbéliard' terre hérétique. Il y a un tel effroi dans tout le bailliage d'Amont, que cela seul est un appel à l'ennemi Quant à Monsieur de Champlite, il ne sçait que vendre nos secrets aux Français' qui le pipent, et ruiner le pays Il ne sçait que mépriser les advis de la cour et donner sa confiance à des hommes indignes' notamment au sieur de Villers, qui a rendu Jonvelle et Gy aux ennemis (1). " Mais dans ses quotidiennes philippiques, le comte de Champagney poursuivait avec le même acharnement le président Richardot de Morey, et surtout le sieur de Chauvirey,qui avait supplanté son neveu de Villeneuve dans le gouvernement de Jonvelle. Ces plaintes et ces cris d'alarme étaient du 5 mars 1597. Cinq jours après, les troupes de Philippe Il surprirent Amiens' événement trois fois heureux pour la Franche-Comté, qu'il sauva des malheurs d'une nouvelle guerre' en obligeant Henri IV à tourner ses efforts du côté de la Picardie. Le traité de Vervins (2 mai 1598) rétablit la paix entre l'Espagne et la France. Philippe Il s'empressa d'en profiter pour mettre ordre au gouvernement des PaysBas et de la Franche-Comté' qu'il donna en souveraineté à son neveu, l'archiduc Albert, destiné àdevenir son gendre par son mariage avec l'infante Isabelle. Le vieux roi mourut la même année, sans voir cette union, qui ne fut célébrée que l'année suivante. Fidèles aux recommandations testamentaires adressées par leur père à

(1) lbid., VI, fol. 1, lettre au même; Dole, 5 murs 1597. 

Philippe Ill' son fils et successeur (')' Albert et Isabelle mirent tout leur zèle à maintenir leurs Etats en paix avec la France et à les préserver de l'hérésie. Dans le premier but' ils renouvelèrent, en 1600 avec Henri IV, et en 1610 et 1611 avec Louis XIII, la neutralité de la Franche-Comté. Pour atteindre le second but, qui leur tenait encore plus au coeur, ils surveillèrent avec la plus grande sollicitude les agressions menaçantes des hérétiques, dont la province était assiégée au nord et àl'est, et se crurent même obligés de réveiller sur ce point l'attention de l'archevêque Ferdinand de Rye. Il fut prié de visiter les paroisses de son diocèse, qui, pour la plupart, n'avaient pas vu leur premier pasteur depuis mémoire d'hommes vivants, et qui cependant en avaient un besoin des plus urgents' dans les circonstances périlleuses du moment (1). Cette pieuse sollicitude fut couronnée d'un plein succès. Ce digne prélat, qui gouverna le diocèse pendant cinquante ans avec autant de zèle que de vigilance, y fit revivre la discipline' affaiblie par les malheurs de la guerre. Prieur de Saint-Marcel (1580) et abbé de Cherlieu (1586), il rendit à ces monastères, sinon leur ancienne splendeur' du moins leurs titres et

(1) Mémoires de Champagney, VI, 170, lettre du cardinal de la Baume au comte de Champagney.

(2) Corresp. du parlem., B, 638, liasse 180, Dole, 8 mars 1604; lettres du comte de Champlitte et du parlement à l'archevêque de Besançon. Claude Il de, Vergy était mort en 1603, sans enfants, laissant son héritage à Clériadus de Vergy, son frère cadet, baron et seigneur de Vaudrey, Arc, Mantoche, Leffond, Morey, la Rochelle, etc., marié à Madeleine de Beauffremont, fille de Claude de Beauffremont, lieutenant général du duché de Bourgogne. Leurs Altesses Sérénissimes, trouvant en Clériadus un gentilhomme plein d'honneur et de vertus, furent heureux de lui confier le gouvernement des comtés de Bourgogne et du Charolais (1602), qu'il garda vingt-trois ans. (Hist. des sires de Vergy, p. 337.) 

leurs biens. Il érigea en paroisse l'église de Vauvillers démembrée de celle de Montdoré (1605)' et fonda des familiarités régulières dans les églises de Jonvelle (1607) et de Jussey. Son épiscopat eut l'honneur et la consolation d'être le témoin ' dans notre pays' du plus grand des miracles. Les fidèles accouraient en foule, pendant les fêtes de la Pentecôte' à l'église abbatiale de Faverney, si célèbre par l'invocation et les faveurs de la Mère de Dieu. Tandis qu'ils satisfaisaient leur dévotion en vénérant le très saint Sacrement exposé et en cornmuniant pour gagner les indulgences annoncées , une troupe de libertins et d'hérétiques, rassemblés à Passavant' dans la maison d'un riche huguenot nommé Barrey, tournait en dérision la piété catholique et vomissait le blasphème contre la divine Eucharistie' contre les indulgences et le culte rendu à la Vierge Marie. Dieu prit en main sa cause et l'impiété se vit confondue de la manière la plus éclatante (1608). Le miracle de Faverney' dont l'authenticité, établie par Ferdinand de Rye, vient d'être solennellement consacrée par un décret de Pie IX (8 décembre 1862), affermit les peuples dans la foi au dogme de l'Eucharistie' en même temps que leur dévotion pour Notre-Dame se signalait dans les environs par l'établissement des confréries de l'Immaculée -Conception, et dans toute la province par l'érection de la sainte Madone sur les grands chemins et au frontispice des maisons. Albert et Isabelle étaient des maîtres trop paternels pour que les habitants de Jonvelle et de son ressort n'obtinssent rien de leur générosité. D'après leur humble requête' les Altesses Sérénissimes visèrent les chartes qu'ils avaient reçues de différents souverains, depuis cent quarante ans, et qui les dispensaient entièrement de contribuer aux tailles' subsides et impôts du Comté. Considérant que ce privilège leur avait été accordé en récompense de leur courageuse fidélité' "ayans maintes fois résisté aux sièges des ennemis' pour se trouver limitrophes de France et de Lorraine' de sorte que' par telle résistance, ils ont perdu la plus grande partie de leurs biens, tel que récemment dans les guerres de l'année 1595' " les archiducs confirmèrent les suppliants dans toutes leurs franchises et immunités, par un titre solennel donné à Bruxelles le 22 septembre 1609 (1). La date du 13 décembre 1611 nous signale des lettrespatentes du roi d'Espagne accordant pour quarante ans, moyennant un rendement annuel de trois cents francs' l'acensement des bois royaux de la terre de Jonvelle' en faveur des habitants de Jonvelle' Voisey' Ormoy' Corre, Fignévelle, Godoncourt' Villars-Saint-Marcellin' Selles et Montdoré. Cet acensement est suivi de la suppression complète de la gruerie' ou affermage de la garde et des amendes (2). L'année suivante, Leurs Altesses firent renouveler la reconnaissance des droits seigneuriaux pour Jonvelle Voisey, Selles Godoncourt Fignévelle, Corre Ranzevelle Ormoy' Villars-Saint-Marcellin Ameuvelle Raincourt, Bousseraucourt Moncourt et Montdoré. Cette reconnaissance se fit à peu près comme en 1537. Les droits seigneuriaux constatés consistent en tailles

(1) Voir aux Preuves.

(2) Archives du Doubs, 0, 115 ; Cour des comptes, J, 17.

cens d'argent , d'avoine' de lin' de cire, de poules ou chapons, droits de pêche, corvées, épaves et fermes diverses. Dans la cote de Selles, le premier sujet nommé est Jean du Houx' pour la verrerie. Le seigneur avait des forges àGodoncourt et dix-huit sujets à Villars. Les habitants d'Ameuvelle ne lui payaient d'autre droit qu'un penaut d'avoine' pour droit de pâturage sur Jonvelle, au lieu dit en Revillon. L'année précédente (1610), les archiducs, informés qu'il se commettait des abus dans les levées de Parrièreban' destiné à la garde et au service du comté de Bourgogne' ordonnèrent au parlement et au gouverneur, Clériadus de Vergy, d'y porter remède. En conséquence' ils nommèrent chacun deux commissaires, qui dressèrent une nouvelle répartition des contingents militaires, avec toute la justice possible (1614). En vertu de cet état' la terre de Jonvelle du[ fournir deux chevaux légers, deux arquebusiers àcheval, sept hallebardes, vingt-cinq piqueurs , vingt mousquets et trente-deux arquebusiers, non compris la moitié du contingent de la terre de Vauvillers, qui donnait l'autre moitié à Luxeuil. De plus, les domaines tenus dans la chàtellenie par des seigneurs particuliers, étaient imposés en argent et en hommes, suivant leurs revenus. Ces règlements sont surtout intéressants parce qu'ils donnent la population de chaque village. Les communautés les plus considé

(1) Chambre des comptes, J, 16. En 161%, le 31 décembre, acensement pour 129 ans du moulin de la Mugnelle (Minelle) à Jacques Pelletier, moyennant 4,0 sols estevenants de rente annuelle.

rables de la seigneurie de Jonvelle étaient Voisey, renfermant 230 feux' Jonvelle' 189, Ormoy' 131, et Godoncourt' 127 (1) .

Humbert-Claude de Fauquier-Chauvirey, capitaine ou châtelain de Jonvelle, fut remplacé dans cette charge par Sébastien Perrot (1605)' ensuite par Guillaume Bourgeois' de Dole' qui la fit exercer par Valentin Sujet' son lieutenant (1610). Il paraît que l'administration de celui-ci fit jeter les hauts cris, pour ses abus étranges, et l'on sentit plus que jamais l'inconvénient de deux tribunaux séparés, celui du capitaine et celui du bailli; car la multiplication des officiers n'enfantait que divisions scandaleuses' sans compter que les appels indispensables d'un tribunal à l'autre amenaient instances sur instances, frais sur frais, et causaient immortalité de procès ; au lieu qu'auparavant le bailli connaissait de toutes les causes non privilégiées en première instance et non ressortissant, au siège de Vesoul, de la justice immédiate du souverain. Après la mort du châtelain titulaire, Leurs Altesses Sérénissimes, déterminées par ces considérations et faisant droit à la supplique des bourgeois de Jonvelle et des villages de la seigneurie' supprimèrent la châtellenie et la déclarèrent de rechef réunie au bailliage, comme les choses étaient anciennement. Ce décret' rendu en conseil privé à Bruxelles' la 7 avril 1618, reçut sa fulmination de la cour de Dole le 17 septembre 4620 M. Ainsi furent de nouveau cumulées deux fonctions,

(1) LABBEY Dr, BiLLY, Histoire de l'université de Bourgogne 11, p. 149, et aux Preuves.

(I) Archives de la Haute-Saône, bailliage de Jonvelle. B, 2818.

qui se trouvaient séparées depuis la mort de Claude-François d'Occors. Elles furent confiées au baron de Chauvirey, que nous avons déjà vu capitaine de Jonvelle (1595-1605). Il fut investi de cette charge, sous le titre de gouverneur' et il l'exerça jusqu'à sa mort (1625). Il fut inhumé dans l'église de Chauvirey. Son successeur fut Humbert-Claude-François Orillard de Fauquier' son fils, qualifié, comme son père, seigneur de Chauvirey-Dessous, de Chauvirey-Dessus en partie, d'Aboncourt, Gesincourt, Ouge, la Quarte, Vitrey, Nervezain, Vadans, etc. Il se faisait appeler Monsieur d'Aboncourt. Clériadus de Vergy mourut la même année' et l'archiduchesse, veuve du prince Albert depuis quatre ans' commit l'archevêque et le parlement au gouvernement du Comté.

 

 

 

 

 

CHAPITRE V.

 

GUERRES DU XVIle SIÈCLE.

 

§ 1er. Premières années de la guerre de dix ans.

 

( 1632 - 1636. )

 

 

Richelieu attaque la Franche-Comté. - Sac de Jonvelle. - Weymar et la Force menacent la frontière. - La peste. - Dégàts des coureurs. - De Mandre. - Fauquier d'Aboncourt emprisonné. - Grachaut de Raucourt. - Invasion des Suédois. - Warrods du Magny. - De Mandre renvoyé à la frontière de Jonvelle. - Siège de Dole.

Nous approchons de l'époque la plus malheureuse de toutes pour le pays dont nous écrivons l'histoire, ou du moins la mieux connue dans les détails de ses nouveaux désastres. Richelieu gouvernait la France. Après avoir dompté les calvinistes et humilié la noblesse, il poursuivait le troisième projet de son programme ambitieux, l'abaissement de la maison d'Autriche ; et pour arriver à son but' il n'avait pas reculé devant une ligue avec tous les hérétiques de l'Europe' les Hollandais' les princes luthériens d'Allemagne et le fameux Gustave-Adolphe, roi de Suède, qui entrèrent de toutes parts en campagne contre l'empire et contre l'Espagne. Notre province, qui formait presque une enclave dans la France, lui avait appartenu longtemps et à diverses reprises, et n'avait jamais cessé d'être convoitée par elle. C'était, dans la pensée du cardinal-ministre, une conquête des plus importantes à faire sur l'Espagne, et comme un joyau des plus précieux à rattacher à la couronne de son roi. Aussi la Franche-Comté fut-elle menacée, dès le commencement des hostilités, d'abord du côté de Lure (1632) , par le rhingrave Othon-Louis , déjà maître de l'Alsace en une campagne. L'archevêque dépêcha de ce côté le maréchal de camp Watteville (1) et le conseiller Girardot de Beauchemin. En quelques jours ils établirent sur la frontière quatre compagnies de cavalerie et quatre mille hommes de pied, dont la moitié venait de Jonvelle, de Jussey et des environs de Vesoul. Ces forces étaient sous le commandement des sieurs de Champagne, Latrecy, Montrichard, Courvoisier et Fauquier d'Aboncourt. Tenu en respect par cette rapide démonstration, le rhingrave rétrograda vers Strasbourg, après une vaine tentative contre Lure (2).

Malheureusement les milices bourguignonnes n'étaient pas organisées d'une manière permanente ; et, passé le péril imminent, elles étaient licenciées. Sur la fin de 1634, il ne restait en pied, dans le bailliage d'Amont, que le régiment d'infanterie de la Verne et trois compagnies de cavalerie, celle du marquis de Conflans, celle du sieur de Mandre' commissaire général de la ca-

(1) Marquis de Conflans, bailli d'Aval et gouverneur des armées de Bourgogne.

(2) GIRARDOT. Histoire de la guerre de dix ans, p. 29-40.

valerie, et celle de Brachy, de Jonvelle, levée par le duc d Lorraine pour le service du roi d'Espagne (1). Celle-ci était logée a Jonvelle. Le duc de Rohan profita de ce désarmement pour s'avancer avec son armée, par la Lorraine, jusqu'à la frontière de la Saône, avec mission de les reconnaitre. Des coureurs lorrains avaient détroussé le carrosse de Batilly, l'un de ses premiers lieutenants. Celui-ci rejette impudemment le fait sur la garnison de Jonvelle et se prépare à donner en curée à ses esca-drons le sac de cette ville. Le coup de main n'était pas difficile; car les soldats français avaient un libre accès dans la place et s'y trouvaient traités en amis. D'ailleurs, par une incroyable confiance en la paix du moment, malgré la présence menaçante d'une armée e ennemie, on avait négligé de munir Jonvelle de ses retrahants, dont pas un n'était à son devoir de guet et garde. Batilly fait partir cinq cents chevaux, dont les avant-coureurs, ayant l'air de gens en promenade, sont reçus à l'entrée de la ville sans le moindre soupçon. A l'instant ils dégainent le sabre, en criant: " France! Rohan! Mort aux voleurs! Tue, tue les Comtois! " Ils tombent sur le poste, qui est passé au fil de l'épée; la porte des champs est forcée, et bientôt après le gros de l'ennemi s'y précipite furieux, tuant tout ce cul résiste, citoyens et soldats, pillant toutes les maisons et commettant toutes les violences dont est capable

 

(1) GIRARDOT, ibid., 41, 69. L'effectif d'une compagnie de cavalerie, sur le pied de Flandre, était de cent hommes. Elle comprenait le capitaine, le lieutenant et le cornette, ayant chacun leur page; le chapelain, , quartier-maitre, deux trompettes, Un maréchal, un sellier, un armurier t quatre-vingt-dix maitres ou simples cavaliers. Mais rarement l'effectif était complet.

une soldatesque déchaînée. Cependant la petite garnison s'enferma dans le château et couvrit ainsi le faubourg Sainte-Croix, où les Français n'osèrent pénétrer. Le parlement de Dole connut le surlendemain cette étrange et perfide agression; en même temps Batilly lui manda qu'il n'avait envoyé ses cavaliers que pour châ-tier les voleurs de son carrosse. Mais la vérité fut bientôt mise au grand jour: le prince de Condé, le duc de Rohan et le parlement de Dijon ne purent s'empêcher de faire des excuses à Dole, en désapprouvant l'action de l'officier coupable. Leurs lettres hypocrites ou trompées protestaient que l'intention du roi de France était de maintenir la paix et de réprimer à tout prix de pareilles infractions. Mais quel fut le châtiment de celle-ci ? Batilly fut cité à l'ordre du jour de son général et récompensé par un avancement! Il en fallait moins pour amener d'autres hostilités sur notre pays. Peu de temps après la surprise de Jonvelle, le sieur de Chalencey vint rafraîchir un régiment tout entier de la même armée dans le village de Villars-Saint-Marcellin, avec licence de piller et de rançonner à son aise les malheureux habitants, qu'il tint plusieurs jours sous la pression du glaive et du mousquet. Bien plus, les armes du roi Catholique, exposées en place publique, furent arrachées avec les bravades les plus outrageantes; ce qui n'empêcha point les chefs des armées françaises de frontière d'assurer de nouveau que les deux rois étaient toujours en très bonne intelligence et en sincère paix (1634) (1). Le capitaine Brachy périt à la même époque,

(1) BoYvin, Siége de Dole. p. 19-20- Ici, aux Preuves, janvier 1336.

victime d'une iolence individuelle: il tomba sous le fer d'un assassin français, nommé Salins, qui fut arrêté plus tard à Blondefontaine, ensuite amené aux prisons de Jonvelle et livré à la justice du parlement. La compagnie de Brachy fut donnée au jeune Bresson, son beau-frère, dont le ère était commissaire et surintendant général des vivres militaires (1).

Le parlement se laissait donc endormir par les assurances d'une paix fallacieuse, et se reposait aveuglément sur le dernier traité de neutralité, conclu en t610 pour vingt-neuf ans. Sécurité fatale! Déjà Richelieu avait rompu avec l'empereur et avec l'Espagne. Les Français occupaient l'Alsace, la Ferrette, le Montbéliard et la Lorraine. Enveloppée de ses ennemis, isolée de tout appui, la Franche-Comté semblait au cardinal une proie assurée, quand il fit avancer contre elle deux armées, celle du prince de Condé pour l'attaquer par Dole, et celles du maréchal Caumonts de la Force et de Bernard duc de Saxe-Weymar, pour la menacer et la contenir en échec sur la frontière de Jonvelle. L'armée de Bernard portait le nom d'armée suédoise, quoiqu'elle ne fût composée que de troupes allemandes, parce que le prince avait été connu d'abord pour l'un des chefs du parti suédois, ennemi de la maison d'Autriche et de la ligue catholique d'Allemagne. En juin 1635, Caumonts poussa dans le bailliage de Luxeuil jusqu'à Lure. Charles IV de

(1) Corresp. du parlem., B, 792, Gray, 4 mai; Bresson à l'archevêque. Jean Bresson, le commissaire, était fils de Jean Bresson, premier échevin le Jonvelle, mort en 1628, et de dame Nicole Bresson. Cette famille fut anoblie vers la fin du xviie siècle.

Lorraine, qui servait l'empire et l'Espagne dans le Comté, depuis que Louis XIII lui avait pris son duché, fut chargé de tenir tète au maréchal et de le chasser de la province. Pour l'aider dans cette opération, le feld-génèral Gallass lui fit passer du Porrentruy quelques ré-giments de cavalerie allemande, hongroise et croate, qui donnèrent au pays la mesure de ce qu'il devait attendre de tels auxiliaires. Après avoir expulsé les Français, ils restèrent eux-mêmes sur les bras des Comtois, pires que des ennemis. Les troupes du colonel Collo-redo, logées à Faverney et dans le voisinage, courant en partis de trois ou quatre cents chevaux, commirent des excès inouis, pillages, meurtres, viols, incendies et sa-criléges, que leurs chefs étaient impuissants à réprimer. Trois villages furent saccagés près de Vesoul, et dans une église, les Allemands arrachèrent le calice des mains du prêtre célébrant. Il fallut armer les milices nationales contre ces cruels alliés. Le vieux capitaine Warrods, surnommé le Gaucher, l'un des échevins de Port-sur-Saône, eut le bonheur de repousser leurs tentatives contre ce bourg et contre Conflandey, dont ils voulaient forcer les passages afin de porter leur insatiable avidité sur les gros villages de Chargey et de Purgerot, qu'ils voyaient de loin s'étaler sur le flanc des coteaux opposés. Mais, hélas ! ce n'était que partie remise: l'année suivante devait ramener à ces rives de la Saône, non quelques escadrons, mais d'innombrables armées de ces alliés dévastateurs. En même temps qu'on les faisait charger par la force publique, la cour de Dole en écri-vit à Gallass, pour le supplier de punir son lieutenant, ou du moins de le rappeler à une meilleure conduite.

" Pourtant, ajoutaient les gouverneurs, Son Altesse l'archiduc et Sa Majesté, en nous recommandant de bien traiter leurs troupes, nous ont fait compter, par les promesses les plus rassurantes, que nous en serions contents nous-mêmes, attendu que Votre Excellence avait reçus à ce sujet les ordres les plus positifs et les plus instantes prières. " Le feld-général répondit une lettre favorable; mais pendant que ces dépéches voyageaient lentement, le mal continuait de plus belle, et il ne finit que par le rappel de Colloredo dans le val de Delémont (1).

La France ne fit sa déclaration officielle de guerre que vers la fin de mai 1636; mais dès la fin de 1635, les Suédois logés à Richecourt, qui était de~ Champagne, avaient pillé Selles, Passavant et Bourbévelle. Le capitaine Grachaut, sieur de Raucourt, en garnison à Jussey avec sa compagnie d'infanterie, fit part aux gouverneurs de cet acte d'hostilité, les suppliant de monter de la cavalerie. " En attendant, ajoutait-il, faites avancer deux compagnies qui sont à Dole et à Gray, pour épauler Jonvelle et toute la frontière jusqu'à Luxeuil (2). " Les auteurs de ces dégâts étaient de l'armée de Caumonts, cantonnée à neufchàteau; et pourtant, quinze jours après, il eut l'impudence brutale de sommer le gouverneur de Jonvelle de faire sortir tous les Lorrains et Français retirés dans cette place et dans le voisinage, sous prétexte que l'asile donné à ces sujets insoumis de la France était une

(1) Corresp. du parlem., B, 777, Il janvier, et 792, lettres de la cour à Gallass ; 17 janvier, réponse de Gallass; 784, 14 mai, lettre de Warrods à la cour, aux Preuves, 14 Mai 1636. GIRARDOT, P. 61

(2) Corresp. du parlem., B' 775, 1er janvier, lettre du sieur de Raueurt à de Mandre, commissaire de la cavalerie, à Gray.

atteinte à la neutralité. Le sieur de la Lane, lieutenant du colonel Gassion, s'étant présenté avec une escorte de dix cavaliers Pour signifier à Fauquier la demande impérieuse de son général, les réfugiés lorrains tombèrent sur eux, d 'abord au milieu de Jonvelle, où ils blessèrent le sieur de Mitry, puis dans leur retraite. Ce minime incident prit aussitôt les proportions d'une grosse affaire. Le maréchal demanda satisfaction au parlement, avec menaces de la tirer lui-même en cas de refus. La cour s'empressa de faire ses excuses, promit tout ce qu'on voulait, et donna ordre à Fauquier de mettre les coupables à la disposition du général français et d'expulser tous les étrangers de la frontière. En ceci, du reste, Aboncourt ne demandait pas mieux que d'obéir au parlement, à qui, depuis longtemps, il s'était plaint lui meme, plus fort que personne, de l'embarras et des désordres causés par ces partisans étrangers. Quant au blessé Mitry, plus de trente lettres furent échangées pour cette affaire, qui ne fut arrangée que dans les premiers jours de mars 1636 (1). L'ennemi était donc à nos portes, prêt à saisir tout prétexte pour les forcer. Mais déjà dès l'année précédente, la peste, succédant à la famine, ravageait le pays ainsi que les provinces voisines. En automne, Jonvelle et sa terre avaient perdu le tiers de leurs habitants. Les malades étaient généralement parqués sous des baraques, hors des villes et des villages, et nul, après avoir été suspecté de contagion, ne pouvait y rentrer sans quarantaine et sans autorisation légale. Ou bien,

(1) Corresp. du parlem., B, 778, 779 et 780. Voir aux Preuves, février et mars 1686.

quand le terrible fléau faisait invasion dans une demeure, les malades étaient consignés et la maison barrée, c’est-à dire marquée en noir d’une croix sinistre et douloureusement significative (1). En même temps la frontière était infestée de partisans de toute espèce, bandits, pillards et assassins, qui, par leurs courses en pays français, attiraient au Comté les plus désolantes représailles. Les officiers de Vesoul en écrivaient en ces termes aux gouverneurs " Messeigneurs, nous sommes obligés de reservir Vos Seigneuries que l’on commet un grand nombre de meurtres et de voleries, du costé de Jonvelle, Jussey, Char-lieu et autres limitrophes, où l’on trouve tous les jours des corps morts, et où les paisans voient souvent des robbeurs, en troupes de six, huict et même douze, embusqués sur les passages. Ils se retirent quelquefois dans les granges du voisinage de Charlieu. Quoiqu’ils déclarent en vouloir aux étrangers plustôt qu’à ceux du pais, néanmoins personne n’ose circuler aux environs de Jonvelle et de Jussey. Les pauvres laboureurs appréhendent de se mettre aux champs, avec leurs chevaux, pour les semailles prochaines (2. "

Cependant les projets hostiles de la France se révélaient de jour on jour plus manifestes. Le parlement, qui redoutait en particulier une surprise de Jonvelle, écrivit au gouverneur (20 février), alors en son château de Chauvirey, de se rendre de suite à son poste

(1) Ibid., 775 , les officiers de vesoul au parlement, 5 février.

Déjà les années 1631 et 1632 avaient été marquées par la famine, suivie de la peste.

(2) Aux Preuves, AS février 1636.

, de munir la place (1) et de commander tous les retrahants, au besoin de lever cent hommes dans le voisinage et d’appeler à son secours d’un côté la compagnie d’infanterie du sieur de Raucourt, logée à Jussey, et d’autre part les deux compagnies de cavalerie légère du sieur de Mandre, actuellement à Vesoul(2). En même temps ces deux capitaines recevaient ordre d’accourir à Jonvelle, sur la première invitation de M. d’Aboncourt. De Mandre y entra le 28 février, accompagné de Jean Clerc, bailli de Luxeuil, commissaire général des vivres et munitions (3). Quant au commandement donné aux retrahants, il fut àpeu près sans exécution. En homme du métier, de Mandre comprît aussitôt le péril de sa situation, et le jour même de son arrivée, il demanda du renfort (4) Mais déjà les gens de robe qui gouvernaient la province travaillaient à prôuver,

(1) ‘Comme les ruynes du chasteau sont sans musnitions, faîtes musnir. vous donnerez ordre de incontinent boucher la porte des champs (nord), jusques à ce que le danger soit passé. " (Lettre de la cour à M. d’Aboncourt, 12 février 1636; Corr. du parlem., B, 778.) A cette époque le château n’avait plus qu’une de ses quatre tours en passable état de conservation.

(2) Le capitaine de Mandre (Herman-François), dit le Jeune, seigneur de Montureux-lez-Gray, commissaire ou inspecteur général de la cavalerie, commandait deux compagnies de cavalerie légère, la sienne et celle du marquis de conflans. Il les amena de Baume à Jonvelle, par Monjustin, vesoul, Faverney et Corre. Le capitaine llumbert de Mandre, dit l’Ainé, son cousin germain, était aussi commissaire de cavalerie et commandait la garnison de Besançon, charge qui passa plus tard au jeune de Mandre. voir Notice sur la famille de Mandre, article Bougey.

(3) . Mes soldats et officiers sont logés dans les tavernes. Je paye toutes les fournitures comme dans les hostelleries de Dole et de Gray, de ma— giére à n’apporter aucun préjudice où ils logent. a (Lettre de de Mandre à la cour; Jonvelle, 4 mars.) a Nos gens vivent fort doulcement et contentent leur hoste, an sorte qu’ils sont bien venus. " (Jean Clerc à la çour, même date; corr. du parlem., B, 778.)

(4) " L’ennemy menace d’entrer dans la province, avec cavalerie et infanterie. Je n’ay pas assez de monde pour m’opposer à eux on divers

une fois de plus, leur inintelligence dans les affaires militaires, en révoquant leurs ordres précédents, et en faisant prévaloir de méticuleuses appréhensions sur les avis des officiers et des capitaines placés en face du danger. Informé et consulté par ses collègues de la cour, Ferdinand de Bye leur répond de sa résidence de Châteauvieux (3 mars) t a Il me semble, comme à vous, qu’il ne faut pas grossir les compagnies du sieur de Mandre, ni amasser tant de gendarmerie sur cette frontière, dans la crainte de provocations fâcheuses (1) " Il fallait pourtant des troupes sur cette ligne pour contenir les courses permanentes, soit des garnisons ennemies du voisinage, soit des Bourguignons eux-mémes, soit des partisans étrangers réfugiés sur notre territoire. En effet, le 3 mars, les sieurs d’Agay et de Mongenet, l’un avocat fiscal et l’autre lieutenant local d’Amont, écrivaient de Jussey à la cour a Il seroit bien à propos d’establir de bons corps de garde vers le pont de l’Amance, à la levée de Jussey, ainsi qu’à la barque de Cendrecourt, enfonçant toutes les autres jusqu’à Conflandey, car elles ne servent que de passage aux voleurs et à la distraction des grains. Pour donner un peu plus d’asseurance à ces parages, nous avons mandé ta compagnie des archers, pour les poster à Raincourt et à Betaucourt,

endroits. s(De Mandre à la cour et à d’Agay; Jonvelle, 37 et 28 février.)

Jean clerc, de son côté, ajoute: " Les menaces contenues dans les lettres du marquis de la Force et du colonel Gassion donnent de l’inquiétude. Gassion est à quatre lieues de Jonvelle, on 7 ou 8 quartiers. (Même date, ibid.)

(1) aux Preuves, 3 mars 1636.

où ils pourront, avec l’aide des paisans, barrer le chemin aux coureurs et empescher les effets de leurs incessantes menaces (1). " Mais déjà le parlement, inspiré dans un sens tout contraire, avait signifié à de Mandre de revenir à Vesoul aussitôt qu’il jugerait inutile la présence de ses compagnies à Jonvelle (fer mars); et celui-ci, voyant ses avis méprisés, convaincu d’ailleurs de l’inutilité véritable d’une centaine de cavaliers en face de tant d’ennemis et de besoins, se hâta de quitter un poste où il voyait son honneur ou ses hommes exposés à périr infailliblement. Dès le 4 mars, il avertissait la cour que la frontière était rassurée (2), et le lendemain il partait pour Faverney et Vesoul. Mais à peine est-il en route , que l’on apprend les plus effrayantes nouvelles : qu’on en juge par les bulletins du magistrat de Jonvelle. a 5 mars. Weymar est aux environs de Darney, avec quatre mille hommes, et il avance. Déjà une partie de son monde s’est jetée deux fois dans Montcour, à un demi-quart de lieue de Jonvelle, tuant un grand nombre de personnes, violant femmes et filles, emmenant prisonniers et bestiaux. Ils ont aujourd’hui saccagé Godoncourt, tué plus de cent quarante personnes, mis le feu au village et pris quatre cents pièces de bestail. Les gens de Thons, de Saint-Julien, de Mont, même de Bourbonne,

(1) Con. du parlem., B, 779.

(2) <Ma présence à Jonvelle a tenu l’ennemi en respect, donnant àcroire ces forces beaucoup plus considérables... . Reconnoissant cette frontière assez calme pour le moment, je partirai demain pour Faverney et vesoul. , Il termine on demandant un congé de trois jours pour aller à Gray s’occuper de ses affaires. (Jonvelle, 4 mars; de Mandre à la cour.) Jean Clerc, de son côté, donne la même assurance. (Aux Preuves.)

sont accourus avec des chariots pour enlever ce que les Suédois ont laissé. le 7 mars. À Bourbévelle, treize tentatives des mêmes ennemis. Les habitants de Jonvelle ont aidé ce village à les repousser. L'épouvante est partout : on se retire dans les lieux cernés. De la tour du chasteau de Jonvelle, on voit circuler à chaque instant de gros escadrons, tout à l'entour de nous. Ce matin, environ deux cents Suédois se sont approchés de nos murailles à portée de mousquet ; puis ils ont filé vers un petit bois voisin, pour y enlever le bestial qui s'y trouve retiré ; ce que nous avons empesché de nostre mieux. La nuit dernière, plus de soixante ennemis, mettant pied à terre, ont fait le tour de la ville pour la recognoistre. Deux bourgeois viennent d'estre tués dans les vignes, où ils travailloient (1). "Que ne pouvait-on pas attendre de ces Allemands luthériens, déjà si féroces pour le pays français qui les avait à sa solde? Un corps de cette armée sortait de Coiffy, après y avoir séjourné quelque temps, lorsqu'un coup de fusil, tiré du clocher , tua un des officiers de l'arrière-garde. Les Suédois, furieux, rentrent aussitôt dans le village et assouvissent leur vengeance dans le sang du pasteur et de trois cent quatre-vingt-huit personnes (2). L'ennemi fut moins entreprenant le reste du mois ; et dès le premier avril la cour, déjà rassurée ordonnait au sieur de Grachaut

(1) Corr. du parlem., B, 779.

(2) une inscription placée dans l'église rappelle ce tragique événement. (M. BONVALLET> Notice sur Coiffy p. 1")

de licencier incontinent la compagnie qu'il tenait à Jonvelle (1). Le temps était vraiment bien choisi pour une pareille mesure' lorsque vingt mille ennemis s'amassaient à l'entrée du pays' brûlant de l'envahir ' avec ou sans prétexte , et de recommencer la dévastation de nos frontières! Tout récemment ' ils venaient de courir Val-d'Ajol et Fougerolles. Quatre jours auparavant, les cavaliers de Batilly,et de Gassion avaient pillé et brûlé Menoux, sous couleur d'y chercher des impériaux qui avaient ravagé les territoires de Burville et de Montureux (2). On les repoussa sur Vauvillers -, mais, les jours suivants, secondés par les garnisons de Melay, de Blondefontaine, de Châtillon et de Richecourt' ils visitèrent Mailleroncourt, Ranzevelle' Fignévelle, Lironcourt, Grignoncourt, Bousseraucourt, Ormoy, Corre et Voisey' enlevant partout les chevaux, le linge, le lard et les grains' tuant les paysans et empêchant tout trafic et tout labourage. Rappelé de nouveau à Jonvelle par une lettre pressante du receveur Grosjean' le trop négligent d'Aboncourt annonça ces nouveaux malheurs à Messieurs de Dole, en les prévenant que Weymar était lancé sur le Comté par le roi de France. Il ajoute

" Nous n'avons plus ici que les habitants ' fort effrayés de ces nouvelles, et pas un retrahant ne veut ou ne peut venir faire son devoir au chasteau, malgré les commandements de Vos Seigneuries et les miens. " En effet, pas un retrahant n'avait paru à Jonvelle depuis quinze mois,

(1) Corr. du parlem., B, 781.

(2) Ibid. Jacob Cassion au gouverneur de Jonvelle ; Burville, 31 mars. - Vesoul, 7 avril ; le magistrat de Vesoul et les officiers d'Amont à la cour.

en dépit de tous les ordres donnés (1). Mais pendant que le sieur de Chauvirey dépêchait ces doléances, la tempête la plus terrible s'amassait sur sa propre tète. Déjà disgracié dans l'esprit du parlement, que sa mauvaise administration et ses absences continuelles de son poste, dans un moment si critique, n'avaient que trop justement monté contre lui, il fut accusé de complicité dans l'assassinat récent de Philippe du Châtelet, seigneur de Chauvirey-le-Vieil (2). Arrêté aussitôt par décret de la cour (18 avril), il fut conduit aux prisons de Dole par la maréchaussée et mis en jugement. Ce procès fut entendu pendant le siège de Dole , et le malheureux Fauquier, que l'honneur de son rang et de ses fonctions appelait à combattre en face les ennemis de sa patrie, se vit réduit à n'entendre leur fusillade et leur canon que du fond d'un cachot (3). Toutefois, il fut assez heureux pour en sortir, sinon innocent, du moins absous par la justice des hommes. Nous verrons plus tard la cour lui rendre sa confiance avec le gouvernement de Jonvelle. En attendant, cette commission fut donnée au capitaine de Raucourt, avec de nouveaux ordres pour les retrahants, qui furent tous sommés de venir faire le guet et garde continuel au château, ainsi qu'ils le devaient en cas d'imminent péril. On les autorisait néanmoins à racheter ce service à prix d'argent (4),

(1) Aux Preuves, 8 avril 1636.

(2) Il était fils de René du Chàtelet et de Gabrielle de Lénoncourt.

(3) Preuves, 9 et 18 avril.

(4) Nous avons vu que les sujets de la seigneurie pouvaient compenser le devoir de grand escharguet par une émine d'avoine.

et l'on ajoutait : " Levez douze ou quinze bons soldats à leurs frais pour les remplacer. Nous estimons que ce sera le mieux, tant pour la plus grande sûreté de la place,que pour le soulagement des retrahants, qui pourront ainsi vaquer à leurs travaux ordinaires (1). ) Mais ici nouvel abus, qui appelle bientôt l'intervention de la cour.Le gouverneur, les officiers et le conseil de Jonvelle, chargés de traiter ensemble avec les retrahants ' leur extorquèrent des sommes exorbitantes, six, huit gros et Même jusqu'à vingt sous par chaque jour de garde omise. Jornand, procureur fiscal. d'Amont, fut envoyé sur les lieux pour informer sur cette concussion (2) et y remédier. Cependant les avis se multipliaient sur l'imminente invasion des Français, et c'est des échevins de Jonvelle que le parlement reçut les plus positifs (3). L'armée de Weymar, forte de cinq ou six mille hommes d'infanterie, avec deux mille chevaux et quatorze canons, était condensée à Darney, pendant que le maréchal de la Force s'étendait, non moins puissant, de Neufchàteau à Blondefontaine et à Melay. La place de Jonvelle était des plus alarmées, avec sa garnison de quinze hommes et de quelques retrahants, avec sa population diminuée de moitié par l'épidémie. A ces nouvelles on écrivait de Dole au sieur de Raucourt : " Prenez garde à vous, levez une compagnie d'élus et jetez-la dans Jonvelle (26 avril). " Et Grachaut de courir péniblement après ses soixante trois hommes,

(1) Preuves, 12 et 18 avril. (2) Preuves, 23 avril. (8) Preuves, Ils avril.

qu'on lui avait sottement fait licencier trois semaines auparavant. En même temps, de Mandre l'aîné faisait apparition sur les lieux, pour informer et aviser sur les besoins de la situation.

Mais tandis que l'on épiait et calculait si maladroitement les probabilités plus ou moins grandes du péril, tandis que l'on hésitait à faire des armements et à garnir la frontière, de peur d'attirer ainsi les colères de l'ennemi' qu'il eût fallu plutôt contenir par une attitude solide el fière, le duc de Saxe et Caumonts, ouvrant subitement les hostilités' sans autre déclaration de guerre' lançaient leurs escadrons, le premier sur le Coney et Jonvelle, l'autre sur Jussey et la rive droite de la Saône (4 mai). Au nord, déjà les Suédois ont pris Ambiévillers et Fontenoy. Après un combat de cinq ou six heures, ils forcent Godoncourt, dont les habitants sont passés par les armes ou faits prisonniers. Montcourt, Ameuvelle , Grignoncourt, Fignévelle, éprouvent le même sort. De là les ennemis poussent à Jonvelle, qu'ils pensaient sur prendre' mais qu'ils affrontèrent inutilement , malgré l'absence du nouveau gouverneur (4-7 mai). Grachaut se trouvait à son château de Raucourt (1). C'est ainsi que la négligence des uns conspirait fatalement avec la maladresse et l'impéritie des autres pour livrer notre malheureux pays Bourbévelle, après un troisième assaut' est. également mis à feu et à sang. Corre, aidé par quarante soldats d'Ormoy' résiste pendant deux jours et succombe enfin, lorsque tous ses héroïques défenseurs ont mordu la poussière (10 mai) (2). Jussey, muni de quelque secours,

(1) Preuves, 7 mai.

(2) Corr. du parlem., B, 788. Diverses lettres, parties de Jonvelle, de

tient bon contre quatre escadrons français; mais ils se dédommagent sur les communautés voisines, Betaucourt, Cemboing, Raincourt, Gevigney et autres jusqu'à Melin, pendant que les Suédois saccagent Demangevelle' Vauvillers, Vougécourt, Venisey, Menoux, les Loges et Mailleroncourt. Du château de Saint-Remy, on suivait la marche de ces dignes fils des Vandales, à la sinistre lueur des flammes qui dévoraient tout sur leur passage. Le 14 mai , ils se présentèrent' au nombre de cinq à six cents chevaux, devant le château du Magny, que le sieur de Warrods, seigneur du lieu, surnommé le jeune Gaucher('), défendit vaillamment, pendant huit heures ' avec ses domestiques et quelques paysans ' contre quatre assauts successifs. Après le troisième, on le somme de se rendre, s'il veut obtenir quartier: " Cher ami, répond-il au trompette , va dire à ton chef que je suis le capitaine Gaucher, et que nous ne savons ce que c'est que rendre des places ni faire des compositions. " Le trompette revient en annonçant avec menace à (lu Magny que, le lendemain avant midi, il aura sur les bras Jussey et de Vesoul, annoncent ces malheurs au parlement. Grachaut en écrit de Raucourt, le 5 mai, tandis que le receveur Grosjean le faisait de Jonvelle, au nom du capitaine absent. Voir aux Preuves les lettres du receveur Symonnez , de Jussey , des officiers d'Amance et du sieur de Villers vaudey-Saint-Remy.

(1) Nous avons déjà nommé son père, Jean Warrods, capitaine de Port-sur-Saône. Il avait été gouverneur de Faucogney et s'était distingué par de brillants faits d'armes dans les guerres de Flandres. (GIRARDOT, p, 266, 267.) Son frère, le colonel Gaucher, nommé aussi Jean Warrads, sieur de Reulans, s'illustra pareillement, au secours de l'Espagne, dans les guerres de Bohême et de Flandres, et dans ses courses en France. au temps de la Ligue. Devenu riche négociant, il bâtit l'hôtel Saint-Juan, à Besançon. (GIRARDOT, ibid. ; Documents inédits de l'Académie de Besançon, 111, 111.) Les Warrods étaient de Gy.

 

toute la cavalerie suédoise. " Tant mieux! reprend le brave capitaine : plus vous serez de gens, et plus j'acquerrai d'honneur. à- Les ennemis reviennent à la charge; mais ils sont encore repoussés' avec perte de vingt-trois hommes et un grand nombre de blessés. Ils se vengèrent de cet échec inattendu en brûlant le village' dont ils emmenèrent tout le bétail. De là ils tombèrent sur Ormoy, communauté de deux cents feux, qui essaya vainement de se défendre. Le jeune Warrods écrivit ces détails le jour même à son père' à Port-sur-Saône' et celuir-ci les envoya immédiatement à la cour' après en avoir informé les officiers de Vesoul. La cour s'empressa de féliciter le vieux capitaine sur la belle conduite de son fils (1). Partout furent commis les excès que l'on pouvait attendre d'une soldatesque hérétique. Le parlement s'en plaignit en ces termes au prince de Condé, quelques jours après : " Parmi lesquels attentats ont esté outragées filles et femmes' en présence de leurs pères et maris, les sanctuaires profanés et brisés, les précieuses unctions (saintes hosties) jectées à terre et foulées aux pieds, les enfants à la mamelle égorgés' et ceux que l'espouvante avoit faict retirer dans les bois, courus et traqués comme bestes sauvages, puis tués inhumainement(%). (2)

(1) Preuves, 14 et 16 mai. Jean Warrods demandait deux cents hommes pour garder le PWage important de Port-sur-Saône, De leur côté, les officiers d'Amont, dans leur dépêche à la cour , s'étonnent qu'on laisse dans un si minime emploi un homme de mérite comme ce vieil officier. Ils ajoutent qu'il faut soutenir le chàteau du Magny, qui barre aux ennemie le chemin de Gray. (Lettre du 15 mai, B, 783.) Plus tard nous verrons les deux Gaucher honorés de divers commandement.

(2) Preuves, 19 mai.

Malheureusement les généraux ennemis pouvaient se plaindre aussi dé leur côté' et excuser toutes ces violences comme des représailles méritées. En effet' les mémoires de ce temps témoignent des horreurs exercées, dans ce même mois' sur la frontière française' par les compagnies lorraines des deux Clinchamp de Mailly' officiers du duc Charles au service de la Comté. Tout le Bassigny' déjà en proie aux ravages de la peste, fut saccagé et brûlé ' depuis Darney jusqu'à Langreà. À Fresnes et à Montigny-le-Roi, les Lorrains ' après le pillage et l'incendie' passèrent au fil de l'épée tous ceux qui n'avaient pu donner rançon pour s'arracher de leurs mains. Ecoutons le récit d'un contemporain' Clément Macheret' curé d'Hortes, sur un des lugubres épisodes de ces sauvages dévastations : " Ledict baron de Clinchamp se transporta au lieu de Varennes' assisté d'environ cent cavaliers, et après plusieurs tentatives' voyant qu'il ne pouvoit forcer le prioré (le château)' fit sommer la garnison de se rendre, la vie sauve, disant qu'à cette condition il ne brusleroit rien. Le sieur de la Motte, qui le commandoit, cognoissant la perfidie de Clinchamp, se refusoit à toute composition. Mais il finit par céder aux larmes et supplications des païsans, qui voyoient desjà s'apprester l'incendie de leurs. maisons. Après avoir receu la parole du colonel ennemi' il ouvrit les portes du prioré et sortit en capitaine, faisant honneur à Glinchamp de ses armes. Mais à l'instant on se jette sur lui, on le désarme et on le pend à un arbre voisin' sans mesme lui donner le temps de se confesser ni de former un acte de contrition. Pourtant il mourut la larme à I'oeil' criant mercy à Dieu et prenant la mort en gré, pour l'amour de la passion de Nostre Seigneur JésusChrist. Telle fut la rage et fureur de celui qui est d'une race qui ne peut estre sans fureur ni rage. " Ensuite le village fut livré aux flammes. " En ce mesme mois de mai, ajoute le chroniqueur' Clinchamp mit à rançon tout le païs, et leva environ treize mille pistoles' depuis la rivière de Marne jusqu'en Lorraine, et fut si téméraire que d'envoyer à messieurs du chapitre de Lengres un commandement de dix mille pistoles (1). Les horreurs et l'épouvante étaient bien autres en Comté. Les gouverneurs de la province répondaient par leurs condoléances et par des promesses de secours, aux cris d'angoisse partis de tous les points de la frontière de Jonvelle (2) Dès le 1er mai, le sieur de ChasseyPurgerot avait reçu ordre de former une compagnie d'infanterie à Jussey ; mais quinze jours après, il n'avait pas encore un seul homme autour de son drapeau, chacun redoutant de venir à Jussey à cause de la peste. Il fallut commandement sur commandement' et même de sévères menaces , pour obtenir l'obéissance des élus fournis par les communautés voisines, et même pour obtenir l'obéissance du capitaine, qui voulait une garnison de son choix, Morey ou Cemboing (3). D'un autre côté le pays n'avait pas un seul cavalier à opposer aux courses des ennemis,

(1) - Nota que la communauté d'Orthes estoit taxée à 200 pistoles; mais par l'entremise d'un certain homme d'Orthes, elle n'en paya que 50, qui furent empruntées du sieur Nicolas Voinchet, chanoine de Langres. . (Journal manuscrit de Clément ,Ifacheret, curé d'Orthes, fol. 12.) Ces Mémoires très intéressants , qui comprennent les années 1628 à 1658, sont entre les mains de M. Thiberge, maire de Bussières (Haute-Marne), qui nous les a communiqués avec une extrême bienveillance.

(2) Corr. du parlem., B, 783, 7 et 10 mai, lettres de la cour au capitaine et aux échevins de Jonvelle ; 7 et 8 mai, lettres de la cour à l'archevèque.

(3) Ibid. Lettre du sieur de Purgerot à la cour; Scey-sur-Saône, ô mai

 

et l'on réclamait à grands cris au ,moins les deux compagnies que le jeune de Mandre y avait montrées pendant quatre jours' un mois auparavant. L'une était à Vesoul' l'autre à Gray' avec son capitaine. Celui-ci reçut ordre de partir au plus vite' afin de rassurer la frontière de Jussey et de Jonvelle. Il eut' peu de temps après' la promesse que ses deux corps seraient complétés à cent chevaux chacun' et que les enrôlements auraient trente écus de prime' avec les rations sur le pied de Flandre (1). De Mandre était homme de coeur et d'action, excellent soldat et dévoué à son pays. Mais quand il se vit de nouveau jeté au milieu d'une situation si compromettante, que la maladresse des gouverneurs avait depuis rendue si désespérée' au lieu d'obéir de suite, il représenta la folie qu'il voyait à conduire une poignée de gens contre des armées entières (8 mai). On lui répond (9 mai) : " Encore que les raisons que vous nous représentez soient bien considérables, néanmoins nous n'estimons pas qu'il y ait péril en conséquence de nos commandements, puisque ces troupes estrangères ne sont pas dans le pays où nous vous envoyons, et que par vostre grande expérience, vous sçaurez bien prendre cognoissance de leurs dispositions, et vous placer en lieu convenable' où vos gens ne puissent estre surprins. " Une autre dépêche du lendemain ajoute que le jeune Bresson le joindra avec cinquante chevaux, que le capitaine de Raucourt aura trois cents élus pour l'appuyer,

Réponse de la cour, 7 mai. Ordonnance de la cour , 14 mai, aux Preuves.

(I) Ibid., 2, 7 et 9 mai, et aux Preuves, 13 mai.

et qu'on enverra encore quelque autre infanterie à Jonvelle. Le même courrier porta des ordres analogues à Grachaut' en promettant cinq gros de solde pour attirer les recrues' que la frayeur de la contagion et plus encore des Suédois retenait cachés dans les bois (1). Les dépêches se multiplient au sujet de Jonvelle : les commis au gouvernement se préoccupent de sa position critique autant que de celle de Dole' tout à l'heure assiégé. Leur détresse se révèle en particulier dans une lettre destinée au baron de Scey' Claude de Bauffremont' lieutenant du bailli d'Amont, placé par son nom et son mérite, comme par sa charge' à la tête de la noblesse du bailliage. On lui disait (10 mai) : " L'affection particulière que vous avez tousjours eue au bien et service de la patrie' nous faiet vous despescher ce mot, pour vous prier d'inviter incontinent tous vos amys à se joindre à vous pour accourir à la frontière' du costel de Jonvelle, où les troupes ennemyes font de grands ravages. Il sera bien que vous fassiez une bonne compagnie de cent chevaux, laquelle en tout cas pourra compter dans l'arrière-ban d'Amont' dont M. l'archevesque vous laissera la conduite. Nous pourvoyrons aux frais que vous y aurez employés (2). ) Cette dépêche ne fut pas envoyée ; toutefois Bauffremont reçut la commission de lever les milices d'Amont et de les commander. Elles devaient toutes arriver à Vesoul le dimanche 18 mai, et former un régiment de huit compagnies de deux cents hommes chacune.

(1) Preuves, 9, 10 et 12 mai, lettres de la cour et de de Mandre. (2) Corr. du parlem., B, 783.

En même temps était lancée la déclaration d'éminent péril (14 mai), qui appelait aux armes les hommes de quinze à soixante ans, qui avaient déjà servi, et tous les volontaires capables de se monter (1). On pouvait avoir du secours de l'empereur; mais le parlement attendit l'investissement de Dole pour le demander (2) ; car il voulait que la province se défendit seule, jusqu'à la dernière extrémité, avant d'appeler les étrangers, dont le pays' instruit par une récente expérience, devait attendre autant de foule et de dommages que de protection. En effet' les affreux malheurs que les armées impériale et royale de secours déverseront bientôt sur la Franche-Comté' n'excuseront que trop la politique d'aveuglément et de délais de ses gouverneurs, dans la présente conjoncture. Mais rien ne les pourra justifier d'avoir aussi mal organisé la défense nationale' et d'avoir attendu pour s'en occuper, que les ennemis, massés et frémissants à nos portes depuis six mois, fussent entrés au coeur du pays par deux endroits à la fois.

Cependant de Mandre était arrivé à Jussey (12 mai) avec ses compagnies, dont l'effectif n'allait pas à cent chevaux. Il apprend aussitôt les progrès et les dégâts faits par l'ennemi, et le soir même de son arrivée, sous l'impression de ces accablantes nouvelles' il écrit à la cour: " Que puis-je faire avec une centaine de cavaliers? Pour les cinquante chevaux du sieur Bresson, que Vos Sei

(I) Preuves, 14 mai, la cour à l'archevêque. Boyvin, Siége de Dole, p. 6 8, 69.

(2) Corr. du parlem., 783, 784, lettres à Gallass, 12 et 28 mai.

 

ils ne sont qu'en escriture il n'at ny soldat ny pouvoir d'en amasser, car les païsans sont en 'fuite dans lus bois, les Suédois leur avant donné une telle espouvante, qu'il est impossible de les rasseurer si l'on ne faict advancer promptement de la gendarmerie. Jonvelle court le plus grand danger : jusques à maintenant je n'ai pas osé y engager mes compagnies. Oui, Messeigneurs, je me treuve, dans le plus grand embarras, et je prévoy que je ne tarderay guères à me perdre, avec ces deux compagnies, si l'on ne m'envoye du secours. Croyez bien cependant que je n'appréhende point la perte de ma personne, mais bien celle de ma réputation, qui ne peut estre mise à couvert si vous ne m'envoyez du renfort au plus tôt (1). D

Les cieux jours suivants, d'autres dépêches du capitaine de Mandre annoncent les nouveaux et effrayants progrès des ennemis. Il veut reculer jusqu'à Morey, avec son monde. La cour lui répond (14 et 15 mal) qu'il serait trop loin de Jonvelle, qu'il a mission de couvrir. Du reste, on le rassure et on lui promet du renfort, tout en exprimant une grande surprise à l'endroit de Bresson, qui avait donné les plus belles assurances en offrant ses services. Cependant, ajoute la dépêche, il paraît qu'il a déjà une vingtaine de maîtres, selon ce qu'il a écrit lui-même à la cour, en se plaignant que de Mandre n'a pas voulu les recevoir à Jussey. C'est un tort qui doit être instamment réparé (-2). Mais si de Mandre, ne voulait point de Bresson ni de ses gens avec lui, le capitaine de Raucourt faisait tout au monde pour s'en débarrasser.

 

(1) Preuves, 12 mai.

(2) Preuves, 14 et 15 mai.

Il débarrasser.affirme au parlement qu'ils ne sont que sept ou huit, vrais coquins la plupart, qui ont failli le tuer, ainsi qu'un des échevins et le receveur Grosjean. " Quant aux levées d'infanterie que vous me commandez, ajoute-t-il, la chose est bien difficile, dans l'état où sont les populations. Au reste, je n'en ai pas besoin; ma compagnie est de soixante hommes et veut croître encore. Seulement, que Vos Seigneuries illustrissimes fassent que je sois obéi, et je leur garde Jonvelle, autant du. moins que le peut et le doit un gentilhomme d'honneur. " Cette lettre, datée du 13 mai, ne fut reçue à Dole que le 17, tant les chemins se trouvaient difficiles, coupés qu'ils étaient par l'ennemi et par les voleurs. Les gouverneurs s'empressèrent d'envoyer à Grachaut un commandement pour sévir contre les coupables, et lui promirent une compagnie d'élus (1). Cette réponse fut envoyée par l'intermédiaire du conseiller Petrey de Champvans, alors en service à Gray. En la lui faisant passer, la cour lui prescrivit d'établir, à Fleurey ou à Lavigney, un poste de messagers pareil à celui de Pesmes, afin de correspondre avec Jonvelle et sa frontière, d'une manière plus sûre, plus prompte et moins coûteuse que par des courriers exprès (2). Ce service, ainsi organisé, était fait par

(1) Aux Preuves, 13 et 17 mai.

(2) " Il est besoing d'avoir promptement, par la poste, les nouvelles qui nous viendront du costel de Jonvelle. Les courriers exprès nous coustent trop cher. Nous vous prions d'establir, à moindres frais, à Fleurey ou Lavigney, les mesmes dispositions que vous avez desjà establies à Pesmes , afin qu'il y ait tousjours un messager prest à porter en diligence les lettres qui nous viendront de ceste frontière, ou que nous y envoyerons. De quoy vous donnerez advis, s'il vous plaist, aux sieurs de Mandre et de Raucourt, afin qu'ils se servent de ceste commodité. " Corr. du parlem., B, 784.

des courriers à cheval qui se relayaient, et les communautés où se trouvaient les relais avaient ordre d'y pourvoir. Le surlendemain du jour où le gouverneur de Jonvelle adressait ses plaintes au parlement, fut une journée terrible (14 mai). Des hauteurs des Capucins de Jussey, on put voir les escadrons suédois attaquant le Magny, et bientôt leurs flammes dévorant Ormoy, Demangevelle, les Loges et Venisey. L'épouvante chasse les populations au centre des forêts; Jonvelle même n'est plus un poste sûr, et les principaux bourgeois fuient vers Langres. Ceux qui restent dans leurs demeures attendent l'ennemi, comme autrefois les vieux sénateurs de Rome, avec la sombre résignation du désespoir. " Nous les attendons demain, écrit Villersvaudey de son château de Saint-Remy ; car nous ne pouvons en estre plus exempts que les autres, sur l'apparence qu'il y a que nous sommes dans un pays perdu et misérablement abandonné (1). D C'est ce jour-là que de Mandre voulait se replier sur Morey, de peur d'être enlevé par les Suédois. Depuis son arrivée à Jussey, il était sans réponse du parlement , dont les courriers envoyés dans cette direction avaient été pris ou détroussés. Il s'avança, le 15, jusqu'à Lavigney, sur le chemin de Gray, pour avoir plus tôt quelques nouvelles. Vain espoir! C'est alors qu'il écrivit cette lettre découragée à Petrey de Champvans :

" Monsieur, je suis tousjours dans une grande impatience, en attendant les ordres de Monseigneur l'arche

 

(1) Aux Preuves, 14 mai, lettres de Villersvaudel et de Dard.

vesque et de la cour; car voilà cinq lettres que je leur ai adressées, sans recevoir un mot de response. Je m'estois approché jusqu'icy pour avoir plus tôt de leurs nouvelles ; mais comme j'ai recogneu que ceste frontière S'alarmoit davantage par mon esloignement, bien que ma présence lui soit de bien peu de relief, je coucherai ce soir à Purgerot, et demain je retourne à Jussey, d'où je pousserai peut-estre jusques à Jonvelle. Puisque l'on ne me donne pas les moyens de me pouvoir opposer aux moindres courses de l'ennemi , je passeray sur toutes considérations : je suis résolu de me perdre avec mes deux compagnies, plustôt que d'abandonner la contrée dont la garde ma esté confiée. La perte de ma personne sera peu de chose; mais quelle perte malheureuse et déshonorante que celle de deux étendards du roy, que l'on va laisser tomber aux mains des François ou des Suédois, sans me donner les moyens de les défendre. Je ne veux plus rien représenter ni demander, et pour agir je n'écouterai plus que les conseils de l'honneur (1). "

En effet, de Mandre rentra les jours suivants à Jonvelle, où lui furent envoyés dix mille francs pour les frais de sa remonte, pour les rations de ses gens et pour ses propres gages. On lui annonçait aussi la prochaine arrivée de la compagnie de Gonsans, alors à Vesoul ; ordre lui était donné d'envoyer une escorte à sa rencontre (20 mai) (2). Mais bientôt Jonvelle vit partir toutes ses troupes de secours, infanterie et cavalerie; car le véritable orage grondait sur un autre point de l'horizon.

 

(1) Corr. du parlem., B, 784.

(2) Aux Preuves, diverses lettres de la cour du 16 au 20 mai.

En jetant Caumonts et Weymar sur la frontière de Jonvelle, évidemment Richelieu ne faisait qu'une fausse alerte, une attaque de diversion, pour attirer sur ce point les forces des Comtois, pendant que le prince de Condé s'avançait hypocritement contre la capitale même de la province. Aussitôt que ce dessein eut été pénétré, toutes les milices d'Amont furent dirigées tant sur la place menacée que sur les camps de réserve ou d'observation formés à Ornans et à Fraisans (1). La compagnie de Gonsans et celle de Purgerot furent tirées de Jonvelle et de Jussev, avec ordre de filer sur Quingey (2). De Mandre les suivit bientôt, à son grand contentement : dès les commencements de juin, il était à Ornans, où ses deux compagnies et les hommes de Bresson furent les premiers éléments de la place d'armes formée dans ce vallon, sous la direction de Girardot de Beauchemin, du baron de Scey, du baron de Thoraise et du marquis de Varambon (3). Les deux Gaucher restèrent sur les bords de la Saône, l'un à Port et l'autre au Magny, ayant chacun un commandement &,cavalerie (4).

Le 28 mai , Dole était investi. Dès lors cesse toute correspondance entre le parlement et la province, et nul document ne se présente pour nous dire ce que devint notre pauvre frontière,

 

(1) BOYVIN, Siège (le Dole, p. 71 ; GIRARDOT, p. 96.

(2) 26 mai , la cour mande au, mayeur et échevins de Quingey de préparer des logements et des vivres pour Ces Compagnies et pour quatre autres, qui devaient y arriver le lendemain et jours suivants

et y séjourner jusqu'à nouvel ordre, (Corr. du parlem., B, 784.)

(3) GIRARDOT, p. 96, 97. Bresson se trouva au siège de Rigny ; de Mandre l'aîné y commandait la cavalerie (juillet). (Lettres de Petrey, p. 44.)

(4) Lejeune Gaucher leva 9 3 maîtres pendant le siége de Dole, après lequel il ne put en conserver qu'une soixantaine. (Preuves, ô octobre, 1686.)

laissée presque sans défense à la merci des Français , des Allemands , des bandits de toute espèce, et surtout de la peste, fléau plus terrible encore et plus dévastateur que celui de la guerre et du brigandage. Un instant cependant cette frontière fut délivrée de la présence des armées ennemies, lorsque Richelieu les eut portées sur le Rhin, contre les impériaux commandés par Gallass, qui menaçait les places fortes de l'Alsace.

Au mois de juillet, Dole était aux abois et les troupes du dehors trop faibles pour secourir la ville assiégée. On prit enfin le parti de demander de la cavalerie au roi de Hongrie et au duc de Lorraine, qui se battait alors autour de Liège, et on leur députa les sieurs de Bclmont et d'Arbois, Jacques Outhenin, prieur d'Autrey et curé de Jonvelle, et Gaspard Girardot, de Morteau (1). Le message fut accueilli : le roi de Hongrie détacha de l'armée de Gallass deux mille cinq cents chevaux, Allemands et Croates, qu'il envoya sous la conduite de Lamboy, sergent de bataille, ayant sous ses ordres les colonels Forkatz et Isolani ; tandis que Charles de Lorraine accourait avec trois mille chevaux et huit cents hommes d'infanterie, par Jonvelle et Jussey (9 août). Après avoir rallié à Pesmes les divers contingents de secours, le due se présenta devant le prince de Condé (12 août), avec sept à huit mille chevaux et six mille fantassins (2). Le 15 août, les Français étaient en pleine retraite et la ville de Dole sauvée.

 

(1) GIRARDOT, P. 121.

(2) Ibid., 116 ; lettres de Petrey de Champvans, dans BoyvjN, p. 76 à 86.

 

 

Séjour de Gallass en Franche-Comté.

 

GALLASS arrive sur la Saône. - Jussey saccagé par Turenne. - Excès des impériaux. Camp de Champlitte. - Conseil de guerre sur le mont de Morey. Déroute de Gallass en Bourgogne. - Il reprend aux Suédois Jussey et Jonvelle. - Son départ, après les conférences de Colombier et de Charriez.

 

(1er septembre 1636 au 21 janvier 1637.)

Pendant que le duc de Lorraine faisait lever le siège de Dole, la cour d'Allemagne nous préparait une autre armée, que le parlement avait sollicitée dès le commencement du siège, et que l'on fit partir enfin, à titre de secours généreux en apparence, mais en réalité dans une politique tout intéressée. L'empereur Ferdinand 11, d'un àge avancé, Youlait, avant sa mort, faire couronner roi des Romains son fils ainé, déjà roi de Hongrie (1). Mais pour tenir avec succès la diète convoquée dans ce but à Ratisbonne, il fallait éloigner le maréchal de la Force, Weymar et le cardinal de la Valette. On ne vit point de moyen plus efficace que de lancer Gallass (2) contre la France, par la Franche-Comté (3). Or, son armée, qu'on nous envoyait pour nous défendre, ne servit qu'à nous ramener sur les bras les armées suédoise et française, et fut elle-mème pour notre pays le plus horrible des fléaux.

 

(1) Frère du roi d'Espagne et du cardinal infant, qui gouvernait les Pays-Bas et la Franche-Comté.

(2) Telle est la véritable orthographe de sa signature. Mathieu Gallass, feld-général des armées impériales, né en 1589, dans le comté de Trente, mourut à Vienne en 1647.

(3) GIRARDOT, P. 188.

 

Le baron de Savoyeux (1), colonel de cavalerie dans l'armée impériale , et le baron de Scey-Bauffremont avaient été députés en dernier lieu auprès de Gallass, à son camp de Spire (fin d'août), pour négocier cette importante intervention, de laquelle nous devions naturellement attendre notre salut. Mais le feld-général, avec ses principaux officiers, voulait traverser la province dans sa longueur, pour couvrir le bailliage d'Aval, seul en danger, disait-il, les attaques des ennemis sur le bailliage d'Amont n'étant qu'une diversion peu inquiétante. Pour obtenir qu'il marchàt sur la France par le chemin le plus court, il fallut lui promettre dix mille écus et deux chevaux, de plus mille écus à Colloredo, son maréchal de camp, et cent pistoles à son quartiermaître (2). Le colonel de Marmier-Sallenoue fournit les chevaux promis, au prix de cent cinquante pistoles chacun. Toutefois, à cause des montagnes, Gallass repoussa la proposition de passer par le col de Bussang, ensuite par Faucogney ou Remiremont, d'où il serait arrivé en un jour ou deux sur le Bassigny, par les ponts de Corre et de Jonvelleffl. Parti de Brisach sur la fin d'août, et prenant la direction de Mulhouse,

 

(1) Claude-Emmanuel-Philibert de Fouchier, qui fut plus tard gouverneur de Griy.

(2) Encore le parlement trouva-t-il cette offre trop mesquine : " Monsieur des Trois-Rois (Pabbé Philippe-Emmanuel de Montfort, receveur général des finances) parlera plus gros. - (Lettre de la cour aux conseillers Matherot et Brun, à Gray, i i septembre). Après la levée du siège de Dole, Lamboy et ses officiers avaient reçu 100,000 francs de gratification, et 80,000 après la retraite de Verdun, pour ne pas exiger qu'on leur livràt du canon. Charles de Lorraine avait aussi reçu la plus riche gratification. Ces largesses épuisèrent le trésor. (La cour aux mêmes, 23 septembre, et au baron de Savoyeux, 18 septembre, B, 786, 787.)

(3) Corr. du parlem., B, 786, passim. Aux Preuves, 11 septembre.

il tourna Belfort et Héricourt (1), et vint camper à l'Isle le 4 septembre, à Montjustin le 7, à Saulx le 9, à Conflandey le 12. Ici se trouvait le meilleur pont de la Saône supérieure (2). Pour le guider à travers le pays et surtout pour lui suggérer les conseils favorables, la cour lui avait donné le baron de Scey, qu'il tenait en estime et en affection, pour avoir été page de son parent le baron de Bauffremont, chambellan du duc de Lorraine (3). Jean Bresson, de Jonvelle, avait été attaché à l'armée pour la munitionner de vivres. Cette armée, tant cavalerie qu'infanterie, se montait à vingt-cinq mille hommes environ, Allemands, Hongrois et Croates, trainant avec eux un bagage immense et une multitude de valets, de vivandiers et de femmes, une fois plus nombreuse que les soldats effectifs (4). Beaucoup de ces femmes étaient instruites au maniement des armes et figuraient dans les régiments (5). Sous les ordres de Gallass servaient les colonels Mansfeld, Butler et Goeutz, le prince de Florence, de la maison de Médicis, Edouard de Bragance, prince de Bergame, de la maison de Portugal et de Castille, Vermerade, commissaire général des munitions, le baron d'Ingfort, gouverneur de Ratisbonne,

 

(1) Il se contenta de reconnaître ces deux villes, ainsi que Montbéliard et Lure, qui toutes les quatre étaient occupées par les Fraiiçais. Gallass se promettait de les visiter d'un peu plus près à son retour. (BEGUILLET, Guerres de Louis XIII 11, 41.)

(2) Le canon ne peut passer que par le pont de Conflandey. (Jean Clerc à là cour, 27 septembre

(3) FELLER.

(4) Telle est la coustume des Allemands, qui ne peuvent autrement supporter la fatigue de la guerre, non plus que les autres nations septentrionales. lis habitent en leurs tentes, que le comte Gallasse rangeoit par rues, en forme de grandes villes, et portent la pluspart des officiers allemands tous leurs avoirs dans leurs chariots. (GIRARDOT, P. 148.)

(5) BÉGUILLET, Il, 43.

favori de Gallass et l'un de ses sergents de bataille, le marquis de Bassompierre, le comte de Colloredo et le marquis de Grane, hommes influents du conseil, le baron de Neustein, enfin la fleur des officiers impériaux(1). Il n'avait avec lui que du demi-canon : les marquis de Grane et de Calaffe et François de Carretto le suivaient, à quinze journées d'étape, avec la grosse artillerie, escortée de deux mille cinq cents fantassins et d'autant de chevaux. A l'étape de Conflandey, Gallass avait d'abord établi son quartier général à Purgerot; puis il le reporta le lendemain à Chaux. Les tentes alignées comme des rues et en arrière les bagages, couvraient toute la plaine qui se développe entre Port-sur-Saône, Amance et Faverney. En outre, l'armée occupait Lambrey, Arbecey, Fouchécourt, Gevigney, Mercey, Aboncourt, Gesincourt, Bougnon, Amoncourt, Fleurey, Villers, Gratery et plusieurs autres villages, tous envahis par la contagion (2).

L'empereur avait bien calculé. Aussitôt que son feld-général eut pris le chemin de la Franche-Comté, Weymar et la Valette le suivirent, en côtoyant la province, par une marche collatérale, et vinrent couvrir la France, dans le Bassigny et le Langrois. Pendant que l'armée impériale était sur la Saône, le duc de Saxe attaqua Champlitte, et, d'un autre côté, le cardinal jeta sur Jussey le vicomte de Turenne, son maître de camp, avec 1,500 chevaux, 1,500 hommes de pied et trois canons.

 

(1) Gallass avait pour secrétaire français le docteur Jean-Baptiste Jacquel, de Foncine, homme de mérite, de qui nos gouverneurs implorèrent quelquefois le crédit auprès de son maître. En 1641, il fut député par le parlement auprès de la cour d'Espagne.

(2) Preuves, 13 septembre, Bresson à la tour.

 

La ville, qui comptait quatre cents feux avant les malheurs de cette guerre, n'était alors protégée que par la compagnie du jeune Gaucher, forte de quatre-vingts maîtres. Trois jours auparavant, celui-ci avait provoqué l'ennemi par une course sur Blondefontaine, où il avait enlevé un quartier de l'armée française, tué soixante hommes et fait quelques prisonniers, qui lui révélèrent l'état et la position des forces ennemies. Puis il avait mis le feu au pays et mandé ces renseignements à Gallass, encore à Saulx. Turenne venait donc rendre la pareille, en attaquant Jussey. Du Magny escarmoucha contre les Français et leur tint tête jusqu'à midi, en leur tuant un cornette, avec perte de trois hommes seulement. Telle est du moins la narration du capitaine, qui était un brave soldat, mais assez fanfaron, comme on le voit par ses lettres. Enfin la supériorité du nombre le contraignit à la retraite, et Turenne entra, le fer et la flamme à la main, dans Jussey et Cemboing, qui furent mis à sac. La plupart des habitants avaient fui dans les bois : ce qui resta fut passé par les armes, au nombre de quatre-vingts personnes, ou demeura prisonnier (12 septembre) (1). A la nouvelle de ce coup de main, Rantzau, maréchal de camp du prince de Condé, fut imédiatement dépêché pour soutenir le vicomte dans sa position conquise (2), et Gaucher, retiré sur la rive gauche de la Saône, mais toujours harcelant l'ennemi, perdit encore vingt-sept de ses cavaliers, sans aucune utilité.

 

(1) Preuves, 16 septembre et 6 octobre.

(2) BÉGUILLET, II, 37.

A cette date, Fauquier d'Aboncourt était depuis trois ou quatre mois sorti des prisons de Dole, entièrement lavé, aux yeux du moins de la justice humaine, de l'accusation capitale portée contre lui au mois d'avril précédent. Dans le cours de l'été, il avait levé deux compagnies de cavalerie légère, dont l'une, sous le commandement du sieur de Chauvirey, son fils, occupait Richecourt. Avec la sienne, complétée à quatre-vingts maîtres, il occupait Chauvirey, et se trouvait investi, comme auparavant, de la confiance du parlement et des fonctions de gouverneur de Jonvelle (1). Mais nul document ne nous dit quelle part il prit à la défense du pays contre l'invasion de Turenne.

Gallass apprit cette insolence de l'ennemi en son quartier général de Purgerot, et fit aussitôt commandement à Lamboy de s'avancer pour le rejoindre. Celui-ci, après la retraite des Français devant Dole, avait suivi le due de Lorraine au siège de Verdun-sur-Saône ; mais dès la fin d'août, sur les ordres exprès du général, il avait quitté l'opération et remonté la Saône, pour se tenir prêt à rejoindre son chef, qui voulait avoir toutes ses forces réunies avant de s'attaquer à la France. De toutes les troupes impériales, nulle autre ne sévit sur notre province avec autant de brigandage et de cruautés que celle du sergent de bataille (2). Il était à Soing quand il reçut les derniers ordres de Gallass (13 septembre - ).

 

(1) Corr, du parlem., B 787 788 ; lettres des conseillers Natherot et Brun à la cour' Gray, 15 septembre et 1er octobre.

(2) Ibid.' passim, en particulier 14 septembre, la cour au cardinal infant ; aux Preuves' 19 septembre ' la cour à Gallass ; 7 octobre ' lettre de Bresson.

 

Il ordonne aussitôt le boute-selle, s'avance par Pontcey et Scey-sur-Saône et arrive au camp d'Arbecey (15 septembre). Le lendemain il marche droit à Jussey ; mais déjà Turenne et Rantzau n'y étaient plus, ayant été mis en retraite par le bruit de son approche et par le voisinage de l'armée impériale.

Sur ces entrefaites, le baron de Scey réussit à ménager une réconciliation , de laquelle il espéra merveille pour le succès de la campagne. Le prince de Lorraine gardait une grosse colère contre Gallass, depuis que Lamboy, quittant le duc devant Verdun, par les ordres de son chef, avait fait échouer l'opération commencée contre cette place. Bauffremont fut assez heureux pour les rapprocher. " A cest effect, écrit-il au parlement, ils choisirent ma maison de Scey, et sambady (13 septembre), Son Altesse de Lorraine, M. le comte de Gallass, le prince de Florence, le prince de Bergame et quantité d'aultres princes et seigneurs, me firent l'honneur de venir disner à mon chasteau, où je les receus le mieux qu'il me fust possible. L'entrevue ne se passa pas sans boire plus que l'on n'eust paS faiet si la Compagnie ne l'eust bien mérité. Mais, du reste, tout alla si bien, que la bonne intelligence en a esté rétablie. Son Altesse de Lorraine s'en retourna content et M. le comte Gallass aussi. ", En effet, le surlendemain, l'armée de Conflandey acheva de passer la Saône, par le pont de ce village et par celui de Port. Prenant ensuite la triple direction de Chargey, de Purgerot et d'Aboncourt, elle vint faire halte dans la plaine qui s'étend d'Arbecey à Combeaufontaine, pendant que derrière elle son immense attirail de gens, de bestiaux, de chariots et de bagages, gravissait péniblement les rudes chemins de la montagne (1). Quoique munitionnés de viande comme d'autres vivres par le commissaire Bresson, les impériaux chassaient devant eux des troupeaux entiers de boeufs, de vaches et de moutons, enlevés de toutes parts. Fuyant leur approche, les habitants de ces rives de la Saône s'étaient réfugiés, avec leur bétail' comme leurs prédécesseurs et leurs ancêtres de tous les âges, au sein des profondes forêts qui couvrent les plateaux et les versants, sur les territoires de Chargey, Purgerot, Port-surSaône, Arbecey, Combeaufontaine et Scey-sur-Saône. Mais cet asile était trop voisin cette fois des marches et des stations allemandes, pour ne pas être violé : aussi les malheureux paysans, traqués de toutes parts, éprouvèrent-ils les rapines et les cruautés commises partout sur le passage de ces gendarmeries étrangères. Jusquelà cependant, Bauffremont, Jean Clerc et Bresson , de bonne foi sans doute, ou du moins sans trop mentir, avaient pu vanter la discipline que Gallass maintenait de son mieux dans une multitude composée d'éléments si divers et si difficiles (2). Mais il ne fut pas longtemps

 

(1) Preuves, 16 septembre, le baron de Scey à la cour.

(2) Corr. du parlem., B' 786 et -7 87. " L'armée est conduicte très régulièrement et pollicée rudement; Gallass et ses officiers ménagent le pays." (Jean Bresson à la cour; Saulx, 10 septembre, et Conflandey' 13 septembre' aux Preuves.) " M. le baron de Scey' le bailly Clerc' Bresson et quelques autres, nous avoient dit merveilles de la bonne discipline de l'armée impériale. " (La cour aux conseillers Matherot et Brun' à Gray, 23 septembre.) Mais à l'Isle, déjà ils avaient vendangé les vignes à peine mùres, pillé les bourgeois volé le bétail et cent cinquante chevaux du voisinage. (Durand officier (le Bauie à la cour 19 septembre; plaintes de la cour à Gallass, 9 septembre.)

 

maître de contenir son monde, dans cette conduite de ménagements que le roi de Hongrie et le cardinal infant lui avaient si expressément prescrite en faveur de la province : dès,son arrivée sur la SaÔne, tout le pays traversé ne fut plus qu'une libre curée pour cette immense multitude. Il n'en pouvait pas être autrement avec une armée sans solde, avec des gens que la seule avidité du butin attirait et retenait sous les enseignes. En effet, les souverains allemands n'ayant pas moyen de payer des armées si nombreuses, leur entretien se prenait en campagne, sur le territoire ami comme sur celui des ennemis. Pour trouver des vivres, la soldatesque courait donc le pays par grosses parties commandées, enlevant de gré ou de force tout ce qu'elles trouvaient à leur convenance, brûlant les villages et les petites villes qui résistaient, traquant les bois, forçant les châteaux et les maisons fortes, mettant les habitants à la torture, soit pour leur extorquer des rançons, s'ils étaient de condition aisée, soit pour obtenir la révélation des richesses cachées, s'ils n'étaient que de pauvres misérables. Le profit de ces rapines maraudeuses était apporté aux chefs, qui en laissaient une partie au menu soldat, et gardaient le reste pour fournir à leurs tables somptueuses, à leurs habits luxueux, à leurs magnifiques équipages (i). Dès lei 6 septembre, la cour de Dole était informée des excès commis par les alliés, qui, parcourant nos contrées en bandes de trente, quarante ou cinquante, pillaient, brûlaient, tuaient, violaient, comme ils eussent fait en pays

 

(1) GIRARDOT, P. 180.

 

FAC SIMILE

DE QUELQUES SIGNATURES IMPORTANTES

du 16è et du 17é SIECLE 

 

 

 

 

 

ennemi (1). Il est vrai, le fournisseur Bresson ne leur faisait pas défaut (2); mais ce qu'il fallait acheter leur était vendu à un prix exorbitant, qui les poussait naturellement aux violences et qui semblait les y autoriser, tellement que la cour fut obligée de pourvoir à une taxe plus raisonnable (à). Elle gémissait d'ailleurs avec le pays sur les déportements des étrangers , s'apitoyait timidement sur le sort des victimes , hasardait môme d'humbles remontrances et supplications à Gallass; mais ses lettres au roi de Hongrie ou à l'infant ne renfermaient que des éloges au sujet du général; tant on craignait de blesser et de mécontenter ceux en qui reposait tout l'espoir de la patrie (4). Plus tard, l'excès du mal fit

 

(1) Corr. du parlem., B, 887 ; les conseillers Boitouset, Buzon, Lampinet et Lulier à la cour, Besançon, 16 septembre.

(2) " Pour de l'avoienne, ils en trouvent tout ce qu'ils veuillent et la prodiguent, ainsi que les gerbes de froment, en sorte qu'ils en font litières à leurs chevaulx. Et fault adiouster que où ils logent, qu'ils ne trouvent leur hoste pour les servir, ils perdent tout ce qu'ils rencontrent.

(Preuves, 13 septembre, lettre de Bresson.)

(3) Ibid., Besançon, il septembre, les conseillers Boitouset , Buzon, Lampinet et Lulier à la cour. Le baron de Scey se plaint lui-méme de cette cherté outrée - " Tout m'a esté si cher, écrit-il à la cour, que pour un jour et une nuict que j'ay séjourné à Vesoul, l'oii m'a faiet payer quinze pistoles ; ainsi à l'advenant aux aultres lieux où j'ay passé.

(Preuves, 16 septembre.)

(4) Ibid., 14 et 23 septembre et passim. " Je prévoy que ceste province ne peut éviter de grands maux, et pour détourner une désolation universelle, n'y a d'autre remède que de se résouldre à une foule volontaire et ruine d'une partie plustôt que du tout. a Ainsi pensait Girardot, le 4 septembre. (Aux Preuves.) Mais les événements lui apprirent bientôt à mieux connaitre les intentions de Gallass. Matherot et Brun auraient voulu moins de compliments et plus de sincérité dans les lettres de la cour à Gallass et aux princes. (Gray, 21 septembre.) On leur répond : e On pourra dresser des mémoires de ce qu'a fait M. de Lamboy ; mais nous n'en attendons pas grand fruit. Et vous voyez que M. le marquis de Castaneda (ambassadeur d'Espagne à Vienne) vous escrit qu'il faut dissimuler les plainctes qui n'ont pas suffisantes probabilités ny considération,

 

 

 

 

bien jeter les hauts cris auprès des souverains, mais il n'était plus temps : le pays était ruiné; et ce qu'il y eut de plus navrant, les alliés, auteurs principaux de cette désolation, finirent par avoir pour complices les gendarmeries mêmes de la province.

Quoi qu'il en soit, les brigandages des auxiliaires attirèrent bientôt, comme on devait s'y attendre, les plus rudes représailles de la part des Comtois irrités et poussés au désespoir. Gallass se plaignit à la cour, au nom de ses officiers, que les gens de leur suite étaient partout attaqués, maltraités, assommés par les paysans. Un Croate avait été enterré tout vif, dans les environs de Lavigney (1). Pour empêcher ces cruautés des paysans sur les étrangers, dont ils autorisaient et provoquaient ainsi les sévices envers eux-mêmes, le parlement proposa de les ranger sous un chef, dans chaque village, avec défense de porter les armes et de sortir sans son ordre (2). Mais ce projet n'eut pas de suite.

Cependant l'armée impériale, continuant sa marche, alla camper autour de Lavigney, où Gallass avait couché l'avant-veille, avec l'avant-garde et l'état-major. De Lavigney, faisant une pointe sur la France, il était tombé comme la foudre sur le bourg de Fayl-Billot, qui éprouva toutes les horreurs d'une ville prise d'assaut (14 septembre) (3). Les autres villages de cette lisière française

parce qu'elles discréditeraient les grandes, auprès de gens qui ont veu des oppressions mille fois plus criantes, et n'y ont pu apporter aucuns remède. " ( 23 septembre, la cour aux conseillers Matherot et Brun.)

 

(1) Lettre de Gallas à la cour ; Lavigney, 13 septembre, aux Preuves.

(2) La cour aux conseillers Matherot et Brun, à Gray, 19 septembre.

(3) - Leur séjour fut de six semaines entières, durant lequel temps ne resta qui que ce fust audict lieu qui ne fust tué ou emmené. Les grains et

n'eurent pas un meilleur sort. La Valette crut bien rendre la pareille aux Comtois par la surprise de Champlitte, qu'il fit attaquer le jour même du sac de Fayl. Mais la place tint bon, quoique dépourvue de garnison (1), et sa résistance donna le temps aux irnpériaux de tourner ou de franchir la montagne de Morey, et d'arriver par Farincourt, par Fouvent et Roche, par tous les passages, devant la place assiégée (16 septembre). à son approche, les Français levèrent le siège en toute hâte et se replièrent vers Langres. A la date du 17, Gallass avait son quartier général aux Augustins de Champlitte. L'armée entière, qui se montait à 30,000 combattants, moins quelques contingents encore en arrière)

occupait tout le pays comtois, de Jussey à Gray, et la -frontière du Langrois, de l'Amance à la Vingeanne (2).

Le due Charles s'était logé à Montureux, avec ses Lorrains. Dans son quartier se trouvait le jeune Bresson, à

la tête de cinquante maîtres. Lamboy n'avait pas quitté Jussey. La position avancée du feld-général était magnifique, tandis que les généraux ennemis, qui auraient dû le prévenir, se voyaient acculés contre Langres et Dijon et réduits à la défensive, sans pouvoir empêcher

le bestial furent consumez ou enlevez ; et de tous les habitants qui estaient sauvez dans les bois, les rochers ou villes voisines, fort peu restèrent en vye. La peste, la dizette et les maladies en firent mourir la

pluspart. Ceux qui retournèrent audict Fay n'y trouvèrent que des restes de bastiments incendiés, des cadavres et charongnes, lesquels infectaient

l'air; de bestial et de grains, en aulcune façon. (Histoire de Fayl-Billot, page 59.)

 

(1) Le magistrat de cette ville avait précédemment refusé d'en recevoir. LetIres de la cour à Matherot et à Brun, 12 et 13 septembre. Drouaillet à la cour. Champlitte, 15 septembre.)

(2) BÉGUILLET, 11, 15.

le territoire français de souffrir tous les malheurs de la guerre, autant de la part de ses propres armées que de celles de la Comté ; car les Suédois traitaient le Bassigny comme les impériaux notre province. Or, une situation aussi défavorable, qui tenait la France ouverte à l'invasion la plus formidable, était la faute du prince de Condé, que le due Bernard et le cardinal avaient attendu deux jours à Langres (7 au 9 septembre), pour y tenir conseil de guerre avec lui. Aussi Weymar disait-il dans son impatience : " Le temps que nous perdons ici coûte au roi plus de cent mille écus par jour. " En effet, ces retards, donnant l'avance à Gallass, lui avaient permis de saisir le terrain que l'on se proposait d'occuper, et par suite les forces françaises étaient rejetées sur la ligne de Fontaine-Française, Montsaujon, Coiffy, Laferté et Bourbonne (1).

Lamboy, posté à Jussey avec quatre mille chevaux, couvrait cette frontière et poussait des courses en France, avec une audace et un acharnement inouis. Dès les premiers jours, il surprit le chàteau de Pressigny, où se trouvaient abritées en abondance des munitions de guerre et de bouche, qui furent vendues aux Comtois. Ensuite, Forkatz l'ayant joint avec ses Croates, et Clinchamp avec un escadron lorrain, ils rançonnèrent ensemble et brûlèrent tout le Bassigny, jusqu'aux portes de Langres, à la barbe de la Valette (2). Mais au retour de ces expéditions, ou dans les cas d'insuccès, les villages de la prévôté de Jussey et même de la terre de Jonvelle,

 

(1) BÉGUILLET, II, 46; Journal de Macheret, fol. 15 17, 14, et passim.

(2) BÊGUILLET, 47.

voyaient revenir sur eux ces magnanimes alliés. Du Magny, rejeté à Cendrecourt depuis le sac de Jussey et l'arrivée de Lamboy, avait assez à faire de garder la rive gauche de la Saône de leurs sinistres visites. Dans les premiers jours d'octobre, il eut à repousser cent Allemands ou Croates, qui avaient passé la rivière à la nage, devant le bois de Jussey. Ils entraînaient avec eux un grand nombre de femmes et de filles, qu'ils avaient surprises dans ce refuge, et quantité de chevaux enlevés aux paysans. Gaucher eut le bonheur d'arracher aux brigands leurs prisonnières et leur butin, et de les refouler sur leurs quartiers. En écrivant cet incident à la cour, il demandait instamment du renfort en cavalerie, pour l'aider à garder sa ligne contre de tels excès, et, comme d'Agay en mars précédent, il sollicitait une ordonnance qui fit rompre tous les gués et tous les bacs depuis Jonvelle jusqu'à Port-sur-Saône (1). En même temps, les officiers et échevins de Jussey demandaient une garnison de nationaux, pour les protéger contre l'inhumanité et l'impiété des impériaux (2). Mais déjà le parlement avait dirigé de ce côté le sieur de Mandre avec ses deux compagnies, qui revirent, pour la troisième fois dans la même année, ces parages désolés par tous les fléaux ensemble. Néanmoins, comme au printemps, cet officier n'avait accepté qu'avec une extrême répugnance le périlleux mandement d'aller, à la tête d'une poignée de monde, affronter à la fois un si puissant ennemi et de si

 

(1) Preuves; Cendrecourt, 6 octobre.

(2) Corr. du parlem., B, 789; Gray, 9 octobre, Matherot à la cour.

 

indignes alliés (1). Jonvelle, qui avait jusque-là résisté aux attaques de l'ennemi, était plein de gens qui s'y étaient retirés des alentours, avec ce qu'ils avaient pu sauver de leur bétail. Mais, plus fort et plus irrésistible que les Suédois et les Français, le fléau de la peste avait bien su forcer l'enceinte de la place, et il y sévissait avec fureur sur la multitude entassée de ses habitants, bourgeois, soldats, retrahants et autres réfugiés (2).

Gallass avait donc un pied sur la France; et le parle, ment le sollicitait avec instance d'y porter son armée en toute hâte, pour le soulagement de la province épuisée. Mais le feld-général, qui avait les instructions de ses augustes maÎtres, tirait le temps en longueur, pour n'avoir pas à exposer son armée en lui faisant conquérir des quartiers d'hiver à la pointe de l'épée, et il se contentait d'escarmoucher avec l'ennemi, sur les lisières du Langrois. Avant de marcher plus loin, tantôt il attendait son canon , tantôt il réclamait le contingent de six mille Bourguignons que les gouverneurs lui avaient promis et qu'ils ne savaient où prendre, tantôt il voulait qu'on lui amassât à Champlitte quarante mille mesures de farine, sous la garde de cent mousquetaires. Il n'en demanda pas moins pour Jonvelle,

 

(1) Preuves, Besançon, 8 octobre. De Mandre le jeune, déjà commissaire général de cavalerie, était alors capitaine de la garnison de Besançon, à la place de son cousin, décédé au mois d'août. La charge de commissaire général de la cavalerie, que le défunt avait aussi tenue, venait d'être donnée au baron de Scey. (Dole, 15 octobre, dépêche de la cour.)

(2) Déjà la province avait perdu le quart de ses habitants. À Vesoul, de Mongenet restait seul aux affaires ; à Besançon, il n'y avait plus que Boitouset ; à Dole, Boyvin restait seul valide, avec quatre conseillers malades ou barrès. (Lettres de la cour, 24 septembre et 1er octobre.) À la fin d'octobre, le parlement se transporta à Salins, comme en 1568, et y resta jusqu'à la fin de novembre.

dont la bonne assiette, demeurée jusqu'alors invulnérable, comme celle de Champlitte, au milieu de la désolation générale des alentours, lui inspirait seule assez de confiance sur cette frontière menacée (1). Pour le contenter, la cour signifiait commandements sur commandements aux soldats débandés depuis le siège de Dole; mais ses ordres étaient lentement obéis. On activa cependant quelque peu les retardataires , en sîgnifiant , sous peine de mort, à tous ceux qui avaient reçu chevaux, armes ou argent, de rejoindre les drapeaux dans la huitaine, à l'un des douze quartiers désignés (2). Pour sa part, le bailliage d'Amont fit des sacrifices désespérés, et s'arracha les entrailles pour fournir les hommes et les vivres demandés (3). De Ray à Champlitte, toutes les communautés ayant des moulins sur la Saône, le Salon, la Gourgeonne et le Vanon, furent requises de les mettre en bon état, pour moudre les grains de l'armée impériale (4). Mais quand le blé fut arrivé dans ces moulins, les soldats le pillèrent de toutes parts, malgré la vigilance et les archers de Bresson. On ne pouvait attendre moins de gens qui avaient dévoré, sur leur passage, toute la récolte des vignobles de Purgerot, de Jussey, de Morey, de Ray, de Pierrecourt, de Champlitte et des alentours. Ils se plaignaient tous les jours, à grands cris, de ne pas recevoir les rations et la solde promises; mais Bresson démontrait, contre les plaignants, que le pain, la viande et le vin ne

 

(1) Gray, 17 septembre, Brun à la cour, aux Preuves.

(2) La Charité, 4 octobre, le marquis de Conflans à la cour. (3) Dépêches du 19 septembre au 1er octobre et jours suivants.

(4) Gray, 25 septembre, mandement des conseillers Matherot et Brun.

leur avaient jamais manqué, ou du moins que c'était leur faute. En effet, l'armée perdait plus de vivres qu'elle n'en consommait. Tantôt les magasins étaient pillés et les convois enlevés avec leurs chevaux; tantôt les munitions restaient en chemin, sans attelages pour les conduire à destination (1). Cependant Jonvelle et Champlitte furent approvisionnés et gardés, selon les désirs de Gallass. Jonvelle reçut plus de dix mille muids de blé, avec d'autres munitions en abondance(2).

Les chaleurs de l'automne redoublaient dans cette ville les ravages de la contagion, qui sévissait avec la même violence partout ailleurs, en particulier dans les rangs de l'armée. Devant Champlitte, en date du 19

 

(1) Corr. du parlem., B, 787 à 792, passim. Voir en particulier : Gray, 30 septembre. Matherot et Brun à la cour; Jar octobre, la cour à Gallass ; Gray, 2 octobre, Matherot et Brun à Bresson ; Champlitte, 7 octobre, réponse de Bresson. a Vellexon pouvoit fournir mille mesures, si on ne l'avoit pillé et bruslé, comme Montarlot. Nous lui avons subrogé Vezet, Greucourt et Frasne-Saint-Mamès. Mais encore faut-il du temps. Ceux, de Morey ont demandé quelques villages pour les ayder à fournir leurs contributions. (Gray, 2octobre, Matherot et Brun à Bresson, qui se trouvait alors à Vellexon.) Port-sur-Saône déclara ( 24 octobre) ne pouvoir absolument rien fournir, vu la ruine totale que lui avait laissée le passage de Gallass.

La dépêche du 2 octobre finit par un ordre qui n'est pas sans intérêt. a B. Bresson, sur la demande adressée à la cour par le roy d'Hongrie (24 septembre), establissez la poste incontinent de Champlitte à Faucogney, ou au plus droit, pour tirer à Brisach. Nous enverrons des mandements aux gens des lieux où vous l'establirez, pour qu'ils y pourveoient. , Ce nouveau service de poste était pour les communications de Gallass avec la cour d'Allemagne.

(2) BEGUILLET, II, 241. a Il faut accorder au comte de Gallass ce qu'il demande pour Champlitte et Jonvelle, à savoir le logement de cent hommes en chaque lieu, pour garder ses provisions. Ecrivez-en à Bresson. Encore que nous prévoyions bien que ces pauvres villes auront assez à souffrir, elles y auront tousjours meilleur marches que le houri désolé de Jussey, et éviteront un semblable désastre. " (Corr. du Parlem., B, 787; Dole, 19 septembre, 1 a cour à MM Matherot et Brun, à Gray.)

septembre, elle comptait plus de deux mille malades, et ce nombre croissait tous les jours (1). Sur la proposition de Bresson, la cour leur assigna pour ambulance les villages français situés le long du Vanon, c'est-à-dire les deux Fouvent, Saint-Andoche, Trécourt et Rocbe. Mais Gallass, trouvant ce quartier trop restreint, le fit étendre jusque sur la terre de Rupt (2).

Cependant le marquis de Grane, arrivant par Brisach, Thann, Giromagny, Lure, Vesoul et Conflandey, avait amené au camp de Champlitte (28 septembre) l'avantgarde de l'artillerie, composée de six demi-canons de vingt-deux livres de balle, suivie de deux cents chariots de munitions de guerre et escortée de cinq cents fantassins. Il s'établit à Morey, où déjà se trouvaient son régiment et celui de Beck, sous les ordres des lieutenants colonels Mora et Varadiso (3). Quelques jours après, le marquis de Calaffe amena vingt-deux pièces de grosse artillerie, convoyée de deux mille chevaux et d'autant de fantassins (4). On n'attendait plus que le corps d'armée

 

(1) " Nous sommes en incroyable peine du logement et entretien de deux mille malades qu'on nous veut laisser sur les bras. Encor eschapperoit-on du logement; mais l'entretien nous en est impossible. Faites tout ce que vous pourrez pour nous en excuser sur la contagion qui ravage la province. Mais qu'en tout cas on nous donne deniers pour les nourrir et assister. , (La cour à MM. Matherot et Brun, à Gray, 19 septembre.)

(2) Champlitte, 80 septembre, Bresson à MM. Matherot et Brun, aux Preuves.

(3) Ces régiments étaient entrés en Comté le 16 juin. Ils se distinguèrent entre tous par leur insubordination, leurs ravages et leurs plaintes incessantes. (GIRARDOT, P. 116 117 ; corr. du parlem., 7 octobre, Bresson à Matherot et à Brun, aux Preuves, et passim.)

(4) Vesoul, 18 septembre, lettre de Jean Clerc à la cour, signalant l'approche d'un corps d'armée qu'il était chargé de munitionner, depuis son entrée en Comté jusqu'au camp de ChampliLte. Simonnez, de Jus

du marquis de Bade, appartenant au roi d'Espagne.. Le parlement l'avait instamment demandé, dans la ferme conviction que le salut du pays ne pouvait venir que d'un tel secours, parce que ces troupes étaient commandées par un illustre Comtois, le marquis de la BaumeSaint-Martin, de la première noblesse d'Aval, officier de grande réputation , sincèrement dévoué à son pays. C'est ainsi que les malheureux espèrent jusqu'au bout, même contre toute espérance. Mais, hélas ! cette dernière ancre, sur laquelle on aimait à se reposer encore, devait se briser elle-même dans la tempête ; ce dernier espoir allait bientôt être déçu, comme tous les autres, par un cruel dénouement. Saint-Martin se mit en route (Jer octobre) par le même chemin que les corps précédents , excepté que de Lure il gagna Conflandey par Luxeuil et,la vallée de la Lanterne. Ce soulagement pour Vesoul était une gentillesse accordée aux prières des officiers et du magistrat de cette ville. Bresson et le baron de Cléron-Voisey le reçurent, à son entrée dans la province, le premier pour le service des vivres, le second pour la direction des chemins et surtout pour la répression des désordres, chose à laquelle le général veillait lui-même de son mieux, mais avec peu de succès (I). Son effectif était de quatre mille et quelques cents mous

sey, commis-receveur des finances, fut aussi chargé d'y pourvoir, en leur trouvant dix mille rations. (Gray, 21 septembre, Matherot et Brun à la cour.)

 

(1) a Le marquis de Saint-Martin, avec lequel j'ai esté dois son entrée en ce païs jusques à Champlite, a fait, comme bon patriot, tout ce qu'il a pehu pour empescher toutes sortes de désordres; ce qui estoit très difficile, estant l'armée composée de tant de sortes de langues barbares, de nations et de religions, avec un nombre de femmes et de valets aussi grand que de soldats, et tous à qui rien ne peust eschapper, s'il ne

quetaires et de mille hommes de cavalerie, la plupar vieux guerriers de grande expérience et d'insigne valeur, mais traînant derrière eux, comme les autres milices d'outre-Rhin, plus de femmes et de valets qu'ils n'étaient de soldats. Quand ils quittèrent l'étape de Luxeuil, il y restait cinq mille quatre cents rations de pain préparées pour eux. Pour les faire partir à leur suite, Bresson ne put trouver un seul cheval au pays, ni même obtenir ceux de l'armée, et les munitions demeurèrent à Luxeuil en consignation, pendant que les régiments s'acheminaient vers la Saône (1). Les, ponts de Confiandey et de Port tremblèrent de nouveau sous le passage de ces bandes étrangères, devant lesquelles les malheureux habitants de nos pays vingt fois désolés s'enfuirent encore dans la profondeur des forêts.

A l'approche de cette division, Gallass, dont l'entrée en France était réclamée à cor et à cri par le parlement, au nom de la province écrasée, n'avait plus de prétexte pour différer l'expédition. Il tint conseil de guerre au château de Suaucourt, où il réunit le duc de Lorraine, les barons de Scey et de Ville-sur-Illon (2) et quelques autres représentants de la cour, avec les chefs de

brusle ou s'il ne détruit. "'(Mailley, 24 octobre, Cléron-Voisey à la cour (a).) Cependant, outre la ration quotidienne d'une livre et demie de pain, on lentfournissait du vin et de la viande un jour sur trois. Les officiers avaient ceci tous les jours. Ils ne voulaient que du vin vieux , mais on ne put les satisfaire. (Luxeuil, 7 octobre; Jean Clerc à la cour.)

 

(1) Preuves, Luxeuil, 15 octobre.

(2) Charles de Livron, premier officier et gentilhomme du due de Lorraine, parent de Charles de Livron, marquis de Bourbonne.

(3) François de Clé,,,,. maître d'artillerie , colonel du régiment de Dole, seigneur de Mailley et de Voimey du chef de sa mère , Madeleine de Plaisant . épousa 1° Clauda de Mormier. IAdrienne de Thomassin. (DunoD, Nobil.. 203.) Il fut député par la cour à la diète de Ratisbonne. tenue pour I'életion du roi des Romains.

ces différents corps. Le prince lorrain voulait qu'on attaquat la Champagne et qu'on emportât Langres, dût-on y perdre quinze mille hommes. Cet avis était un peu intéressé : son auteur voyait dans la campagne ainsi dirigée l'espérance assurée de reconquérir son duché perdu. De leur côté, les officiers franc-comtois soutinrent vivement cette proposition, qui poussait décidément les alliés loin de la province, au coeur du teirritoire ennemi. Mais Gallass, qui ne voulait -faire qu'une pointe peu avancée et peu risquée sur la France, déclara qu'il fallait entreprendre par le duché de Bourgogne, où il ne voyait que le prince de Condé. Pour le gagner à leur plan d'attaque, le duc et ses partisans le conduisirent, avec tout le conseil, sur la montagne de Morey, d'où ils lui montrèrent la ville de Langres et le Bassigny, placés comme sous la main. Le feld-général braque sa lunette de ce côté, et il contemple, mieux encore qu'il ne l'avait pu faire des hauteurs du Fayl-Billot, les créneaux aériens et la formidable position de la place, que deux puissantes armées se tenaient prêtes à couvrir. L'instrument lui tombe des mains : Laissons Langres, dit-il, et marchons contre Dijon. i, Tous ses officiers l'appuyèrent, et comme les partisans de cet avis étaient les maîtres, il prévalut(1). Le lendemain (18 octobre), le

 

(1) Joumal de Macheret, foi. 1 B. Girardot parle aussi de ce conseil de guerre, mais sans mentionner Suaucourt ni l'incident qui s'y rattache. Après avoir exposé les divers motifs invoqués à l'appui des deux plans d'attaque, il termine ainsi : - Mais je vis, par les lettres de l'empereur que le marquis de Conflans récent en ce temps-là, que la marche de Dijon nt fut à autre fin que pour occuper Weymar et la Valette, tandis que l'infant raisonnerait de Picardie en Flandre, et pour luy asseurer sa retraicte; après quoi Gallasse se retireroit et rentrerait en. Allemagne, où la diette électorale estoit achevée (p. 148). "

marquis de Saint-Martin joignit l'armée impériale, et le soir même le général en chef dépèchait ses ordres de tous côtés pour mettre ses divers corps en mouvement au lever du jour, avec armes et bagages. Aucune invasion ne fit si peur à la France ; car la frayeur, prenant pour des soldats réguliers les bandes vagabondes attachées aux régiments, grossissait l'armée à plus de cent mille hommes. De Mandre et Fauquier d'Aboncourt faisaient partie du contingent bourguignon, avec leurs compagnies, tandis que le jeune Gaucher était envoyé avec la sienne au siège de Lure, puis à celui d'Héricourt (1). Ainsi Jonvelle et sa ligne se trouvaient dégarnis; mais pour le moment il n'y avait rien à craindre de ce côté , car l'ennemi avait nécessairement son attention toute concentrée sur le Duché.

Il n'entre pas dans notre sujet de suivre la marche de cette campagne de trois semaines, dont l'histoire n'est point inédite, comme celle du séjour de Gallass en Franche-Comté (2). Résumons seulement les principaux faits. Après avoir pris le château de la Romagne et reconnu Fon tain e- Française, les alliés forcèrent Mirebeau en trois jours (21-24 octobre). Ensuite Saint-Jean-de-Losne fut bloqué (25 octobre au 3 novembre). Mais dès ce moment, le ciel, jusque-là si radieux et si clément, se couvrit de nuages; des pluies torrentielles, gonflant soudain les rivières, inondèrent les vastes plaines de la Saône et de la Tille, au milieu desquelles se trouvait campée l'armée de Gallass.

 

(1) La ville de Lure fut reprise aux Français le 21 septembre, et l'abbaye ou le château, le 22 octobre (Corr. du parlem., passim.) Héricourt fut assiégé vers la fin de janvier, mais sans succès.

(2) Voir BÉGUILLET, tome II ; GIRARDOT, P. 14S et suiv.

Il était plus que temps pour lui d'effectuer son plan de prompt retour, bien décidé à l'avance. Le mot d'ordre fut lâché aux premières pluies : on allait battre en retraite et prendre les quartiers d'hiver en Comté. De Mandre courut porter à la cour cette affreuse nouvelle, qui fit crier à la trahison (1) et consterna les esprits, en les plongeant de nouveau dans toutes les angoisses de l'épouvante. Après quelques moments donnés à la stupeur et à l'hésitation, la première pensée du parlement, que la peste avait fait fuir à Salins, fut de fermer les places importantes les plus voisines des chemins que les alliés allaient prendre, pour se renverser sur nous. Le sieur de Raincourt, maître de camp d'un terce d'infanterie alors en quartier dans la Franche-Montagne, reçut ordre d'accourir avec ses régiments, de jeter deux cents hommes à Dole et à Gray, de se loger dans Pesmes avec le reste de son monde, et de refuser l'entrée de cette ville à toute gendarmerie étrangère (2). Mais, déjà dix jours avant ce commandement, tous les corps du feld-général avaient décampé (3 novembre) et repris le chemin de notre province, harcelés par l'ennemi et marchant avec des difficultés inouies, au milieu d'un pays

 

(1) Corr. du parlem.; Besançon, 2 novembre, Buson à la cour.

(2) Lettre de la cour au sieur de Raincourt; Salins, i& novembre. Christophe-Louis de Raincourt, seigneur de Bremondans et Fallon en partie et chevalier de Saint-Georges, fut investi de la confiance du parlement et figura toujours avec honneur parmi les braves défenseurs de la cause nationale. Les troupes qu'il commandait avaient été levées par lui dans les seigneuries de Granges, de Clerval, de Passavant et dans la Franche-Montagne (Maîche, le Russey et les environs. Gouverneur de Longle-Saunier en 1687 et 1688 , il défendit vaillamment cette place contre le due de Longueville , Henri d'Orleans. Christophe de Raincourt était parent de Girardot de Beauchemin.

noyé, où plusieurs canons demeurèrent embourbés avec une grande partie des bagages. Le 14, Gallass était à Renève, annonçant son retour au parlement et dissimulant mal son désastre; il demandait qu'on lui préparât des quartiers (1). Le pont d'Apremont le ramena sur la Comté, n'ayant plus que la moitié de son monde et de ses équipages. Mais toujours la terreur marche devant ses soldats, et la dévastation les suit (2). Il étend ses troupes au-dessus de Gray, entre la Saône et l'Ognon ; sa cavalerie, qui était encore de dix à douze mille hommes, chasse devant elle, comme une ennemie, la cavalerie de la province, que le marquis de Conflans conduit en désordre dans le bailliage d'Aval. Quant aux généraux de la France, après avoir poursuivi les alliés j usqu'à la frontière , ils viennent prendre position, avec toutes leurs forces, derrière l'Amance, autour de Bourbonne et de Coiffy.

Cependant le général allemand voulait encore essayer quelque entreprise qui pût couvrir le déshonneur de sa retraite et rendre un peu d'éclat à ses armes. Dans ce but, il fait partir en avant-garde le régiment lorrainallemand de Mercy et mille chevaux croates, qui remontent la Saône par la rive droite et se rapprochent du Bassigny pour reconnaître l'armée française.

 

(1) Corr. du parlem., B, 791, dépêche de Gallass à la cour, datée du camp impérial de Renève, 14 novembre.

(2) " Gallass se plaint de quelques villageois, que l'on dit avoir tué quelques soldats qui les alloyent rechercher jusques au milieu des forêts où ils estoient réfugiés. Or il est fort estrange que ledict comte face plainte de si peu de chose , et que jusques à présent il n'aye fait chastier un seul de ses soldats, qui vollent, assassinent et violentent impunément, par tous les quartiers de par deçà. Que si ce train devoit durer un mois, il n'y restera âme vivante en tous les villages du voysinage. " (Besançon, 19 nov.; lettre du conseiller Buson à la Cour.) Voir aux Preuves, Gray, 26 nov.

Mercy (1) arrive à Jussey, dont la population était diminuée d'un quart depuis le mois de septembre. Tandis que ses bagages filaient à Cendrecourt pour s'y abriter derrière la Saône, et qu'il dormait en sécurité dans ses logements de la ville, soudain, le dimanche 16 novembre dès le matin, Tourbadel, général-major de Weymar, fond sur Jussey, avec un gros de cavalerie. Les Lorrains, les Allemands et les Croates, sont taillés en pièces avant d'avoir pu 'se reconnaître ni tirer un seul coup de mousquet. Ils prennent la fuite, laissant à l'ennemi trois cents chevaux et deux cents prisonniers, dont trois capitaines et un lieutenant. Pendant la lutte, et même avant l'arrivée des impériaux, les habitants avaient fui de toutes parts, les uns dans les bois, les autres au delà de la Saône, à Cendrecourt et à Montureux. Il en était resté à peine deux cents, qui se retirèrent au couvent des Capucins (2), comme dans un asile sacré, avec plusieurs habitants de Cemboing, de Saint-Marcel et de C'endrecourt. Mais ils y sont bientôt investis. Pour sauver l'honneur des femmes et des filles, la liberté de tous et la ville d'un incendie général, il fallut composer pour une rançon de 14,300 francs, dont trente pistoles pour l'officier négociateur de la capitulation. En attendant le paiement, qui devait s'effectuer dans la semaine, quatre notables bourgeois furent emmenés en otage (3).

 

(1) Mercy devint plus tard feld-général et perdit contre le maréchal de Turenne la fameuse bataille de Nordlingen, où il périt (3 août 1645).

(2) Construit en 1622 sur les ruines du vieux château.

(3) Aux Preuves, Il septembre, Enquête sur les désastre de

Jussey.

Lamboy suivait Mercy avec quatre mille chevaux, et se trouvait du côté de Morey quand les Croates fugitifs lui apportèrent la nouvelle de l'échec de Jussey. Aussitôt il monte à cheval et arrive sur les Suédois. Tourbadel se retranche aux Capucins et s'y défend longtemps, jusqu'à ce que Weymar lui-même vienne le dégager. Lamboy les poursuivit dans leur retraite sur Coiffy, et plusieurs fois le duc de Saxe fut obligé de faire volte-face l'épée à la main, Mais enfin une brigade de mille chevaux vint à sa rescousse ; les impériaux tournèrent bride et rentrèrent dans leurs quartiers , auprès de Gallass (1). Sur la fin de la semaine, les habitants fugitifs de Jussey étaient revenus à leurs foyers. Mais aucun d'eux ne voulut se reconnaître solidaire de la composition faite avec les Suédois, et la rançon ne put être fournie dans le délai convenu. Furieux de ce manque de parole et bravant le voisinage de Gallass, les Suédois reviennent à la charge, avec quatre pièces de canon et des forces considérables (24 novembre). Comme il ne se trouvait plus rien à prendre à Jussey lue les cloches, qu'ils ne pouvaient emporter, ils livrent aux flammes tout ce qui avait échappé à l'incendie du 12 septembre (2). Puis ils font mine de manoeuvrer pour marcher contre les impériaux (3). C'était une ruse de guerre - rebroussant chemin subitement, ils tournent sur Jonvelle, qu'ils convoitaient depuis si longtemps, surtout depuis que Gallass en avait fait son principal magasin. La place était presque sans garnison,

 

(1) BÉGUILLET, 11, 288, 239.

(2) Journal de Macheret, fol. 18, verso.

(3) Corr. du parlem., B, 792 ; Besançon , 29 novembre, Buson à la cour.

 

et le sieur de Chauvirey, son gouverneur, n'avait point de troupes à proximité pour la protéger. Il est vrai, le feld-général, à la nouvelle de cette invasion, s'était ébranlé avec quelques régiments de cavalerie légère, laissant derrière lui ses bagages, afin de marcher avec plus de célérité au secours de la ville menacée. Mais il arriva trop tard ; le 27 novembre, Jonvelle était forcé, malgré la belle défense du gouverneur (1), et les Suédois se trouvaient maîtres de toutes les munitions impériales amassées dans cette forteresse. Trop faible pour entreprendre une attaque sérieuse contre le vainqueur , Gallass revint tout confus sur ses pas jusqu'à Choyé (3 décembre). Dès lors son parti fut pris de s'arracher aux malédictions qui retentissaient de toutes parts contre lui , de faire retraite sur le Rhin avec les débris de ses troupes , malgré la saison rigoureuse, enfin d'abandonner la Comté à son malheureux sort. Déjà il amasse ses bagages ; son canon, traîné par les chevaux des vivandiers, s'achemine vers Lure, et l'armée royale se tient prête à le suivre. En apprenant ces tristes nouvelles à la cour, le conseiller Buson ajoutait - " Si le comte Gallass nous abandonne à présent, sans même nous laisser les troupes du roi, et sans autre fruit que d'avoir désolé nos campagnes, ruiné la province et attiré sur nos bras deux armées ennemies qui vont se lancer au coeur du pays, ce sera justement combler la mesure de la véritable opinion que nous devons avoir de son assistance (2). " Informé de, ces dispositions, Weymar alla prendre ses quartiers d'hiver

 

(1) Preuves, 17 décembre ; la cour à M. d'Aboncourt.

(2) Corr. du parlem.; BesanÇon. 5 et 7 décembre.

dans les environs de Torcenay, après avoir muni Jonvelle d'une bonne garnison. Mais à la première nouvelle de sa retraite, le feld-général remonte de nouveau la Saône avec le colonel Picolomini, et reparait soudain devant Jonvelle. Il en chasse les Suédois, et les pousse, l'épée dans les reins, jusqu'à Bourbonne, qui est également emporté (20 au 25 décembre).

La cour de Dole s'empressa de le complimenter de cet heureux coup de main, et le supplia d'en profiter pour décharger la province, autant que possible, en prenant des quartiers sur le territoire français et en se maintenant sur la rive' droite de la Saône, ou du moins en ne passant pas l'Ognon (1). Mais Gallass en avait assez de cette campagne trois fois malheureuse. Du reste, notre frontière était affranchie et l'ennemi refoulé jusque dans le Bassigny. Satisfait d'avoir un peu relevé l'honneur de sa vieille réputation par ces minces et- tardifs succès, le général revient brusquement de Bourbonne sur Jonvelle, où il prend à peine quelques jours de repos, pour continuer ensuite sa marche rétrograde, la face tournée vers le Rhin. Sur son passage, Saponcourt, où il campa (2), Clairefontaine , Faverney et tous les villages de cette ligne, furent dévastés à leur tour, excepté le château de Saint-Remy, que le sieur de Villersvaudey avait muni d'une solide garnison pour le préserver de la terrible visite des Allemands(."). Bresson lui-même, leur pour

 

(1) La cour au baron de Savoyeux, 27 décembre.

(2) Entre Saponcourt et les fermes de Mouhy. (Annuaire de la HouleSaône, 1842

(3) La cour à Villersvaudey, 27 décembre,

voyeur infatigable, se vit détrousser en chemin par une de leurs bandes rapaces (1).

Le 6 janvier (1637), Gallass campait à Colombier. C'est là que les barons de Scey et de Yoisey, députés par la cour, s'abouchèrent avec lui et avec Toréguso, général de l'artillerie royale (Il janvier), afin de régler le contingent des troupes étrangères à laisser pour la garde de la province et les quartiers qu'elles devraient occuper. D'après leurs instructions, les commissaires ne voulaient que six mille hommes pour soutenir les milices du pays et le corps de Lorraine. Mais Gallass prétendit nous laisser dix mille impériaux, sans compter les gens du roi : " Tels sont les ordres, ajouta-t-il avec humeur, que je viens de recevoir aujourd'hui même de Sa Majesté le roi des Romains. Vous accepterez ce chiffre, ou bien je ne vous laisserai pas un seul mousquetaire. " Bauffremont et Voisey répondirent avec une patriotique éloquence : " Nous rendons grâces à la sollicitude paternelle de nos bien-aimés souverains et aux services de leurs armées. Mais la province est ruinée par la guerre, ruinée par la peste et la famine, suites de la guerre ; et c'est notre fidélité au roi qui nous a valu ces trois Béaux. Voilà bientôt cinq mois que la Franche-Comté nourrit les armées de secours, montant à 30,000 hommes de pied et 50,000 chevaux, avec une suite de plus de 600,000 bouches. Assurément le roi ne veut pas qu'elle périsse écrasée sous le faix; il est temps de la soulager : c'est l'intention des ambassadeurs de Leurs Majestés (2). " Le général

 

(1) La cour à Gallass, pour lui demander réparation de ce dommage, 6 janv.

(2) Le marquis de Castagneda, ambassadeur de l'empereur, et le comte d'Oignate, ambassadeur du roi d'Espagne

fut inflexible, et les députés sortirent de la conférence de Colombier sans avoir rien arrangé. Mais le surlendemain il leur dépêcha son quartier-maître à Charriez, pour leur dire que, cédant à leurs représentations et aux désirs des gouverneurs, il leur laissait six mille' hommes seulement. Puis il partit le soir même pour Luxeuil, où il s'arrêta huit jours, attendant la répartition des quartiers et voulant savoir où seraient logés ses régiments; car Toréguso , qui de son côté avait envoyé son quartier-maître à la conférence de Charriez, ne voulut pas se mêler des troupes impériales ; de plus, il refusa de traiter avec le duc de Lorraine ; fatale division, qui apporta les plus grandes difficultés à l'opération des commissaires (1). Quand ils eurent fini, Gallass investit le baron de Furnimont de ses pouvoirs et donna sa démission de commandant en chef de l'armée impériale. Ensuite il prit, avec une simple escorte, le chemin de l'Allemagne, par Sainte-Marie, le Tillot, Thann et Brisach (21 janvier) (2). Ainsi quitta-t-il notre province comme un fugitif et un vaincu ; il y avait quatre mois et trois semaines qu'il en avait franchi la frontière pour la première fois. Peu d'hommes de guerre ont laissé dans nos contrées un souvenir aussi funèbre et aussi profond. Longtemps encore le Bassigny continua de trembler au

 

(1) " Ceste désunion nous at apporté tant d'embarrasses et d'embrouillements au répartement des quartiers, que peu s'en est faillu que nous n'ayons estés réduicts au désespoir. Et quoy que nous travaillassions jour et nuict, s'estoit tosiours en vain. Enfin, aujourd'hui vendredi, nous avons achevé comme nous avons pu ledit répartement, avec les deux quartiers maistres généraux. " (Rapport des commissaires; Charriez, 16 janvier 1687.)

(2) Mème rapport.

souvenir de celui qui l'avait si affreusement ravagé pendant six semaines, et dont les troupes, après son départ, le ravagèrent de nouveau pendant cinq ans. Dans leur juste effroi, les habitants de ce pays ajoutaient aux litanies des Saints cette naïve supplication : " A Galà et à Forçâ libera nos, Domine : de Gallass et de Forcatz, délivreznous, Seigneur (1). " Et pourtant les échecs désastreux de Gallass et la ruine de sa belle armée comme de sa gloire militaire, lui valurent un peu de commisération : au siècle dernier, on disait encore en Bourgogne et en Comté : " Malheureux comme Gallass (2). "

Les débris des deux armées qui ne devaient pas rester chez nous, déjà licenciés en partie, furent acheminés sur l'Alsace, et quelques-uns sur Héricourt, dont le siège fut tenté vers la fin de janvier, mais sans résultat. Pendant qu'ils s'éloignaient, les commissaires répartiteurs achevèrent leurs opérations. Le contingent convenu comprenait douze régiments du roi, dont quatre de cavalerie, et sept régiments de l'empereur, dont trois de cavalerie; en tout quatre à cinq mille soldats effectifs, avec un nombre triple de femmes et de valets. Les gouverneurs avaient entendu que les villes et les châteaux de l'intérieur seraient confiés aux garnisons nationales, et que les étrangers seraient placés sur les frontières. Il fallut de longs débats pour faire accepter cet arrangement par les officiers allemands; car, sentant leur faiblesse, ils redoutaient de voir leurs quartiers à chaque instant sur

(1) M BONVALET, Notice sur Coiffy, p. 10. Le nom de Gallass est resté à une foule de lieux dits dans nos contrées, et celui de Forcais comme synonyme d'intraitable et de brigand.

(2) BÉGUILLET, 11, 241.

pris et enlevés par l'ennemi. Ils refusèrent donc énergiquement Lure, Bussang, Passavant, Jonvelle et Morey,

comme étant les plus exposés de tous les postes. Enfin, ils acceptèrent Jonvelle, où Furnimont logea Bornivalavec un régiment de Croates. Les places de Richecourt, Magny, Jussey, Gevigney, Bougey, Chauvirey, la Rochelle, Suaucourt, Artaufontaine, Montot, Champlitte (1) Gatey, et dans l'intérieur, Mailley, Cussey, Baume et Marnay, eurent pareillement leurs garnisons allemandes, de cinquantquartierse à deux cents hommes, dont les quartiers furent étendus chacun à vingt ou trente villages des alentours, les abbayes seules exceptées. Les alliés voulurent un aussi vaste rayon de parcours, afin d'y trouver de quoi vivre; car la contrée avait perdu plus de la moitié de sa population : plus de quatre cents villages d'Amont étaient brûlés et déserts, le plus grand nombre de leurs habitants étant morts de la peste ou de la faim, ou par les sévices de la soldatesque , et les autres s'étant retirés dans les bois, " se croyant plus assurés avec les bêtes fauves qu'avec les hommes. " Si l'on n'eût donné aux étrangers le nombre de villages demandés, ils menaçaient de courir et de ravager toute la province.

Les barons de Bauffremont et de Voisey n'eurent pas moins de difficultés avec le duc Charles, pour les quartiers de ses trois mille et quelques cents hommes. Ils furent placés, pour la grande partie, en seconde ligne,

 

 

(1) Lorsque le colonel Mendre se présenta aux portes de Champlitte avec son régiment, les habitants refusèrent de le recevoir et en écrivirer à la cour, exposant que le séjour de Gallass leur avait coùté 25,000 rations , 7,300 mesures de blé , 50 muids de vin , leurs vendanges et tous leurs fourrages. Mais on leur répondit que les autres localités étaient aussi épuisées qu'eux-mèmes, et ils durent s'exécuter. (Corr. du parlem., B, 794, 25 janvier.)

derrière les Allemands, le long de la Saône, depuis Darney jusqu'â Ray et Morey. Le reste fut porté en Barrois et en Lorraine, pour occuper Lamarche, Charmes, Remire-mont, Plombières, le Tillot et leurs environs. Ces troupes étaient payées par la province: on donnait aux fantas-sins vingt sous de solde quotidienne, avec la ration ordinaire, une livre et demie de pain; les cavaliers recevaient deux francs, avec deux livres de pain et une ration d'avoine. On était convenu dans les conférences de Charriez que le roi nourrirait ses régiments et ceux de l'empire; mais aucun ordre n'étant venu de ce côté pour les munitions, il fallut bien y pourvoir. Un marché fut passé avec Jean Bresson pour un mois de fournitures. D'ailleurs, on tenait en réserve 1,500 mesures de blé au château de Veset, 4,000 à Montmartin et 40,000 à Rupt (1).

Terminons ce nouveau chapitre de nos malheurs par un trait édifiant, dont la place est ici, et qui fait trop d'honneur à notre catholique Franche-Comté pour ne pas être signalé. Les temps étaient bien calamiteux, et pourtant la foi des peuples ne relÂchait rien de son obéissance rigoureuse aux lois de l'Eglise. L'abstinence religieuse était observée dans toute sa rigueur, et les gen-darmeries elles-mèmes mangeaient maigre. Mais cette année, l'approche du carême, la cour supplia l'Ordi-

 

(1) Corr du parlera.; mois de janvier 1687, en partie; divers rapports des commissaires Bauffremoat et Yoisey, Charriez, 16 janvier, Scey-sur-Sa6ne et Gléron, 25 janvier; marché de Bresson, 1er février.

naire de permettre aux diocésains l'usage des œeufs et du fromage pendant la sainte quarantaine, et aux armées l'usage de la chair, " conformément, dit la supplique, à ce qui s'est fait autrefois, en semblables occasions de guerre et de disette, et prévoyant qu'autrement le peuple ne pourra se sustenter, ni les soldats s'entretenir. Et prions Dieu de nous faire la grâce d'une saison plus paisible, pour n'estre contraincts à discéder encore des commandements de l'Eglise et de nos édits (1). " Hélas! Dieu n'exauça point les vœeux si résignés de nos pieux gouverneurs: laissant peser son bras sévère sur nos infor-tunés aieux, il continua de les éprouver par les calamités de tout genre. Achevons le récit douloureux de ces incroyables désastres.

 

(1) Corresp. du parlera., 795, Dole, 3 février.

 

 

§ III. -- Continuation de la guerre.

 

RUINE DE JONVELLE.

 

Le bailliage d'Amont ravagé par ses propres garnisons. -- Les Suédois y rentrent par Champlitte. -- Famine et dépopulation. -- Les partisans. -- Jonvelle est la terreur du Langrois et du Bassigny. -- Fauquier de Chauvirey est tué. -- Baucher du Magny, son successeur, livre Jonvelle dont la ruine ouvre tout le pays aux Français. -- (Capitulation de Vesoul. -- Le baron de Scey reprend les places perdues, w Il est battu devant Ray. -- Les courses continuent leurs dévastations réciproques. --. Exploits de Caucher. --Ruine de la Mothe. -- La paix.

 

(1637-1659.)

Les garnisons étrangères avaient été placées sur les lisières, en face du pays ennemi, autant pour lui demander des vivres l'épée à la main, que pour tenir ses armées m respect. Mais, comme on devait s'y attendre, les premières courses de pillage et les premières hostilités de nos prétendus défenseurs tombèrent sur les bourgs et les villages de la pauvre Comté, où les impi-toyables maraudeurs n'avaient à craindre ni les Suédois ni les Français. Bientôt un long cri de nouvelle désolation s'éleva de toutes parts et vint navrer le cœur des parlementaires. Aboncourt, Luxeuil, Mailley, Veset et les pays voisins, ont laissé dans nos archives l'expression de leurs douloureux gémissements. Rien n'égala les violence et les cruautés du colonel impérial Nicolas, sur Veset Greucourt, Pont-de-Planche et autres villages, dont les habitants furent contraints, par le meurtre, le pillage, Le viol et l'incendie, à lui fournir une contribution de quinze cents francs. Après avoir forcé et pillé le

château de Veset, il voulut en faire autant à celui de Rupt, dont les provisions ne tentaient pas moins la cupidité de ces insatiables Allemands. Heureusement la place tint ferme contre !es assauts de Nicolas. Les environs de Vesoul ne furent pas exempts de ses ravages. Aussi insolent et impie que méchant et cruel, cet officier répondait brutalement à ceux qui le menaçaient de ses chefs et de la cour: " Je ne crains ni Dieu ni diable, et je ne reconnais ni parlement, ni Gallass, ni sergent de bataille, ni roi, ni empereur (1). "

Ecoutons maintenant le récit du baron de Voisey. Il écrit à la cour le 27 janvier: " Après l'arrangement des quartiers avec M. de Scey, je m'en vins chez moi, à Mailley, pour arrester les désordres et excès qu'y com-mettoit M. de Loyers, du comté de Namur, colonel de cavalerie en l'armée du roi. J'arrivay la bien à poinct pour y délivrer des prisonniers que l'on avoit liés et attachés, afin que par telle rigueur on les forçat à trouver de l'argent. Ma présence fit cesser les cruautés de ce régiment, qui avoient commencé devant Noël, après leur retour de Jonvelle. Depuis ce temps, ils ont tout faict ce que des ennemys peuvent inventer, hormis le brusle-ment; car ils ont vendu, dissipé, donné et perdu tout ce qu'ils ont treuvé de meubles et de vin: les meubles ont été brisés avec tout ce qui estoit dans les maisons; le vin a esté bu et plus encore lasché dans les caves par les tonneaux enfoncés; enfin les habitants ont esté accablés de coups et plusieurs tués à force d'estre battus. Sans

 

(1) Corr. du parlem., B, 795, Requéte des habitants de Veset et du voisinage; février 1637. En mai suivant, le colonel Nicolas était au bailliage d'Aval, coutre Lougueville. (GIRARDOT, p. 167.)

exagération, ce pauvre village, depuis mon retour de Saint-Jean-de-Losne, en est pour plus de vingt-cinq mille escus, dont il n'en est pas allé deux mille à la soldatesque. Je me suis plainct de ces désordres à M. le marquis de Toreguso ; mais, à mon advis, il est peu disposé à apporter du remède à choses semblables. Il est grand économe, et il ne treuve pas mauvais que ses subordonnés fassent tout pour avoir de l'argent (1). "

Telle était partout la conduite des garnisons impériales et royales. Dans les communautés que le désespoïr enhardit à la résistance, il en coûta l'incendie général, les derniers outrages aux femmes et l'égorgement des enfants. Et pourtant les plaintes les plus vives arrivaient de Vienne sur les mauvais traitements éprouvés par ces troupes, quelques efforts que fit don Gabriel de Tolédo, ambassadeur d'Espagne au Comté, pour instruire l'empereur de la vérité, en soutenant la province et en accusant les Allemands : son dévouement pour nous n'aboutit qu'à les irriter encore davantage Contre la province, à les ameuter contre lui-même et à lui faire le plus mauvais parti en cour impériale (2). Du reste, les Lorrains n'étaient pas moins débordés. La terre de Ray avait en quartiers trois de leurs compagnies de dragons, avec un régiment royal : leur première opération fut le saccagement du bourg, ensuite le siège du château, que cependant ils ne purent forcer (3). Les mêmes dévastations

 

(1) Corr. du parlem., B, 794 ; Cléron, 27 janvier 1687.

(2) Ibid., 798, Vienne, 16 mars, lettre de Castagneda à la cour; 804, Besançon, 16 et 31 août, Buson à la cour.

(3) Launoy, son commandant, ajoute dans son rapport La terre de Ray a fourni l'an dernier 3,000 mesures de bled pour les trouppes; elle a logé trois régiments pendant six semaines ; le due de Lorraine y a passé

furent continuées et les mêmes tentatives essayées, par ces braves défenseurs de la Comté, sur Vellexon, Seveux, Savoyeux, Dampierre, Montureux et Beaujeu. Les habitants d'Autet, de Mercey et de Quitteur s'étaient retirés avec leur bétail derrière une colline, dans une île de la Saône appelée la Vaivre d'Autet, comme dans un asile plus assuré que des murailles. Vain espoir! Pendant une nuit obscure, cavaliers et fantassins, Allemands et lorrains, passent à la nage le bras de rivière, et se ruent, en poussant des cris furieux, sur cette multitude impuissante, qui leur tira bien au hasard quelques coups de mousquet dans l'eau, mais sans pouvoir empêcher l'abordage. Alors commence dans les ténèbres une scène d'horreur indescriptible. Aux féroces hurlements des brigands répond l'immense clameur d'hommes, de femmes et d'enfants réveillés en sursaut. Les braves résistent courageusement pour défendre les femmes contre les outrages des profanateurs, et ils sont tués avec elles, à coups de crosses, de sabres et de pistolets. Le reste fuit, emportant les enfants dans les bras : ils se jettent dans les flots, qui les entraînent pour la plupart, ou dans les barques et les nacelles, qui ne les sauvent pas mieux ; car la précipitation et la surcharge les font bientôt couler bas. Restés seuls sur le terrain, avec les bestiaux, nos glorieux vainqueurs repassent la Saône et se retirent du côté de Beaujeu, chassant de trois fois, et la dernière fois avec presque toute son armée. Le baron de Clinchant y avoit son régiment, il y a quelques semaines : les sujets de la terre, ne pouvant le nourrir, se sont imposé des sacrifices énormes d'argent pour le faire sortir. Il n'y reste plus que le tiers des habitants. (B, 794, Ray, 28 janvier.)

 

vaut eux leur copieux butin (1). Hélas ! faut-il ajouter, pour dernier trait à ce tableau de désolation, que le brigandage sans merci des alliés n'était que trop souvent imité par les troupes nationales (2) ? En un mot, l'effroi causé par les gens d'armes, quel que fût leur drapeau, fit abandonner les villages ; les champs ne furent point semés, et le pays marcha rapidement à une ruine complète. Il offrait ce lugubre spectacle, lorsque Girardot traversa le bailliage d'Amont à la mi-juin : " C'estoit chose bien triste, dit-il, de veoir les villages tellement déserts, que l'herbe avait crû par toutes les rues (3). " Tel était donc pour notre malheureuse patrie le fruit de la politique de Richelieu. La maison d'Autriche n'était pas encore humiliée, comme il l'avait arrêté dans les inflexibles résolutions de sa pensée de fer, pour la gloire de son maître et pour les intérêts de son pays; mais déjà les fiers héritiers de Charles-Quint voyaient la plus dévouée de leurs provinces expier cruellement son antique et inaltérable fidélité à César; déjà le Comté de Bourgogne était, sinon conquis et tout à fait écrasé, du moins frappé au coeur et à peu près rainé. Malheur, trois fois malheur aux contrées qui , se trouvant l'enjeu des ambitions princières et des jalousies de nations, deviennent ainsi le théâtre de la guerre, de ses fureurs dévastatrices et de ses débats sanglants!

 

(1) Ibid., Gray, 8 et 17 juin ; les officiers du roi à la cour, au sujet de cette affaire.

(2) Ibid. Voir diverses dépêches dans les derniers mois de 1636. L'année suivante, le conseiller Buson écrivait à la Cour: " Les trouppes que l'on peut lever ne grossissent qu'en canailles, en garses et en bagages. Du train qu'ils mènent, les Allemands n'estoient que des agneaux, et ceuxci des loups. - (804, Besançon, 81 août.)

(3) GIRARDOT, p. 170 et "I

L'armée franco-suédoise ne traitait pas mieux le pays langrois, d'où elle épiait l'occasion favorable d'entrer de nouveau dans notre province. Le départ de Gallass, la déroute et la ruine de sa belle armée, en délivrant Richelieu de la plus grande frayeur de sa vie, furent pour ce grand ministre le signal d'une revanche bien facile. Dès le 5 février, un avis anonyme adressé de Paris disait au parlement : " Gare à vous ! tout s'en va fondre par delà, pour faire une diversion contre la maison d'Autriche. Retirez-vous des lisières de Jonvelle , qui ne sont menacées que pour vous tromper, et concentrez-vous sur Dole, qui va porter encore tout l'effort de l'ennemi (1). 7) L'auteur de cet avis n'était qu'à moitié bien informé. " Cette fois, dit Girardot, Richelieu, se gardant bien de prendre le lion par la tête, comme l'année précédente, l'assaillit par les flancs, de trois côtés à la fois, pour mieux diviser les forces de la province (2). " Il n ' entre pas dans notre sujet de raconter cette campagne : donnons seulement, sur les premières étapes de l'invasion de Weymar , quelques détails inédits, qui se rapportent à notre histoire et mettent en relief le gouverneur de Jonvelle.

Dès le mois de mars, le duc de Longueville envahissait, pour la seconde fois, le bailliage d'Aval par le sudouest. Quand il y a pris pied, Grancey, gouverneur de Montbéliard, force le pont de Voujeaucourt et prend Dampierre, l'Isle, Baume, Montby et Montmartin (3).

 

(1) Corr. du parlem., B, 795.

(2) GIRARDOT, P. 175.

(3) Corr. du parlem., 803, 22 juillet, dépêche de la cour.

Malheureusement toutes les troupes sont retirées dAmont, pour être opposées à ces deux armées. C'est ce qu'attendaient celles du Bassigny. Le duc de Saxe et du Hallier s'ébranlent à la fois, non sur Jonvelle, qu'ils avaient feint de menacer, mais sur la route directe de Besançon, qu'ils savaient plus à découvert. Leur plan était de donner la main à Grancey, sous les murs de cette ville. Après avoir pris la Romagne (i), que les Comtois tenaient au Duché (18 juin), les Suédois paraissent devant Champlitte, où déjà les Français les ont précédés (19 juin). Les alliés avaient sept ou huit mille hommes de pied, quatre à cinq mille chevaux et dixneuf pièces de canon. Cette place courageuse eut la noble fierté de repousser les sommations de Weymar et de subir son artillerie. Mais aussi elle ne se racheta des fureurs d'une prise d'assaut que par une capitulation de 90,000 livres (21 juin). Pendant qu'on la signait, le prince de Saxe s'installa aux Capucins, et du Hallier aux Augustins, dans le quartier de Gallass. Gatey ouvrit ses portes le même jour, sans résistance, et l'armée victorieuse poursuivit sa marche sur Membrey. Là, elle se divisa en deux corps, dont l'un, composé de Français, alla faire le siège de Ray ; cette place fut emportée, ainsi que le château de Lavoncourt, appartenant à Charles Il de Lorraine-Lillebonne, et les deux maisons fortes qui en relevaient dans ce village, tenues l'une par les Montfort, l'autre par les Joyant. Celle-ci ne fut réduite qu'après une attaque

 

(1) Son capitaine, le sieur de Cubry, y reçut 146 coups de canon, espérant être secouru. Fait prisonnier de guerre avec ses 120 hommes. il paya 200 pistoles pour sa rançon personnelle, et 200 pour ses officiers. (B, 802, diverses dépêches de Gray.)

et une résistance des plus opiniâtres; car l'ennemi poursuivait là une vengeance royale d'autant plus acharnée, que la rancune était plus vieille. Antoine le Joyant, qui occupait ce petit castel, était un gentilhomme du Maine, autrefois ardent ligueur et capitaine d'une compagnie d'infanterie dans l'armée des princes. Réfugié en Franche-Comté vers 1590, après les journées d'Arques et d'Ivry, il avait obstinément refusé de se rallier à Henri IV, malgré les efforts de son compatriote, Martin Ourceau, sieur de la Roche d'Orthon, que le roi avait envoyé du Mans dans notre province pour lui ramener les gentilshommes récalcitrants. Non moins insensible aux sommations de la force armée, ce noble vieillard périt à la défense de son château, avec la plupart des siens; il n'échappa guère de sa famille qu'un de ses petits-fils, qui se retira au village désert de Bougey (1).

Pendant ces opérations, le corps des Suédois, marchant droit en avant, tentait le passage de la- Saône (22 juin). Le duc de Lorraine était accouru à la rencontre du flot envahisseur, et il avait posté sur la rivière, de Rupt à Seveux, le gros de sa cavalerie, sous les ordres de Mercy, son sergent de bataille. Ce corps de défense, chargé de barrer le passage de la rivière, était composé d'Allemands, de Lorrains et de Comtois ; et parmi ceuxci figurait le baron de Chauvirey, gouverneur de Jonvelle, à la tête de son régiment. Forbuer, lieutenant de Wemar, n'ayant pu forcer le gué de Savoyeux, que les dragons de Mercy défendirent avec succès pendant deux

 

(1) Voyez la notice sur la famille le Joyant.

heures, attendit les ténèbres de la nuit pour s'approcher de la Saône, derrière le bois de la Mange (territoire de Membrey), endroit isolé et couvert, éloigné de tous les quartiers comtois. Avec des barques, il jette une partie de son monde sous la côte de Seveux. Au point du jour (23 juin), cette avant-garde tombe sur le village, pendant que le reste des Suédois achève de passer. Mercy et Chauvirey accourent , chacun de son côté, avec quatre ou cinq régiments et repoussent l'ennemi jusqu'à la Saône. Malheureusement le canon de Forbuer les attendait sur la rive opposée ; sept volées solidement pointées vomissent la mitraille et la mort dans les rangs de leurs escadrons. Les Allemands se rompent et tournent le dos à toute bride ; Fauquier d'Aboncourt reste seul, avec son régiment et deux autres, pour tenir tète à l'ennemi et soutenir la retraite contre l'armée suédoise tout entière. La même matinée vit emporter les châteaux de Seveux, de Vellexon et de Veset. Sur le midi, pendant que Mercy cherchait vainement à rallier ses Allemands éperdus , les trois régiments de Chauvirey s étant retournés de nouveau contre le vainqueur, dans un défilé près de Frasne-le-Château, furent écharpés à leur tour, après une héroïque résistance. La perte totale de cette journée fat de plus de mille hommes, tués ou blessés, sans compter un nombre considérable de prisonniers et la perte (le tous les bagages. Fauquier arriva le soir même à Gray, et sur son récit, d'Andelot, gouverneur de cette ville, instruisit aussitôt le parlement de ce désastre (1).

 

(1) Corr. (lu parlem., B, 802, diverses dépêches. Girardot (p. 175)

Cependant les généraux ennemis étaient restés à Champlitte, avec leur gros canon destiné à battre la place de Gray, qui n'avait que de mauvaises murailles et quatre cents hommes de garnison. En effet, dès le 22 juin, le due de Saxe envoyait un trompette à d'Andelot, pour le sommer de se rendre ; " en tout cas, ajoutait Weymar, préparez-moi à dîner, car j'irai bientôt vous voir. - Le festin est tout prêt, répondit fièrement le gouverneur; et je vous ferai manger d'une viande si dure, qu'après en avoir tâté, vous perdrez le goût du pain. " Cette bonne contenance déconcerta le prince Bernard et son collègue, qui rejoignirent aussitôt leurs- armées (1). Celle de du Hallier resta pour fournir les garnisons laissées dans les places conquises, tandis que les Suédois prenaient Autrey, Choye, Gy (2), Citey, Saint-Loup, Chantonay, Moncley et Marnay. Ils échouèrent contre Besançon et quittèrent la province , en juillet, par le Montbéliard.

Les troupes étrangères du bailliage d'Amont avaient. laissé toute liberté à cette marche victorieuse de nos. ennemis, bornant leur vaillance à ravager le pays confié à leur garde, en dignes émules des Suédois. Cependant, une fois le Bassigny dégarni de ses armées, l'avidité et la fureur du pillage se tournèrent de ce côté; et ce pays, non moins malheureux que le nôtre, fut ouvert en per

restreint la perte de Mercy à sept ou huit cents hommes tués, blessés ou prisonniers De plus, il lui fait à lui-même les honneurs de la retraite, sans parler du gouverneur de Jonvelle. Mais d'Andelot a dû être mieux renseigné.

 

(1) Ibid., Gray, 22 juin, d'Andelot à la cour.

(2) - Ceux de Gy ont composé à 4,000 pistoles, moyennant quoy point d'infanterie n'y est entrée. " (Gray, 26 juin, d'Andelot à la cour.)

manence, pendant cinq ans, aux courses dévastatrices des garnisons de notre frontière. Comtois, Lorrains, Cravates (1), tantôt en partis isolés, tantôt en bandes réunies, s'élançaient à chaque instant de Jonvelle, de Richecourt, de Demangevelle, de Conflans, de Bougey, de Chauvirey, de Suaucourt, d'Artaufontaine, de Raucourt, de Gray, de Vesoul même et de Dole, pillaient et incendiaient les villages , tuaient les paysans ou les ramenaient prisonniers, avec leur bétail et leurs menus troupeaux. Les plus acharnés aux expéditions de ce genre étaient le jeune Gaucher du Magny, le baron de Chauvirey et le colonel Bornival, commandant les garnisons étrangères de Jonvelle et des chàteaux d'alentour. On avait réparé les fortifications de Jonvelle, et Bornival se vantait d'être prêt à bien recevoir Turenne (2). C'est là qu'ils abritaient la plupart de leurs prisonniers, jusqu'à réception de bonnes rançons. Déjà précédemment ils étaient tombés sur le village d'Hortes (U février), à la barbe des Suédois, et ils y avaient brûlé ce que les Espagnols en avaient laissé. Le curé, Nicolas Jolyot, demeura deux jours caché sous la voûte d'un ruisseau et mourut peu après, de ce séjour empesté. Le 26 juin, pendant que les armées du Bassigny manoeuvraient sur la Saône, cinquante Croates de Jonvelle retournèrent faire le dégât dans le même village et dans les environs. Le 9 juillet suivant,

 

(1) Croates. Les populations confondaient sous le nom de Cravata tous les soldats, étrangers d'outre-Rhin venus an secours de la Comté.

(2) . Je suis bien marry que le temps ne nous est pas plus favorable pour achever nos ouvrages et recevoir le vicomte de Tureine, s'il y vient, ce que je ne puis croyre. - (B, 794 Jonvelle, 23 janvier, Bornival à Furnimont.) Il lui demande des munitions de guerre surtout des grenades, pour la place et pour les chàteaux voisins.

 

Bornival surprend de nuit le Fayl-Billot et sonne lui-même le tocsin. La population éperdue se réfugie dans l'église, autour de son curé, Gaspard Carbollot. Ils sont cernés et pris, au nombre de cent vingt personnes; puis les misérables restes du bourg sont mis au pillage et brûlés. De là les Allemands se jettent, en commettant les mêmes dégàts, sur Torcenay, Corgirnon, Chaudenay et Rosoy, où ils font de nouveaux prisonniers, entre autres le curé de Rosoy, Simon Parisel, et son neveu. Parisel demeura six semaines à Jonvelle, et il n'en sortit qu'après avoir payé soixante pistoles pour sa rançon, et huit pour sa nourriture. Trois semaines après (29 juillet), le sieur Chevillon et Fauquier d'Aboncourt, à la tête de six cents hommes détachés des garnisons de Ddle, Gray, Jonvelle et Chauvirey, incendièrent un faubourg de Langres, et rentrèrent à Chauvirey avec plusieurs prisonniers et un grand butin (1). On devine bien que les garnisons du Langrois rendaient à la Comté violences pour violences et couraient nos frontières avec les mêmes dévastations. Au nom de l'humanité, les parlements de Dole et de Dijon essayèrent de s'entendre pour la répression de ces ravages mutuels. Le marquis de Francières, gouverneur de Langres, s'étant présenté devant Gray avec cavalerie et infanterie, demanda que les courses fussent arrêtées, pour que l'on pût faire les semailles et les vendanges (2). Mais toutes ces tentatives furent vaines et les hostilités continuèrent.

 

(1) Journal de Jfacheret.

(2) Corr. du parlem., B, 804. Dole, 28 aoùt ; la cour an marquis de Saint-Martin.

 

Ainsi finit cette malheureuse année 1637. Encore plus calamiteuse que la précédente, elle laissait nos pays ruinés et dépeuplés par la guerre et la peste. Faute de bras et de bétail, les champs ne furent point ensemencés, ni en automne ni au printemps suivant, ou du moins ceux qui voulurent semer quelque chose, furent obligés de s'atteler eux-mêmes à la charrue (1). Que l'on juge de ces malheureuses années par le tableau navrant que la plume d' un témoin oculaire nous en a tracé

" On vivoit de l'herbe des jardins et des champs. Les charognes des bestes mortes estoient recherchées aux voiries ; mais cette table ne demeura pas longtemps mise. On tenoit les portes des villes fermées, pour ne se veoir accablé du nombre de gens affamez qui s'y venoient rendre ; et hors des portes, les chemins demie lieue loing estoient pavez de gens hàves et deffaicts ' la plupart estendus de foiblesse et se mourant. Dans les villes, les chiens et les chats estoient morceaux délicats; puis les rats estants en règne furent de requise. J'ay veu moy mesme des gens bien vestus relever par les rues des rats morts jettez par les fenestres, et les cacher pour les manger. Enfin on en vint à la chair humaine, premièrement dans l'armée, où les soldats occis servoient de pasture aux autres, qui coupoient les parties plus charnues des cadavres, pour bouillir ou rostir, et hors du camp faisoient picorée de chair humaine, pour vivre. On descouvrit, en certains villages, des meurtres d'enfants tuez par leurs mères, et de frères par leurs frères,

 

(1) -4 Choiseul, un homme, avec ses trois fils, labourait un bichot par jour, a raison de 30 sous (MACHERET, fol. 43, verso.)

pour se garder de mourir de faim. C'estoit partout la face de la mort (1). " Aussi la dépopulation fut générale, les villages déserts, et les villes réduites au quart de leurs habitants (2). Plusieurs de nos paroisses , comme Jussey, Montigny, Lure, Bougey, Laître, Ouge et Baulay, en conservent une preuve muette, mais bien éloquente, dans leurs registres de baptêmes de cette époque. Pendant huit ou dix ans, ils constatent à peine quelques naissances, dans des communautés qui les comptaient, les années précédentes, par trente, quarante, cinquante ou davantage (3). Leurs habitants que la mort n'avait pas moissonnés, avaient émigré de toutes parts en pays étrangers,

(1) GIRARDOT, p. 212 et 213

(2) A Langres et dans ses environs, dès le mois d'août, les cimetières était remplis et l’on enterrait partout. La peste diminua sur la fin de l’année, après avoir enlevé dans cette contrée, avec l'aide de la guerre, 5500 personnes, dont 58 ecclésiastiques. ( MACHERET, fol. 24.)

(3) Jussey perdit tous ses habitants; il en revint 95 en 1641, et l'administrateur de la paroisse, Etienne Clerc, commença de nouveaux registres par ces mots . " Noinina infantium in ecclesid Jussey baplizatorum post reditum populi. - Point de naissance cette année-là, une seule en 1642 ; six en 1643. La parenté a tellement disparu que le sieur Légier est parrain de cinq de ces enfants. La population demeure stationnaire jusqu'en 1652. qui offre treize naissances ; ce qui fait supposer quatre à cinq cents habitants,

À Laitre, le curé Pierre Aillet commence son registre, en 1641, par ces mots : " Ab anno Domini 1636, vix ulli baptizati fuerunt, quia ob continuos bellorum tuimltus qui lune temporis totam provinciam devas

tarunt, major pars populi proprios oedes deserens in exteras regiones aufugerat.

Botigey, qui avait compté 35 actes en 1635, dont 15 pour Oigney, n'eut aucune naissance en 1637, deux en 1638, cinq en 1639, deux en 1610, cinq en 1641, une en 1642 cinq en 1643 six en 1644, onze en 1645, huit en 1646. Le registre est sans visa de l'officialité diocésaine, du 19 juillet 1634 au 14 juin 1617, date du passage de Jean Millet, procureur général et fiscal de l'archevêque.

À Ouge, il ne resta pas une maison debout, sauf le choeur de l'église. Le village ne sortit de son tombeau qu'en 1642. On compta quatre baptèmes en 1648, sept en 1649, huit en 1650, six baptêmes et une sépulture en 1651. Le village ne fut repeuplé qu'en 1688.

à Baulay, de 1636 à 1644, pas une seule naissance. À Montigny-lezCherlieu , il ne resta que deux maisons. À Lure, on ne trouve que dix actes de baptêmes sur les registres, de 1638 à 1643. Chatillon-surSaône , ruiné en 1635 , n'avait encore que huit habitants en 1648. (Y. Notice sur Chatillon. )

 

laissant à leur place les soldats et les brigands. Cependant la guerre continuait entre les rares survivants de tant de fléaux conjurés. Les Comtois avaient ouvert la campagne au printemps (1638), par la reprise de Champlitte et le sac de Selongey. Quelques jours après, Bornival surprit Bourbonne, les deux Coiffy, Neuvelle, Varennes et les lieux circonvoisins, et s'en revint avec un riche butin et de nombreux prisonniers, qui furent entassés dans les prisons de Jonvelle. Bourbonne seul lui valut une rançon de huit cents pistoles (15 mai). Les courses ne se ralentirent point les années suivantes. Le 12 avril 1639, le marquis de Sallenoüe-Marmier et le lieutenant du marquis de Saint-Martin, à la tête de trois cents cavaliers, recrutés à Dole, à Gray et dans lès garnisons voisines , poussèrent jusqu'à Saint-Geomes , enlevèrent cent cinquante chevaux, trois cents pièces de gros bétail et toutes les personnes qui leur tombèrent sous la main, entre autres Etienne Plusbel, curé de Baissey, Floriot, curé de Balesmesi et René Saladin d'Auglure, seigneur de Coublans. Le 16 avril, tout le bétail d'Hortes est saisi par un parti de cent vingt Croates, assistés de la garnison de Bougey. En juin et juillet, ceux de Jonvelle, Jussey, Vesoul et Gray pillent Marcilly, dont le curé est fait prisonnier, brùlent Champigny et ravagent Humes, Bannes, Heuilley-le-Grand , Piépape, Dom

marien et Grenant. Mais les Langrois se vengent sur Montureux-lez-Gray, qu'ils occupent onze jours, et qu'ils n'abandonnent qu'après l'avoir brûlé et démantelé (juin). L'année suivante, ils exterminent, près d'Hortes, un gros de Croates et de Comtois venus de Gray (25 août 1640). Furieux de leur défaite, les vaincus retournent en force et saccagent Pressigny, Villegusien et Dommarien, et sont assez audacieux pour se présenter à la foire de Langres (fin de 1640 et janvier 1641). En même temps, ceux de Jonvelle brûlaient Bonnecourt, surprenaient de nouveau Bourbonne, le fer et la flamme dans les mains, et poussaient jusqu'à Andilly, opérant la razzia de tous les chevaux rencontrés. Mais , repoussés dans .une tentative sur la Ferté, ils tombèrent deux fois, près de Jonvelle, dans les embuscades du marquis de Bourbonne, et y laissèrent quarante-quatre prisonniers. De son côté, la garnison de Suaucourt dirigeait ses expéditions sur Savigny, Bise, Fayl-Billot, Torcenay, Hortes, Coiffy-le-Bas, Couson, Rougeux et Saint-Vallier, dont le curé, surpris au lit, eut à peine le temps de s'échapper en déshabillé. Pourtant le sieur d'Yves, commandant du chàteau de Pressigny, les joignit près de Rougeux et les mit en complète déroute. Il eut encore sa part de gloire et de butin dans un autre fait d'armes de l'été suivant. La Suze, gouverneur de Belfort pour le roi Très Chrétien, avait eu vent qu'un convoi de vivres, composé de cinquante chariots, s'acheminait de Besançon à Luxeuil, escorté par le sieur de Gonsans à la tête d'une centaine d'arquebusiers. Il fait signe aux garnisons de Pressigny, de Voncourt, de Genevrières et -de Bourbonne, qui lui donnent lestement la main pendant la

nuit, de manière à former un corps de soixante chevaux et de cent quarante fantassins. Ils s'embusquent dans d'épaisses broussailles, sur la route de Luxeuil, et ils attendent. À Vellefaux, le convoi reçut avis du péril qui le menaçait : " Tant mieux, répondit Gonsans ! ils sont morts s'ils osent nous attaquer. " Dédaignant de prendre du renfort et d'éclairer sa marche, le présomptueux officier paya cher sa bravade : il mordit la poussière avec quatre-vingt-dix des siens. Il n'échappa au massacre que Callot et Pierrey, de Luxeuil, avec le fils aîné du baron de Melisey-Grammont et le docteur Thiadot, que son jeune âge fit épargner, pour être emmené prisonnier'. Les Français le firent monter sur la charrette qui portait leurs morts, au nombre d'une dizaine, et ils se retirèrent avec le butin , estimé 25,000 écus (25 juillet 1641) (1). Cependant , malgré cet incident malheureux , on peut dire, avec Girardot de Beauchemin (2), que tout le bailliage d'Amont jouissait d'un repos relatif , sous le couvert de Jonvelle et grâce à la réputation de ses capitaines.

Le curé d'Hortes, à qui nous devons en grande partie les détails qui précèdent, raconte des choses inouïes sur les barbares traitements que les soldats de Jonvelle faisaient subir à leurs prisonniers, du nombre desquels furent ses paroissiens, ses confrères et son neveu. On les entassait pêle-mêle dans des cachots sans air ni lumière, où ils n'avaient souvent à manger que de l'herbe crue; on leur bandait la tête avec effort; on leur donnait l'estrapade,

 

(1) Corr. du parlem., B. 853 ; Vesoul, 26 juillet 1641. les officiers du roi. Chancel-Flavigny et de Mongenet, à la cotir ; GIRARDOT,

(2) P. 266.

punition militaire qui consistait à élever le patient au sommet d'une haute pièce de bois, par les mains liées derrière le dos, pour le laisser ensuite retomber jusque près de terre. Le narrateur cite entre autres trois femmes qui subirent les derniers outrages ; l'une en mourut, entre les mains des infâmes scélérats; les deux autres furent éventrées par des cartouches allumées dans leurs entrailles (1). Assurément le gouverneur n'était pas complice de ces atrocités commises par les Allemands ; mais il n'en était pas moins un des plus hardis et des plus acharnés dans les entreprises à faire sur le territoire ennemi. Son intrépidité et sa haute stature l'avaient fait surnommer par les Français le Samson et le Goliath des Comtois. Le 23 juillet 1641, prenant avec lui ses gens de Chauvirey, il tomba sur Torcenay, à huit heures du matin, et s'en revint avec quarante-trois pièces de bétail. A peine rentré dans son château, il y amasse deux cent cinquanté piétons et cent cavaliers, fournis par les garnisons de Gray, de Jonvelle, de Ray et de Suaucourt, et il les conduit jusqu'aux portes de Langres. Il se retirait chassant devant lui un grand butin de gros et menu bétail, lorsque les Langrois l'atteignirent à Rougeux et l'attaquèrent si vivement, que sa petite troupe fut taillée en pièces ; le chef resta parmi les morts. Le curé d'Hortes, témoin de ce fait d'armes, qu'il appelle emphatiquement la merveille des Lengrois, ajoute à la fin de son récit : " Faut sçavoir que la damoiselle, femme du dict sieur de Chauvirey, s'estant mise à genoux devant luy, la veille de sa sortie, il respondit que, passé ceste fois, il

 

(1) Journal de Macheret, fol. 47, verso.

ne feroit plus jamais course en Bassigny. Il a tenu parole, puisqu'il y est demeuré (1). "Ainsi mourut Humbert-Claude-François Orillard Fauquier dAboncourt, seigneur de Chauvirey et gouverneur de Jonvelle depuis 1625. Sa charge fut confiée au jeune Gaucher, officier recommandable jusque-là par sa bonne conduite et ses nombreux services. Il avait hérité de l'esprit du colonel Jean Warrods, son oncle, pour les expéditions ugabondes, mais non pour la valeur militaire. Du moins, comme Fauquier, son prédécesseur, il avait visité et fait trembler Langres et le Bassigny, Nancy et toute la Lorraine. Bornival n'était plus à Jonvelle, et du Magny continua seul le terrible métier des partisans. Sa réputation tenait les voisins en respect et rassurait son pays, lorsque du Hallier, gouverneur de Lorraine, s'avisa de le tenter par une dame de Remiremont, dont il convoitait la main (2). Du Hallier réussit à souhait, et s'il ne le gagna pas d'abord, cependant il l'endormit assez pour entreprendre sur tout le bailliage d'Amont, qui se reposait en Warrods, et qui n'avait rien de muni que Jonvelle, sur toute la frontière de Champagne et de Lorraine. Le général français n'avait d'autre gendarmerie sous la main que les garnisons de sa province, desquelles on ne craignait aucun mouvement en Comté. Il les amasse à la sourdine. Le maréchal de camp Médavi, comte de Grancey, le seconde et partage avec lui le commandement de l'entreprise, qui attire Charles de Livron,

 

(1) Ibidem, foi. 46. verso, et 47.

(2) GIRARD0T, P. M. Ni cet historien ni la correspondance du parlement ne disent le nom (le cette (Luite de Remiremont. Nous et-oyons qu'elle était de la maison de Maill y-Cl inch an t

marquis de Bourbonne, gouverneur de Champagne, le marquis de Francières, gouverneur de Langres, le baron de Marey de Clémont, le chevalier de Tonnerre et quantité d'autres gentilshommes, tous accourus avec des renforts, tous intéressés dans le bailliage d'Amont, les uns par des alliances et des domaines, les autres par la passion de la vengeance. L'armée se forme à Bourbonne, au nombre de sept à huit mille hommes, tant cavalerie qu'infanterie, et Seguier, évêque d'Auxerre, préside le conseil de guerre. Nancy leur envoie cinq grosses pièces de siège et Langres deux. Prenant le chemin de Châtillon, les Français arrivent soudain, le dimanche 15 septembre, de grand matin, en vue de Jonvelle, par le même côté que Tremblecourt en 1595. Sommé de se rendre, du Magn y répondit " Non! " très gaillardement, quoiqu'il n'eût que deux cents hommes à leur opposer. La place est donc reconnue, serrée de près et investie ; le canon est mis en batterie devant la plus découverte des courtines du nord. Bientôt la brèche est au large, malgré l'artillerie des Comtois. Ceux-ci la réparèrent lestement dans la nuit, et la batterie française eut à jouer tout de nouveau pour la rouvrir. Quand les assaillants s'y présentèrent, le gouverneur soutint bravement l'assaut, l'épée à la main , encourageant son monde et se battant comme un soldat. L'ennemi fut rejeté dans le fossé avec des pertes considérables. Le chevalier de Tonnerre fut du nombre des morts. Mais décidément la.ville était trop faible d'hommes et de murailles ; au deuxième assaut, Gaucher l'abandonna, pour s'enfermer dans le château. Des quatre tours qui le flanquaient jadis, il n'y en avait plus qu'une seule qui fût entière ; toutefois la forteresse était bonne et bien remparée, et ses murailles, surtout celles de la tour, avaient une épaisseur et une structure telles, que ni le canon ni la mine n'y pouvaient rien par le dehors. Du Hallier s'y prit avec d'autres armes. Il savait Gaucher possesseur de beaux écus, fruit du maraudage ; il le savait avare et aussi amoureux de l'argent que de Mme de Remiremont. Après les menaces d'un sévère traitement S'il résistait encore, il lui représenta les avantages d'une prompte capitulation ; et, pour se faire mieux écouter, il fit murmurer à son oreille le nom de sa fiancée. Du Magny fut gagné, et au lieu de soutenir le courage de ses soldats, comme la veille, il se mit à les solliciter avec instance de rendre la place et de ne pas se faire écharper. Ces braves gens repoussaient avec horreur cette lâche proposition, et ne se fiaient que tout juste à la bonne foi d'un ennemi furieux de ses pertes. Mais enfin l'avis du commandant prévalut; vers les deux heures, la petite garnison ouvrit les portes de la forteresse, sous la condition verbale d'avoir la vie et les bagues sauves (17 septembre). Elle défila désarmée, son chef en tête, sur le front des lignes françaises. Le marquis de Livron, qui gardait naturellement une grosse rancune à Warrods, pour les dévastations de Bourbonne et des autres lieux de son gouvernement, ne crut pas manquer à l'honneur en insultant le lâche vaincu, lorsqu'il passa devant lui. Gaucher releva fièrement ses injures et ses menaces. À ce moment il fut arrêté avec tout son monde , malgré la parole du général français, Il portait sur lui son trésor, qu'il remit à du Hallier, en l'adjurant sur l'honneur de le lui conserver. La chose lui fut promise, et c'est tout ce que l'ennemi tint de ses engagements. Les derniers défenseurs de Jonvelle furenl tous passés par les arrnes ou pendus aux créneaux. Pour le gouverneur, il fut emmené le lendemain, par le baron de Marey, d'abord à Langres, ensuite au château de Grancey.

Les ennemis demeurèrent à Jonvelle le reste de la semaine. La garnison avait payé de sa vie les longues angoisses des Lorrains et des Bassignots. La ville qui avait si longtemps abrité et lancé les dévastateurs n'était pas moins coupable aux yeux des Français : elle devait périr. Aussi firent-ils sauter portes et remparts. La démolition du château leur offrit plus de difficulté. Deux ou trois soldats, plutôt que de se livrer, s'étaient enfermés dans la tour; et quand les mineurs s'approchèrent, ils en tuèrent trois à coups de mousquet. Pour en finir, un formidable fourneau souleva la moitié de la masse et tua les derniers défenseurs de Jonvelle (21 septembre). Les habitants avaient pareillement subi la rage du vainqueur, excepté le curé et sept ou huit autres personnes, qui s'étaient ensevelis tout vivants dans un charnier de l'église. Ils fuirent trouvés le samedi ; on leur laissa la vie, et ils obtinrent un sauf-conduit pour s'en aller où ils voudraient. Enfin, lorsque les habitations eurent été suffisamment fouillées et dévalisées par la soldatesque, toute la ville fut livrée aux flammes , le dimanche 22 septembre. Ainsi fut ruiné Jonvelle, pour ne plus se relever (1).

Nous devons à l'abbé Macheret la plupart de ces détails intéressants. Son récit n'est pas moins curieux par les

 

(1) GIRARDOT, P. 266.

solennelles réflexions que lui inspire le désastre de Jonvelle. Il commence ainsi : " Unusquisque mercedem accipiet secundùm suum laborem: Chacun sera payé selon ses oeuvres, dit l'Apostre. C'est en toy, c'est à toy et pour toy que ce texte se peut fort bien entendre à présent, ô misérable Jonvelle! 0 cruel prodige de renommée, Fameuse seulement pour estre diffamée! "

Après ce début lyrique, inspiré par le ressentiment des maux faits à son pays, le bon curé d'Hortes rappelle la gloire de cette ville sous la domination française des la Trémouille, et lui reproche son attachement à la maison d'Espagne, les excès commis par ses troupes, les tortures infligées aux prisonniers. Puis il en vient à son récit, qu'il termine comme il l'a commencé : " Enfin,ceste misérable, dit-il, qui a ruyné plus de dix mille maisons à la France et despeuplé quasy entièrement la province voisine, peut dire avec très juste raison ce que disoit le grand Apostre: Unusquisque mercedem accipiet secundùm suum laborem (1). 1

Le principal auteur de ces colères et de ces doléances, Gaucher du Magny, ne resta pas longtemps sous les verroux du chàteau de Grancey. Il essaya de s'échapper, en se glissant par une fenêtre de la tour ; mais il se brisa les reins en tombant, et son geôlier le conduisit à Dijon. Là son procès fut instruit, et il se vit sur le point de périr par la potence. Ses malheurs lui valurent quelque pitié dans sa patrie : l'historien de la Guerre de dix ans

 

(1) Fol. 48 et 49.

dit de lui : " C'estoit un homme diffamé de voleries et mauvaises actions, pour lesquelles nous le tenions en cause criminelle. Et si le rude traictement qui luy a esté faiet ne le j ustiffioit un peu, nous le condamnerions d'intelligence et trahison (1). " Il est vrai qu'on le poursuivit pour la reddition de Jonvelle. Il possédait à Besançon le magnifique hôtel bâti par son oncle (2), et dans cet hôtel un riche ameublement, avec des valeurs considérables en monnaie, qu'il y entassait depuis longtemps; c'était le fruit de ses rapines exercées en Comté comme ailleurs. La cour fit saisir argent et mobilier, prête à confisquer le tout pour l'employer aux vivres de l'armée, si le prévenu était condamné (3). Mais on abandonna le procès, quand on sut que les Français se chargeaient eux-mêmes de faire justice à leur prisonnier. Cependant ils se décidèrent à lui laisser la vie et même à lui rendre la liberté , moyennant une forte rançon, qui fut payée en partie par l'argent remis jadis à du Hallier, en partie par les coffres de Gaucher (4).

Comme en 1595, la prise de Jonvelle ouvrit le bailliage d'Amont aux armées ennemies. " Tous les chasteaux de cette contrée, dit Girardot (5), estoient peu gardez, pour ce que Jonvelle les couvroit, et que les seigneurs auxquels ils appartiennent sont ruynez de

 

(1) Guerre de dix ans, p. 266 267. Girardot dit ailleurs: a Son Altesse de Lorraine mande que l'affaire de Jonvelle est une menée de Mme de Remiremont et autres malintentionnés. " (Preuves, 9 octobre 1641.)

(2) Voyez page 227 note.

(3) Preuves, à et 9 octobre.

(4) MACHERET, fol. 82, verso, et 84. (5) Guerre de dix ans, p. 267.

biens, et leurs sujets morts ou vagabonds aux pays estrangers. La reddition non espérée de cette ville surprit les commandants desdites forteresses, et paralysa presque toute résistance, " surtout quand les généi-aux français, faisant appel aux compositions, eurent proclamé que leurs armes, sans pitié pour les récalcitrants, seraient pacifiques et bienveillantes pour la soumission. Désignée sous le nom de neutralité, elle portait dans ses conditions que les villes et les chàteaux soumis ne serviraient point à retirer les ennemis de la France, et que, si les Comtois venaient à s'en emparer, les habitants et les maitres les en délogeraient à leurs frais. À ce prix, les lieux neutralisés étaient garantis de toute hostilité, libres dans leur commerce, comme dans leur fidélité au roi d'Espagne, et quittes de recevoir garnison, quoique chargés du passage des troupes (1). C'était le roi luimême qui, sur l'intervention des Suisses en faveur de la Franche-Comté, avait dicté cette politique de ménagements, sinon de bienveillance, destinée à entamer l'obstination haineuse des Comtois contre la France, et à gagner, s'il était possible, la noblesse et les villes de la province. De plus, Grancey et du Hallier pouvaient ainsi les rançonner, sans trop employer la violence, que leurs faibles ressources ne leur permettaient guère. Du reste, en s'annonçant de la sorte, ils se montraient bons princes, en comparaison des farouches invasions du passé. Aussi, de leur quartier général de Jonvelle, n'eurent-ils qu'à sommer par trompette les châteaux voisins , qui s'empressèrent la plupart de traiter avec eux. Lévigny,

 

(1) Preuves, 1er octobre.

commandant de Senoncourt, apporta lui-même sa rançon. La dame de Saint-Remy-Villersvaudey leur députa le chanoine Villard, de Saint-Remy, membre du chapitre de Vesoul. Tout ce qui osa faire sourde oreille fut emporté de vive force et subit les rigueurs de la guerre. Déjà, sur la fin de la semaine, un détachement, tirant à gauche de la Saône, avait assuré les places de Demangevelle, Richecourt, Magny, Senoncourt, SaintRemy, Amance, Vauvillers et Saint-Loup, et saccagé le bourg de Faverney, sans épargner l'abbaye (2 septembre) (1). Le gros de l'armée gagna Jussey, dont les habitants, au nombre d'une centaine, revenus de l'émigration depuis le printemps, venaient de fuir encore, les uns dans les bois, les autres au couvent des capucins. L'armée de Grancey avait pour chapelains deux religieux de Saint-François, qui obtinrent du général une sauvegarde pour la maison de leurs frères. Après la maigre curée des misérables restes de la bourgade, les Français prirent à composition Cemboing, Gevigney et Bougey, et, traversant au pas de course les ruines désertes de Noroy, de Cherlieu et de Montigny, ils parurent au point du jour devant les deux Chauvirey, le lundi 23 septembre. Chauvirey-le-Vieil et le Château-Dessus, qui appartenait à la maison du Châtelet (2), devenue française depuis longtemps, firent tous les deux leur soumission sans résistance. Quant au Château-Dessous, il se montra fidèle à la

 

(1) Preuves, 26 septembre et là octobre.

 

(2) Le seigneur du Château-Dessus était Antoine du Chàtelet, frère tic, Philippe, tué en 1636. Il avait épousé en secondes noces (1633) Gabrielle de Mailly, dame de Remiremont en partie , fille d'Africain (le Mailly, baron de Clinchant, et d'Anne d'Anglure.

mémoire de son maître défunt, Fauquier d'Aboncourt. D'ailleurs, le commandant savait que, rendu ou forcé, il n'avait point de quartier à espérer. Il fallut quarante coups de canon pour ouvrir la brèche; quand elle fut prête, le capitaine reçut une nouvelle sommation ; mais il persista dans la défense et repoussa l'assaut avec une vaillance héroïque. Enfin, sur le midi, voyant tout courage inutile, il se rendit à discrétion. Les soldats eurent la vie sauve et sortirent sans armes ni bagages,' avec un bâton blanc à la main. Pour le chef, il se vit impitoyablement pendu à la porte du manoir, pour avoir continué la résistance après la brèche ouverte. Sa bravoure cependant aurait dû lui valoir l'estime du vainqueur et un meilleur sort. Mais les mœurs militaires de cette époque avaient encore un peu de la farouche barbarie des siècles précédents. D'ailleurs, Grancey et du Hallier voulaient ainsi donner l'épouvante aux commandants qui seraient encore tentés de se défendre (1). Le curé de la paroisse, tout voisin du fort, s'y était réfugié avec les vases et les ornements sacrés, précipitamment enlevés de son église : surpris par l'arrivée matinale des Français, il n'avait pas eu le temps de courir à l'un des deux autres châteaux, peu menacés par l'ennemi. On ne lui fit aucun mal, et, comme le curé de Jonvelle, il reçut du général un sauf-conduit pour se retirer où bon lui semblerait, avec son précieux butin. Ensuite la sape et la mine, opérant sur la forteresse vaincue, continuèrent la vengeance des Champenois. Après la retraite des Français, quelques retrahants de la seigneurie et les partisans des alentours

(1) GIRARDOT, p. 267.

essayèrent de relever ces murailles abattues. Mais le prévôt de Langres s'y opposa et fit mettre le feu aux bâtiments. L'incendie n'épargna que la chapelle et la salle d'armes. Une grosse maison du village, qui pouvait se défendre, fut aussi livrée aux flammes. De Chauvirey, les généraux portèrent leur quartier général à Morey. Incapable de monter à cheval à cause de son obésité, le comte de Grancey suivait l'armée dans son carrosse, qui le traînait péniblement par les mauvais chemins du pays. Le sieur de Trestondans, beau-père du capitaine de Mandre le Jeune, avait mieux aimé livrer son château de Suaucourt aux colères des ennemis, que de traiter avec eux. A leur approche, la garnison abandonna le poste, laissant dans la grande salle une table copieusement servie de pain, de viande et de vin. Mais avant d'y toucher, les Français, bien avisés, se souvinrent du conseil de Laocoon et redoutèrent prudemment les Comtois jusque dans leurs gentillesses. On commença par essayer les vivres sur des chiens, qui en périrent bientôt , car toute la table était empoisonnée. La forteresse fut rasée de fond en comble (27 septembre). Les places de la seconde ligne de défense n'arrêtèrent pas davantage le vainqueur. Villersvaudey et Betoncourt lui firent leur humble soumission. Il trouva les châteaux d'Artaufontaine et de Ray abandonnés comme Suaucourt, d'après les ordres de leurs maîtres; car ceux-ci repoussaient la neutralité, et les places étaient Si mal pourvues, que la résistance n'eût été qu'une témérité sans profit. Artaufontaine perdit sa grosse tour avec le pavillon de sa porte ; le reste fut conservé pour y loger

les gens du gouverneur de Langres (1) On mit aussi à Ray quatre-vingts hommes de garnison, sous les ordres du sieur d'Yves, capitaine de Pressigny. De là, remontant la Saône, Grancey reçoit en passant la soumission empressée du commandant de Rupt, qui ne pouvait servir autrement les intentions de sa maîtresse, la dame de Saint-Georges, gouvernante des enfants de Louis XIII. Ensuite l'ennemi marche droit à Scey, qu'il lui tardait d'enlever à son brave seigneur, pour le narguer dans son plus beau domaine et jusque dans le château de ses pères. Général de la cavalerie et seul bailli de la province, Bauffremont se trouvait alors en service à Besançon auprès du gouverneur, avec le conseiller Girardot de Beauchemin, intendant des armées. Son 'château était moins un fort qu'une maison de plaisance. Néanmoins le commandant repoussa les premières sommations des Français, et attendit résolument que les volées de canon eussent fait honneur à son maître. Alors, obligé de céder à la force, il ouvrit ses portes, le samedi soir 28 septembre. Chemilly en fit autant. Aussitôt (Grancey, du Hallier et l'évêque d'Auxerre en écrivirent au baron de Scey << Nous sommes chez vous, disaient-ils; nous tenons votre château et votre bourg, disposés à vous les conserver intacts, Si vous entrez sans conditions dans la neutralité, que tout le bailliage d'Amont accepte les

 

 

 

(1)Journal de Macheret, fol.49, verso. Je n'ay retire de ma maison d'Artaufontaine aultres choses que trente mesures de froment. tous mes meubles et mesnagerie de pourceaux, dindes, poules, canards, oyes, y sont demeurés. Les Français ont démoly, etc." (corr. du parlem., 854, Gray, 11 octobre 1641, le sieur de Beaujeu-Montot à la dame de Grécy-Balançon, sa cousine.) La dame de Raucourt, veuve en ce moment, était sœur du même Beaujeu.

mains jointes et les yeux fermés. >> Baufremont communiqua cette sommation, moitié courtoise et moitié insolente, au marquis de Saint-Martin, gouverneur du Comté, en lui demandant ce qu'il en pensait. Celui-ci répondit avec humeur, croyant à une lâche hésitation de sa part. "Non', non, Monsieur, reprit vivement le baron, je ne vous demande pas Si je dois accepter la proposition qui m'est faite; oh ! je la repousse de toute l'énergie de mon patriotisme. Je perdrai mon château dans les flammes, je donnerai mon dernier écu, la derrière goutte de mon sang, plutôt que d'échapper jamais un seul mot contraire au service de Sa Majesté. Mais je demande en quelle forme je dois répondre à cette lettre, pour éviter, s’il se peut, l'incendie de la seule maison qui me reste, car les Français m'ont déjà brûlé toutes les autres. a Le marquis lui conseilla de répondre aux généraux ennemis, tout en les remerciant de leur courtoisie, qu'il ne pouvait rien traiter sans la permission de son roi, ni eux-mêmes lui assurer la conservation de Scey sans autorisation de leur souverain, et qu'il fallait prendre du temps pour se mettre ainsi en mesure de part et d'autre. Du Hallier et ses collègues trouvèrent que Bauffremont parlait en homme habile et en homme de bien (1). L'ennemi était aux portes de Vesoul. Plus menacée que tout le reste du bailliage, cette ville était dans une angoisse inexprimable. Dès Jonvelle, Grancey avait dit au chanoine Villard : < < Annoncez à vos compatriotes que j'arrive sur eux et qu'ils aient à me préparer cinq

 

 

(1) GIRARDOT, Guerre de dix ans, p.267 et 268, et sa lettre à la cour, Preuves. 16 octobre 1641.

 

mille pistoles, ou bien la place y sautera dans les flammes.> > Il donna la même commission à Lévigny, commandant de Senoncourt, accouru comme Villard pour demander merci au vainqueur. Du reste, on avait reçu des avis non moins sinistres de Vauvillers, de Rupt, même de France et de Lorraine : < < Le torrent ne s'arrêtera point à Jonvelle, mandait-on de toutes parts: il va déborder jusqu'à vous; il est temps de penser à votre salut. > > Appelé à grands cris par les Vésuliens effrayés, le gouverneur de4la province était venu les visiter la semaine précédente, mais sans pouvoir leur donner d'autres secours que de stériles encouragements et d'impuissantes consolations, vu qu'il était sans hommes et sans argent. Aussi les habitants, incapables de se défendre dans leurs mauvaises murailles, et déjà réduits à un bien petit nombre par les malheurs précédents, étaient résolus à vider la place, comme on avait fait ailleurs, pour se réfugier dans les bois ou à Besançon. A la prière du mayeur, Saint-Martin mit une escorte à la disposition de ceux qui voudraient prendre cette dernière direction; car, lâcheté pour lâcheté, ce brave général préférait encore la couardise de la fuite à l'infamie d'une composition. En conséquence, il fit commandement au sieur de Mandre d'envoyer quelques cavaliers de sa garnison de Besançon jusqu'à Sorans, à la rencontre des émigrants. Mais une fois que le gouverneur eut tourné bride, on abandonna cette résolution pour tendre les mains à la neutralité, que les Français vendaient plus ou moins cher à qui la voulait subir. Après la prise de Jonvelle, les capucins de Jussey avaient reçu ordre d'observer la marche de l'ennemi et d'en apporter nouvelle à Vesoul. Le P. Simon, l'un d'entre eux, se glissa dans l'armée, à Chauvirey, sous prétexte d'y voir ses deux confrères, et il pénétra même jusqu'au comte de Grancey. La conversation étant tombée sur Vesoul : < < Faites savoir à cette ville, dit le général, que Si elle ne me trouve six mille pistoles d'ici à huit jours, lundi prochain elle servira de curée à mes soldats et j'y planterai garnison.> > Le rusé capucin répondit hardiment : < < Général, vous ne gagnerez là que des coups; car vous n'y trouverez que des gens ruinés par 300,000 francs de contributions fournies à notre souverain. N'ayant plus rien à perdre, ils s'apprêtent à se battre comme des lions et à vendre chèrement leur vie, plutôt que de trahir Sa Majesté et de subir une garnison de ses ennemis - Eh bien! répliqua Grancey, mettons la rançon à dix mille écus, et signifiez-leur de traiter avec moi avant que mon canon ne passe la Saône; car alors l'honneur des armées du roi me défendra de les recevoir. > > En même temps il écrivit de sa main ce menaçant ultimatum, que le P. Simon porta le même jour à Vesoul (24 septembre). La nouvelle fut donnée immédiatement, dans une assemblée solennelle convoquée sur la place. Une immense clameur de désespoir accueille cette lecture, et chacun se prépare à fuir. Pourtant le P. Simon, aidé du P. Chrysostôme, gardien des capucins de la ville, arrêta la panique générale et remit un peu d'espérance au cœur des Vésuliens. A la prière du magistrat, les deux religieux partirent le soir même, avec deux bourgeois chargés de prendre langue de l'ennemi et d'en obtenir la meilleure composition possible. Ils vont ensemble coucher à Rupt, où s'arrêtent les commissaires, tandis que les Pères se mettent en quête du quartier général. Ils le trouvent à Morey. Introduits auprès de Grancey, ils furent assez habiles pour le décider à se contenter d'une rançon, sans imposer de garnison. De plus, il promit que le traité de sauvegarde, comprenant la ville et ses alentours dans le rayon d'une lieue, serait muni de la sanction de Louis XIII. Simon s'en retourne à Jussey et Chrysostôme revient à Rupt, avec un trompette français que le comte lui avait donné pour escorter les commissaires chargés de traiter avec lui. Ceux-ci rencontrèrent le général sortant de Ray. Il leur lit signe de le suivre et leur donna audience sur le soir, au campement de Scey-sur-Saône. Fier du succès et se voyant recherché avec tant d'empressement, Grancey les accueillit avec sévérité, haussant le verbe et revenant aux prétentions les plus exagérées, c'est-à-dire voulant dix mille écus, la garnison et même le serment au roi de France. Les députés de se récrier contre de pareilles conditions: < < Une somme aussi exorbitante, dirent-ils, dépasse de bien loin notre mandat. D'ailleurs, général, sachez que nos compatriotes périront jusqu'au dernier plutôt que de subir votre garnison et de trahir leur souverain. > > Puis ils invoquent la parole militaire, deux fois donnée aux capucins. < < Eh bien! soit, répondit le comte, je vous quitte le second et le troisième article. Quant au chiffre de la rançon, je n'en rabattrai pas un denier; c'est à prendre ou à refuser. Mais Si dans vingt-quatre heures je n'ai point nouvelle de votre acceptation et douze otages pour garants, lundi matin je serai devant vos murailles, où j'entrerai par la brèche en moins d'une heure.> >

Les députés rapportèrent ce dernier mot à dix heures du soir (samedi 28 septembre). Le lendemain matin, les citoyens s'étant assemblés pour apprendre ces terribles nouvelles et pour en délibérer, le mayeur fit appel à leur patriotisme , et chacun s'étant fouillé, on boursilla comme on put trois cents pistoles, en toute espèce de monnaie, qui furent envoyées en grande diligence au quartier français. Le général fut supplié d'adoucir sa rigueur, en vue de cet à-compte si péniblement amassé ; mais il resta inflexible et réclama impérieusement la somme totale, ou les douze otages, pour le lundi matin, sous peine de rompre toute négociation. A défaut d'argent, les Vésuliens trouvèrent parmi eux douze citoyens dévoués, douze Eustache de Saint-Pierre, qui, s'arrachant aux embrassements de leurs familles et de leurs amis éplorés, se constituèrent généreusement prisonniers de guerre (30 septembre). Ils furent envoyés à Langres, puis au château de Grancey, où peut-être ils trouvèrent encore et purent complimenter à leur façon le héros vaincu de Jonvelle. L'histoire nous a conservé les noms glorieux de ces hommes méritants, qui furent les sieurs Froment, Damédor, Pernelle, Flavigny, Ber, Terrier, Faviére, Jean-François Buretel, Odo Mercier, Antoine Aimonet, Antoine Clerc et Georges de Mongenet. Ils languirent en captivité, jusqu'à ce que leurs compatriotes eussent fourni la rançon convenue, par la vente à vil prix de leurs biens meubles ou immeubles. On livra néanmoins très chèrement, à compte de la dette, quelques muids de vin, que les fourgons de l'armée de Scey vinrent charger en deux convois. La conscience patriotique réclamait bien contre une pareille fourniture faite à l'ennemi ; mais il fallait y passer, ou bien les Français eussent vidé les caves sans rien payer (1). Telle fut la conduite des Vésuliens, selon le rapport de leur magistrat, qui en écrivit très longuement à la cour et au gouverneur (2), pour se défendre contre leur blâme indigné; car on les accusait avec amertume d'être allés jusqu'à Chauvirey, solliciter et marchander la pitié de l'ennemi, et de lui avoir ainsi fait un pont d'argent, qui l'avait attiré au cœur de la province. Jamais, disait-on, il n'aurait osé y pénétrer avec Si peu de monde, Si la scandaleuse intimidation de la capitale du bailliage d'Amont ne l'eût pas encouragé, en même temps qu'elle démoralisait toutes les places de résistance. Mais les accusés s'en prenaient hautement à Jonvelle, dont les gouverneurs et les garnisons avaient attiré les colères de l'ennemi par leurs dévastations acharnées. < < Déjà depuis trois ans, disaient-ils, l'orage de la vengeance s'amassait contre cette place imprudemment insolente, à qui seule on en voulait. Si ce lâche et infâme Gaucher eût tenu bon pendant trois ou quatre semaines, comme il le pouvait très bien, c'est là que Grancey terminait ses conquêtes; jamais il n'eût osé marcher en avant. Malheureusement la facilité de la prise, et par suite la soumission empressée des autres places, lui donnèrent appétit, et il se fit autoriser par son gouvernement à poursuivre sa pointe aussi loin qu'il pourrait. Tel est le témoignage des principaux officiers français (3). > > Mais nous

 

(1) Preuves, 26 et 30 septembre, 1 et 23 octobre.

(2) Aux Preuves, 23 octobre.

(3) Preuves, 30 septembre.

 

venons de voir que le rapport du magistrat dément lui-même ces vains propos de soldats mal informés, quand il mentionne les avis multipliés qu'il avait reçus des projets menaçants de l'ennemi sur tout le bailliage d'Amont. D'ailleurs, Girardot est affirmatif sur ce point, dans ses lettres comme dans son histoire (1), Cependant il est probable qu'une meilleure conduite du commandant de Jonvelle, appuyé sur une garnison plus forte et secondé par la diversion de quelques troupes au dehors, eût arrêté l'ennemi plus longtemps et l'eût découragé de prime abord. Du reste, le mayeur et le conseil de Vesoul étaient plus recevables dans leur défense, quand ils ajoutaient : << Nous avons arrêté les progrès de l'ennemi et conservé libre une ville assez considérable, avec les châteaux de Vaivre et de Charriez et deux ou trois lieues de riches campagnes, dont les denrées et le commerce seront bien utiles au pays, maintenant que tout le reste du ressort est couru, pillé, barré par les garnisons françaises. A quoi nous eût servi la résistance ? A perdre la vie et l'honneur de nos femmes et de nos filles, à stimuler chez l'ennemi l'amour du pillage, à le pousser à d'autres entreprises, par le sac de notre ville, et finalement à livrer cette place à une entière destruction, pour qu'elle demeurât à jamais inutile, comme Poligny, Lons-le-Saunier et Jonvelle. Au demeurant, nous ne sommes pas plus répréhensibles que tous ces châteaux et ces villes de nos alentours, qui ont mieux aimé subir ouvertement les accords de neutralité que de périr misérablement, et dont les résolutions cependant n'ont point été incriminées (1). >>

 

 

(1)Guerre de dis ans, p. 266.

 

Mais ils ne purent ni les uns ni les autres se laver aux yeux du gouverneur, qui jugeait leur conduite en homme de cœur et en vrai soldat, n'ayant qu'une seule devise â proposer à son pays : résistance héroïque, vaincre ou mourir. Aussi refusa-t-il de délibérer en son conseil sur leurs moyens de justification, qui furent envoyés à l'appréciation du cardinal infant (2).

Au nombre des villes entraînées dans la soumission par l'exemple de Vesoul, se trouvaient Luxeuil et Faucogney. Sommé le 1er octobre, Luxeuil composa les jours suivants, au camp de Scey, pour cinq cents pistoles. Fancogney l'imita bientôt, après en avoir naïvement demandé la permission, à la manière des Vésuliens (3) << Tous contribuent lâchement, écrivait Girardot à la cour, et les traictés se sont faicts à Remiremont. Nous sommes livrés à la France par une femme, celle qui a commencé nostre perte par la trahison de Jonvelle.

M. le baron de Scey m'apprend , le cœur navré, que tout son bailliage a fait le plongeon. " Pour gagner les esprits, on joignait les promesses aux menaces, les moyens de douceur à l'intimidation. Les seigneurs étaient prévenus qu'après le traité leurs châteaux n'éprouveraient aucun dommage et leur seraient fidèlement conservés. Les troupes avaient ordre de se comporter en amies et surtout (le respecter les ecclésiastiques et les lieux saints. << C'est ce qui portera un grand fond

 

 

 

(1) Preuves, 23 octobre.

(2) Preuves, 16 octobre. Le cardinal infant était don Ferdinand d'Autriche, frère du roi d’Espagne et gouverneur souverain des Pays-Bas, de la Flandre et de la Franche-comté.

(3) Preuves, 21 octobre.

 

pour nous couler, disait encore Girardot la crainte ne vient pas de leurs armées, vu l'approche de l'hyver, mais bien de leurs cajoleries et artifices françois, et par suite de nostre fatale division (1), >>

Grancey et du Hallier demeurèrent dix jours à Scey-sur-Saône, où ils mirent garnison, sous les ordres de Saint-Clair-Debrez, pour commander le pont de pierre placé sous les murs du donjon, pour maintenir la soumission des châteaux, villes, bourgs et villages conquis, courir la rive gauche de la Saône et lever partout des contributions au nom du roi de France. En dehors de la rançon stipulée1 Vesoul fut commandé pour soixante pistoles par mois (2) En attendant, l'armée ennemie menaçait de s'ébranler tantôt contre Gy et Gray, tantôt contre Baume et Clerval, et causait ainsi plus de frayeur et d'alarmes, sans bouger de place, que Si elle eût tourné tête quelque part, quoique cependant elle fût réduite par les garnisons à deux mille cinq cents fantassins et cinq cents chevaux. Elle tirait de France les munitions que les contrées envahies ne pouvaient lui fournir. Le 6 octobre, elle reçut un renfort de canons et de quatre vingt chevaux. Mais cela ne fut pas suffisant pour enhardir les généraux à se risquer plus longtemps et plus avant dans la Comté, surtout quand ils apprirent que le marquis de Saint-Martin assemblait des levées et qui attendait du secours par le Rhin. Aussi le gouverneur ayant fait insulter pendant la nuit leur quartier de Fretigney,

 

 

(1) corr. du parlem., B, 854; Besançon, Il octobre 164l, Girardot à la cour. voir aussi Preuves, 5 octobre.

(2) Preuves, 5, 7 et 9 octobre,

 

avec une centaine de chevaux, ils eurent Si peur, qu'ils repassèrent la Saône au plus vite, avec armes et bagages. Du Hallier reprit le chemin de Jonvelle et de Nancy (1), Quant à Grancey, il tourna sur Dampierre, avec l'évêque d'Auxerre (10 octobre). Ils furent accueillis en amis dans cette place, qui appartenait à un Français, le comte de Tavannes (2) C'est de là qu'ils sommèrent de nouveau Bauffremont de songer à son château de Scey et de l'assurer contre la destruction, en le faisant entrer dans la neutralité commune (3), Le lendemain, Montot, qui l'avait aussi dédaignée, fut saccagé par les ennemis (4), Après une halte à Champlitte, ils rentrèrent en Bassigny par le Fayl-Billot (13 octobre), tout fiers d'une aussi belle campagne. En moins de trois semaines, ils avaient ruiné nos meilleures places frontières, rançonné les deux rives de la Saône, installé leurs garnisons dans quatre ou cinq châteaux, comme autant d'épines sanglantes implantées au du pays, sans compter les places tenues par eux dans le bailliage d'Aval.

Pour comble de malheurs, le marquis de la Baume-Saint-Martin, gouverneur du Comté, mourut à Gray, le

 

 

(1)Preuves, 9 octobre; Guerre de dix ans, p. 268 et 269.

(2) Seigneur de Laucques, Fresne, Coublans, Pailley, Prangey, Dampierre-sur-Salon, etc.

(3)corr. du parlem., ibid. ; Besançon, 11 octobre, Girardot à la cour.

(4)Ils ont dévalisé mes meubles de Montot, pillé mes denrées et vendangé mes vignes, où il y avoit pour faire plus de 50 muids de vin. Tout ce qui me console, c'est qu’ils sont sortis sans avoir rien démoly. J'atant de savoir Si je pourrai retourner là, pour y semer quelque chose; sinon il y auroit grant pitié à moy. Quant à l'armée françoise, elle est à présent logée à Champlite, et l'on ne sçay quel désain elle at, etc. (corr. du parlem., B, 854; Gray, 11 octobre, le sieur de Beaujeu-Montot à la dame de Crécy.)

 

24 décembre suivant, six semaines après la mort de 1'in-faut. La cour, au milieu de sa détresse, se jeta résolument dans les bras du baron de Scey, dont la valeur militaire, l'expérience consommée et le patriotique dévouement, lui étaient suffisamment connus. Déjà l'année précédente il avait exercé par intérim les fonctions de gouverneur de la province, en l'absence de la Baume, et même elles lui avaient été continuées provisoirement par lettres testamentaires de Son Altesse des Pays-Bas. Le parlement obtint de Bruxelles sa nomination définitive et le conjura de sauver son pays (1). A peine installé, il retrouve des milices et prend l'offensive. Pendant qu'il intimide les ennemis en Aval, Charles de Lorraine lui envoie de Neufchâteau les plus heureuses nouvelles : << Crancey, lui écrit-il, qui assiégeait la Mothe avec du Hallier, a quitté le camp, pour aller présider à Lyon l'exécution de Thon et de Cinq-Mars. Je suis tombé sur son collègue et je l'ai chassé de ses lignes. Heuillecourt, Liffon et Bourlemont ont été repris aux Français, et j'ai délogé Batilly de Neufehâteau (12 août au 3 septembre 1643). Venez au plus vite leur donner vous-même la chasse dans le bailliage d'Amont. >> En effet, l'occasion était belle. Le gouverneur forme à la hâte un corps de cinq cents hommes, tant cavalerie qu'hommes de pied, et prend à Besançon deux canons et un mortier à grenades, qu'il s'engage, sur caution, à payer quinze mille francs, s'il leur arrivait malheur. Gouhelans commandait l'infanterie, qui

 

 

(1) GIBÂRDOT, p. 274; Corresp. du parlem. B, 855 ; Dole, 22 décembre, la cour au baron de Scey.

était la principale bourgeoisie de Gray ; de Mandre était à la tête de la cavalerie, dans laquelle servait le baron de Grandmont Melisey, avec ses deux fils. Bauffremont s'avance droit à Scey-sur-Saône, qu'il lui tardait surtout d'arracher à l'ennemi. Le capitaine Saint-Clair, absent, avait laissé le commandement de Scey à Romprey, son lieutenant, avec ordre de brûler le château s'il était assailli. Mais il n'en eut pas le temps, et il se rendit après la première canonnade (13 septembre). Saint-Remy fut emporté le même jour, et Artaufontaine le lendemain. De là on poussa une pointe à Pressigny, qui fut châtié sévèrement; car cette place n'avait pas moins maltraité notre frontière que les autres garnisons françaises logées sur la Saône. Rupt avait été repris dès le 10 mai, grâce à la facilité du capitaine qui était Comtois. Mais il brûla le village en se retirant. Restaient au pouvoir des Français le bourg et le château de Bay. La place est investie, et sa courtine bientôt crevée d'une large brèche par cinquante volées de canon (17 et 18 septembre). Bauffremont fit alors sommer le sieur d'Yves << Rendez-vous, il en est temps, lui dit-il par son trompette. Quelque bonnes que soient nos murailles que vous tenez, vos gens ne les défendront pas mieux qu'ils n'ont défendu votre Pressigny. >> Le vieux capitaine répondit avec désespoir : << Je n'ai plus rien en France et il ne me reste que ce château pour vivre; je suis décidé à m'ensevelir glorieusement dans ses ruines, plutôt que de traîner honteusement une vieillesse misérable. >>

Mais un orage terrible allait fondre sur les assaillants. Grancey revenait de Lyon il apprend à Voisines, prés de Langres, les succès du gouverneur de Franche-Comté.

Aussitôt il appelle de Bourggne la cavalerie de Tavannes, et du Bassigny celle de du Hallier. Il prend des munitions à Langres et réunit son monde au Fayl-Billot, au moment où les Comtois battaient le château de Ray. Entendant gronder le bruit sourd du canon : << Ils sont à nous, dit-il tout joyeux, et M. d'Yves est sauvé. >> Il sonne le boute-selle à deux heures du matin et reprend le chemin déjà connu de Morey. Tavannes et la Roche marchaient en avant, avec cinq cents chevaux; le général les suivait pesamment en carrosse, avec cinq cents hommes de pied et trois cents de cavalerie.

Cependant le baron de Scey avait eu vent de cette puissante diversion, par un avis de Champlitte, et il commençait à se retirer. Mais rien n'étant venu confirmer ce renseignement, il fit halte sur le chemin de Vannes et remit ses pièces en batterie contre le château de Ray. Soudain arrivent ses coureurs, ventre à terre

<< Les Français ! >> s'écrient-ils. En même temps paraissent les escadrons de Tavannes. L'attaque est vigoureuse et la résistance ne l'est pas moins. Mais enfin, après trois heures de lutte, Bauffremont, trop faible de nombre, fut complètement battu, avec perte de sa petite artillerie, de ses bagages et de ses munitions. Blessé lui-même de deux coups de pistolet, il n'échappa aux mains de l'ennemi que par le courageux dévouement des siens. Girardot accuse dans cette journée huit ou dix occis, entre autres le jeune Melisey, et autant de prisonniers, parmi lesquels les sieurs de Grandmont, de Mandre et de Montot-Beaujen (1). Mais l'abbé Macheret exalte bien

 

 

(1)Guerre de dix ans, p. 281.

 

plus haut cet exploit des siens.<< En ceste bataille, dit-il, où le seigneur comte de Grancey fut blessé à la jambe, nous perdismes le sieur de Saint-Clair, cinq cavaliers et sept ou huict piedtons. Les Comtois y ont perdu plus de vingt fois autant ; et tous les jours venoient à Lengres tambours ou trompettes de leur part, demandant leurs gens, qu'ils croyoient estre prisonniers, lesquels n'estoient pas encor treuvés parmi leurs autres morts. >> Grancey ramena triomphalement à Langres les canons et mortiers de l'ennemi, avec le butin et les nombreux prisonniers, dont vingt-deux gentilshommes (22 septembre>. L'artillerie de la ville salua le vainqueur, qui lui fit répondre par les salves des canons comtois, << pour tesmoigner, ajoute Macheret, que quictant la Lerre espagnole, ils embrassoient le parti françois. >> Les prisonniers furent élargis en ville, sur leur parole d'honneur, et traités avec tous les égards possibles. Bien plus, après les avoir taxés à de modiques rançons, qu'ils promirent de payer, Grancey les fit mettre en liberté, sur l'ordre exprès du roi, sans autre garantie que leur foi de gentilshommes (2octobre). " Ainsi leur rendismes-nous le bien pour le mal, continue le même narrateur, afin de les dimouvoir de leurs cruautez et barbarie, en leur enseignant que les François se contentoient de la gloire, au lieu de practiquer la vengeance et la tyrannie. Dieu leur fasse la grâce de s'incliner à la paix avec nous, et nous veuille garder de tomber en esclavage parmi eux (1)! >> En écrivant ces lignes, le curé d'Hortes songeait avec rancune à Bornival, à Fauquier d'Aboncourt et à Gaucher

 

 

(1) GIRARDOT, p. 279 à 2,81 ; MA~nE~~T, fol. 60, 6l et 62.

 

du Magny, ces terribles pourvoyeurs des prisons de Jonvelle. Grancey n'avait libéré Si lestement ses prisonniers que pour se rendre à Paris, où Louis XIII et Richelieu le mandaient pour lui adresser de vive voix leurs félicitations ; car le rapport du général avait donné à l'affaire de Vannes les proportions d'une grande bataille et d'un succès considérable, soit en faisant valoir l'importance du vaincu, soit en exagérant ses forces et en lui supposant des projets qui n'allaient rien moins qu'à prendre tous les châteaux placés entre Dijon, Langres et Chaumont. A l'arrivée du comte, le roi daigna le visiter avec le cardinal-ministre, en son hôtel, où le retenait sa blessure, aggravée par la fatigue d'un voyage de dix ou douze journées. En un mot, le vainqueur du baron de Scey reçut à la cour une véritable ovation.

Ray ne fut arraché aux Français que l'année suivante (mai 1643). Les courses continuèrent de part et d'autre, avec le même acharnement, malgré les trêves conclues, à divers intervalles, entre les deux parlements, pour sauvegarder les bailliages d'Amont et d'Aval, le duché de Bourgogne, les villes de Langres et de Chaumont et le bas Bassigny, compris dans le ressort de Langres. Seulement, au lieu de sortir de Jonvelle, ou de Chanvirey-Dessous, ou de Suaucourt, qui dormaient alors dans les ruines, du sommeil de la mort, les partis comtois étaient recrutés dans les garnisons de Gray, de Ray, de Rupt, de Scey, de Saint-liemy, de Bougey, de Demangevelle et de Conflans. A Bougey, les ardents amis de la petite guerre avaient à leur tète le jeune le Joyant, retiré dans ce village depuis le massacre de sa famille à Lavoncourt. Après la journée de Ray, on les suit, avec ceux de Scey-sur-Saône et de Rupt, à Pressigny, à Pierrefaite, à Hortes, à Maiziéres et jusqu'à Celsoy, près de Langres. Repoussés de Rougeux et de Beaulieu, ils se font battre au passage de l'Amante, devant Maizières (2 octobre 1642). La mort de Louis XIII, la défaite des Espagnols à Rocroy et les premiers troubles de la régence d'Anne d'Autriche, furent le signal, au printemps suivant, d'une recrudescence d'hostilités. En mai, les mêmes coureurs tombèrent sur Anrosey, Neuvelle et Bourbonne. Une partie des habitants d'Anrosey s'était réfugiée dans l'église, où l'ennemi fit douze prisonniers. Mais quelques jours après, ceux de Demangevelle et de Saint-Remy se firent écharper dans une embuscade, que leur tendirent les volontaires combinés de Rougeux, de Maizières, d'Hortes et de Rosoy (1) Le combat terminé, survint le capitaine Romprey, qui emmena les prisonniers et le butin à son château de Varennes, malgré les réclamations des paysans, furieux de se voir ainsi ravir le fruit de leur victoire. Les premiers jours de juin, cet échec des Comtois fut vengé sur Serqueux , Corgirnon, Brevoines et SaintGeomes. L'expédition coûta la vie à dix-huit personnes; des prisonniers nombreux et sept cents grosses bêtes en furent le prix.

 

De leur côté, les gendarmeries du Bassigny, du Langrois et du Duché n'étaient point lâches à la représaille. Un autre contemporain de ces brigandages réciproques,

 

 

(1) e test exploict merveilleux ne se fit pas sans quelque perte des nostres ; car on ne peut charpenter sans ételles. " MACHERET.)

le curé de Bougey, nous a laissé dans ses registres de baptêmes le récit d'une attaque avortée, faite sur le château de ce village. Dans la nuit du 49 au 20 janvier 4643, une trentaine de partisans sortis de Pressigny, sous les ordres du sieur Boulangier, et guidés par un traître, Claude Moniot, d'Augicourt, à travers les bois de Preigney et de Cherlieu, arrivent à l'improviste, sur les deux heures du matin, devant la courtine du parterre. En rien de temps ils ont troué la muraille avec des leviers et des pioches ; et les voilà dans le fort en s'écriant : " France ! Victoire ! Rendez les armes ou vous êtes morts ! " Réveillée en sursaut, la troupe du château se défend bravement, sans se déconcerter. Le trompette et le tambour sonnent l'alarme ; on court à l'église, qui touchait la porte, et le tocsin appelle au secours la petite population du lieu, qui ne se composait encore que d'une vingtaine de ménages. "   Dieu aidant, dit le narrateur, soldats et habitants se deffendirent Si généreusement, qu'ils repoussarent les ennemys, et les contraignirent de reprendre la clef des champs, les uns par-dessus les murailles, les autres par le mesme troup qui les avoit amenés, mais non sans nous laisser quelques-uns des leurs, tués, blessés ou prisonniers ". Le Joyant fut un des vaillants de cette nuit mémorable. Peut-être commandait-il le château et dut-il à cet exploit les insignes générosités du seigneur, Albert de Ray-Mérode ; car il en reçut de riches domaines, qui s'ajoutèrent à ses premières acquisitions dans la terre à peu près déserte de Bougey; et il fut déclaré, pour le tout, entièrement flanc de dîmes, tailles et mainmorte, avec droit de conserver sa maison à tourelles et à colombier, signes de son rang seigneurial (1). Le 6 août de la même année, le capitaine du Cerf, de Voncourt, qui entreprit à son tour une course en Comté, demeura prisonnier au premier engagement. Mais sur la fin du mois, le sieur de Monsot, capitaine de Relampont, à la tête de soixante hommes, réussit mieux aux environs de Ray. Le baron de Marmier-Longwy, ayant voulu lui tenir tête, fut battu et fait prisonnier. On l'échangea contre du Cerf. Un mois après, Romprey, commandant de Varennes, crut faire un aussi bon voyage du côté de Scey-sur-Saône, où il brûlait de laver son affront de l'année précédente; mais il y perdit tous ses chevaux et une partie de son monde.

Surtout rien n'égalait les dégâts commis sur le territoire français parla garnison lorraine, comtoise et croate, de la petite place de la Mothe. Devenue, après la ruine de Jonvelle, la forteresse avancée de Charles de Lorraine et des Comtois, elle fit trembler tout le pays pendant trois ou quatre ans, comme naguère les remparts de la cité sa voisine. Tandis que le duc se battait sur le Rhin avec Guébriant, Rantzau (2) et Turenne, il avait confié la Mothe à Cliquot, l'un de ses meilleurs officiers, dont l'épée n'avait pas cessé de guerroyer contre la France, soit en Comté, soit en Champagne. De plus, Gaucher du Magny était là, Gaucher, le capitaine par excellence dans

 

 

 

(1) V. Notice sur la famille le Joyant.

(2) Charles de Lorraine, qui secondait les opérations du feld-général de Mercy, battit à Brisach le comte de Rantzau, qui perdit là, dit Macheret, son canon, ses bagages, 7,000 hommes hors de combat, 600 prisonniers, entre autres le comte de Nassau, le marquis d'Andelot et le marquis de Vitry (décembre 1643).

 

le métier des courses aventureuses. Sorti des prisons de Dijon et décrié dans son pays, il avait apporté chez les voisins la passion de sa rancune et l’audace de sa longue expérience. Un de ses premiers exploits fut de surprendre endormis, près de Liffon, quarante cavaliers suédois, qui furent tous exterminés. A leur tour, les Champenois et les Bourguignons lui payèrent chèrement les douleurs de sa captivité et lui rendirent avec usure les déboursés de sa rançon. Affamé de vengeance et plus encore de butin, infatigable rapineur, qui ne se reposait d'une course que par une autre course, il visita tour à tour, avec les braves de la Mothe, les deux Orbigny, les deux Coiffy; Nogent, Montigny-le-Roi, Morimont; la Gênérousse, Thivel, Poissier, Bannes, Culmont, Chalindrey, Lannes, Buzon, Chambrey, Vitry-en-Montagne Richebourg, Celsoy, Montlandon, Châtenay-Vaudin, Bielle, Brevoines, Corlée, Ormancey, Brices, Orges, Autoreille, Vesaignes, Voisines, Noidant-Châtenois, Saint-Broing-les-Bois, Selongey et Fontaine-Française. Langres et son voisinage eurent bien de la peine à faire leurs vendanges, sous la protection d'une compagnie bourgeoise organisée pour la circonstance. Tantôt les terribles maraudeurs s'abattent sur Coiffy-le-Bas, au nombre de deux cent cinquante, avec soixante charrettes, et y chargent cent vingt muids de vin (18 novembre 1643). Tantôt ils guettent le coche de Langres à Dijon, qu'ils enlèvent deux fois, avec chevaux, cherrote, voyageurs, argent et dépêches (12 juin et 15 novembre 1644). Mais, dans la seconde arrestation, opérée au val de Suzon, ils manquent le sieur Berchère, président du parlement de Bourgogne, qui leur échappe, avec ses 40,000 écus, montant de ses appointements. Une autre fois, Gaucher conduit son monde, par la Comté, jusqu'à Fontaine-Française, qu'il croyait surprendre (3 juin 1644). Ou bien, quand la Mothe lui fait défaut, il court à Vesoul, y amasse un gros parti et le ramène sur les environs de Langres, où il opère une razzia de trois cents porcs et de quatre cents pièces de gros bétail, avec prisonniers et autre butin (28 juillet 1644). Ici le curé narrateur s'écrie dans sa douleur indignée " Hommes ingrats et dénaturés que ces pillards, qui nous estoient cependant si obligés pour les bons traictements que nous leur avions faicts, ou aux leurs, quand ils estoient nos prisonniers, surtout au Gauchier, à qui nous avions osté la corde du col ". Il est vrai que cette course des Vésuliens et de leurs voisins n'était qu'une revanche des affreux dégâts commis à la fin de mars, sur Vesoul, Charriez, Faverney et les alentours, par un corps de six mille Suédois, que le Bassigny nous avait généreusement envoyés, avec trois canons.

Deux épisodes de ces temps néfastes nous offrent un singulier mélange de mœurs violentes et de foi religieuse.

Peu de jours avant la surprise de Bougey, le sieur de la Roche, commandant de Mirebeau, vaillant comme un César, au dire de l'abbé Macheret, rencontra près d'Orain le capitaine la Pierre, de la garnison de Gray. Après un choc violent des Bourguignons et des Comtois, la Pierre resta sur le terrain, blessé à mort. " De grâce, vite un prêtre, s'écrie-t-il ! " Il n'y en avait point sous la main : le curé du lieu, comme ses paroissiens, avait fui dans les bois, à l'arrivée des partisans; Mais la Roche, descendant de cheval, s’approche en pleurant du i>auvre nioi'ibond, lui rappelle flayard se tonfessant, en pareille détresse, devant le pommeau de son épée, lui suggère l'aété de contrition et l'exhorte à faire à Dieu le sacrifice de sa descendant de cheval, s’approche en pleurant du pauvre moribond, lui rappelle Bayard se confessant, en pareille détresse, devant le pommeau de son épée, lui suggère l’acte de contrition et l’exhorte à faire à Dieu le sacrifice de sa vie en expiation de ses fautes. En juillet 1654, vingt-cinq cavaliers de Châtel-sur-Moselle avaient couru et pillé le village de Pressigny et fait plusieurs prisonniers. Dix braves se mettent hardiment à la poursuite des brigands, les atteignent prés d'Amance, leur tuent un cavalier, on blessent quelques-uns et ramènent tous les prisonniers, gens et bétail. Mais le lendemain, voici revenir les Lorrains furieux, avec un renfort tiré de Conflans (1), en tout dix-sept cavaliers et quelques piétons. Pressigny, qui se tenait sur le qui-vive, avait appelé aux armes les braves de Bussières, de Belmont, de Tornay, de Genevrières et de Savigny. Au nombre de soixante, ils' s'embusquent au trou de la Quarte (2), et attendent l'ennemi, qui la même nuit donna tête baissée dans le piège et laissa dix morts avec cinq blessés sur le carreau. Chacun des vainqueurs eut 6 livres dix sous pour sa part du butin fait dans cette circonstance. Or, l'un des blessés avait reçu plusieurs coups mortels sans rendre l'âme. On lui demanda s'il avait eut en sa personne un caractère, c'est-à-dire une

 

 

(1) Certains Cravates et gredins du Comté s'estoient retirés au chasteau de Conflans, sans être advoués d'aucuns souverains. (MACHERET fol. 75).

(2) " L’an 1648 première sepmaine d'aprés Pasque le sieur prévost des marchands de ceste ville de Lengre eut ordre du roy pour faire couper le bois qui est un passage dit le trou de la Carte, entre le royaume de France et le Comté de Bourgongne " (MACRERET, folio 107, verso).

 

marque, un charme de sorcier, pour tenir ainsi contre la mort. "   Non, dit-il; mais vous ne pourrez me tuer qu'après m'avoir fait confesser. " On lui amène le sieur Mathey, curé de Pressigny; il se confesse très dévotement, et il expire. Les assistants, étonnés, l'ayant déshabillé pour savoir la vérité, lui trouvèrent un scapulaire et un chapelet, et reconnurent qu'il avait mérité, par ces signes pieux, la protection de la très sainte Vierge, pour obtenir la grâce d'une bonne mort (1).

 

Cependant les années de la Mothe étaient comptées, et sa vie de gloire militaire allait finir, comme celle de Jonvelle avait fini. Les populations de Champagne et de Bourgogne appelaient à grands cris le secours de la force publique contre ce nid d'aigle, bicoque insolente qui les bravait depuis vingt-deux ans, sur le sommet aérien de sa montagne. Aussitôt que le gouvernement de Mazarin fut un peu remis de ses premières secousses, tournant enfin son attention de ce côté, il fit investir la Mothe en plein hiver (13 décembre 1644). C'était le quatrième siège de cette place depuis 1634. Langres fournit aux batteries son gros canon de cinquante livres de balle, et le mortier bisontin que Grancey avait capturé à la journée de Ray. Néanmoins la forteresse tint bon jusqu'au premier juillet; et quand elle eut capitulé, on chanta le Te Deum dans toutes les églises du diocèse de Langres, avec autant d'allégresse que pour les victoires de Turenne et de Condé sur les Espagnols et les impériaux. La Mothe fut rasée de fond en comble : depuis long-

 

 

(1) MACHERET, fol. 66, verso, et 134.

 

temps son sol étroit, que laboure la charrue, n’offre pas même un débris (1)

Le traité de Westphalie (1er octobre 1648), en concentrant la lutte entre la France et l'Espagne, adjugea les duchés de Lorraine et de Bar au jeune Louis XIV, et par conséquent laissa les armes aux mains du souverain dépossédé. Toujours l'allié des Espagnols et d'ailleurs animé par le prince de Condé, devenu leur généralissime, Charles de Lorraine continua de harceler le territoire français, surtout le .Bassigny. Notre lisière comtoise eut aussi fort à souffrir du passage de ses gendarmeries. En 1652, la Fauche, son lieutenant, arriva dans les environs de Luxeuil et de Saint-Loup, venant d'Alsace et marchant contre Langres, avec 6,500 hommes d'effectif, selon Macheret, chiffre sans doute exagéré par la frayeur. Ils traînaient derrière eux une suite nombreuse de vivandiers, de voleurs, de femmes et d'enfants, amenés par la faim et cherchant à rapiner pour vivre, sous la protection du soldat; car la famine dévorait au loin toutes les provinces. Pendant que cette armée picore et pille au large, dans un pays ruiné, un détachement de quatre cents chevaux tombe sur les villages de Morey, Charmes et Bourguignon, dont les habitants éprouvèrent les dernières brutalités et se virent enlever pain, grains, salaisons, vins, habits, vaisselle, argent monnayé, argenterie, bestiaux; enfin tout ce qu'ils possédaient. Les voleurs lâchèrent dans les caves les tonneaux qu'ils ne pouvaient emmener (19 avril).

Quatre jours après, la Fauche campait autour de

 

 

(1) MACHERET, fol. 51 à 92.

 

Jonvelle, où il ne trouva que des remparts écroulés, l'église et le prieuré encore debout, avec: quelques autres édifices, et une vingtaine de familles, y compris les officiers de la séigneurie, logés dans les ruines du château. Ses quartiers s'étendaient jusqu'à Châtillon, dont la désolation n'était pas moins navrante. Saccagée, brûlée et démantelée par les Suédois et les Français depuis 1635, cette ville n'offrait alors que des monceaux de pierres et quelques rares habitants mal abrités dans les ruines des édifices. L'herbe, les buissons, les arbres même, encombraient les rues; l'église, dévalisée, à moitié découverte et sans clocher, menaçait de s'écrouler; le pont de l'Appance était rompu, celui de la Saône croulant, les terres en friche, les prés en broussailles et les forêts dévastées; à peine trois journaux de vigne se trouvaient cultivés dans un vignoble qui produisait jadis deux mille pièces de vin (1), La Fauche quitta ce malheureux pays le 24 avril, et il entra dans le Bassigny par Bourbonne, qui fut saccagé. Jamais les Langrois n'eurent Si peur. Exilée en Berry, absorbée par la guerre de la Fronde, la cour laissait les provinces sans secours; les villes menacées furent donc obligées de se défendre seules. Leur premier recours fut à Dieu. A Langres, le saint Sacrement fut exposé deux jours durant, dans chacune des onze églises, pendant que le maïeur et les échevins faisaient célébrer neuf messes devant les reliques de saint Didier. En même temps bourgeois, domestiques, écoliers, garçons de boutique, tous les citoyens valides, prenaient les armes, et l'on

 

 

(1) Archives de Châtillon N° 1,

 

eut bientôt mis sur pied un corps assez respectable de 2,960 hommes. Cette bonne contenance imposa suffisamment à la Fauche, qui descendit la Marne, en ravageant le pays, jusqu'à Saint-Dizier (1),

L'année suivante amena de nouvelles terreurs sur la même contrée. Le comte d'Harcourt, devenu à son tour complice des Frondeurs, comme le prince de Condé, tenait sous sa main Philisbourg, Brisach, Belfort et quinze autres places intermédiaires, qu'il projetait de livret à l'empereur, dans l'espoir de se faire en Allemagne une principauté indépendante. Excitée par le duc de Lorraine, la garnison de Belfort traversa la Comté et porta ses courses jusqu'au Bassigny. Tous les villages de sa frontière furent impitoyablement rançonnés, par des traités, sans en excepter l'hôpital de Grossesaules, qui subit des violences inouïes (24 septembre 1653) (2)

Mais en même temps un autre ennemi, plus féroce même que la guerre, désolait nos contrées. Les années 1649 et 1650 avaient peu donné ; ensuite les pluies incessantes de 1654 avaient perdu toutes les récoltes, tellement que l'année suivante vit se renouveler toutes les horreurs de 1638. Le prix ordinaire des vivres ayant plus que décuplé; tes pauvres étaient réduits à manger l'herbe des prés, comme les bêtes (3), La comète qui se montra tout à coup le 17 décembre ajouta l'épouvante à la misère; les peuples avaient encore tous les pré-

 

 

(1) MACHERET, fol. 441, verso, et 142.

(2) Ibid., 153.

(3) " Une pauvre femme portant et allaictant son petit enfant a esté trouvée morte en une prairie, ayant encor la bouche pleine d'herbe et en mangeant comme une beste, et son enfant encore vivant entre ses bras ".

(MACHERET, fol. 142, verso.)

 

jugés superstitieux des anciens sur les phénomènes du ciel. En effet, une éclipse de soleil ayant été annoncée par les astronomes pour le 12 août 1654, on s'en effraya Si fort, que l'on se prépara de tous côtés à ce terrible moment par la confession ; car cette génération n'avait vu que des malheurs ; les années ne succédaient aux années que pour lui amener de nouveaux désastres, et voilà pourquoi tous les signes extraordinaires paraissaient les annoncer. Cependant l'abondance de 1658 et de 1654 avait tiré le pays de sa détresse et de son tombeau, en annonçant aux hommes que la divine Providence leur donnait enfin des jours meilleurs, pour qu'ils la bénissent dans la joie, comme ils l'avaient servie, résignés, dans l'affliction (1)

 

 

(1)MACHERET, fol. 147, 155, 157 et 159.

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE VI.

 

 

JONVELLE APRÈS SA RUINE.

 

 

 

 

Nouvelle reconnaissante des droits féodaux. – La Franche-Comté passe à la France. - Jonvelle au dix-huitième et au dix-neuvième siècles.

(1659-1863.)

 

 

La véritable importance de Jonvelle était dans son état de place forte, boulevard de frontière; et par conséquent le véritable intérêt de son histoire s'arrête à la date fatale de 1644. Une fois démantelée, cette place tomba dans une telle décadence, qu'un siècle après on lui dénia jusqu'à son titre de ville. Achevons cette histoire en quelques pages. Le traité des Pyrénées (1659), entre la France et l’Espagne, avait rendu la paix à l'Europe occidentale. Le vieux roi Philippe IV en profita pour faire renouveler en Franche-Comté les reconnaissances des droits seigneuriaux de ses domaines ; car le fracas des armes et les malheurs des temps précédents les avaient bien fait oublier. La chambre des comptes dirigea ce travail. Par ordonnance royale du 24 janvier 1665, à la requête de Claude-Nicolas Grosjean, procureur de Sa Majesté en la terre de Jonvelle, les sieurs Henri Jolyet, Joseph Cornevaux et Nicolas Daguet, notaires du chef lieu, avec Nicolas Brandy, notaire de Voisey, furent commis à l’opération. La procédure commença par Jonvelle, le 5 mars suivant. La communauté, duement convoquée, s'assembla sous le cloître, présidée par ses deux échevins, François Gibert et François Cornevaux. Les anciens du pays (1) étaient là pour attester, par les souvenirs d'un long passé, les droits des sujets aussi bien que leurs devoirs. Après la solennité du serment prêté sur les saints Evangiles, les membres de l'assemblée avouèrent à peu près les mêmes droits féodaux que leurs ancêtres de 1539, en obligeant tous' leurs biens communaux, présents et avenir, pour garantie d'un fidèle accomplissement. Mais ils firent constater que les murailles de la ville, de la halle et du château, dont le premier entretien se trouvait à la charge du souverain, étaient tristement couchées sur le sol. Le procès-verbal, omettant plusieurs clauses des anciennes reconnaissances, indique un nouveau progrès dans les libertés publiques. Il contient les détails suivants, qui ne sont pas sans intérêt pour l'étude des mœurs féodales. Les habitants ont le droit d'élire annuellement deux échevins ou bourgmestres, pour administrer leur ville et communauté. Mais ces magistrats n'entrent en charge qu'après avoir juré fidélité au seigneur et à leur devoir

 

(1) L'échevin Cornevaux. le sergent Claude Bonnefoy, Pierre Daguet, Autoine Burenelle, Claude Joly, Claude Barret, Etienne Mollot, Nicolas Antoine Maréchal. fermier du pressoir, Claude Simonin, Nicolas Martin, Simon Pernet, Jean Aubertin Nicolas Guillaume, Sébastien, Jean et Claude Jolyet.

municipal, entre les mains du capitaine pu d'un autre officier de Sa Majesté. La cérémonie se fait le premier dimanche après l'élection, avant la messe paroissiale, devant l'image de Notre-Dame qui est sur le pont.

Les échevins tiennent les clefs de la ville, nomment les portiers, donnent le mot du guet et dressent les rôles annuels des cens et corvées, pour feux et charrues. En présentant ces rôles aux officiers du roi, ils font serment qu'ils les ont conscien-cieusement établis. Mais ils sont exempts de ces redevances, de même le prieur et les meix nobles, qui paient seulement huit engrognes, ou neuf deniers, au lieu de dix sous, pour le droit de feu et ménage.

La corvée de bras se rachète par douze niquets (un demi-denier).

Le droit d'éminage, qui s'exerce sur toutes les céréales vendues aux foires et marchés de la ville, est d'une coupe par penal. Mais les gens de noblesse et d'église en sont exempts.

Les fermiers du taillage ont un blanc pour ajuster et marquer chaque mesure. Ils poinçonnent celles des meuniers de la seigneurie, moyennant une quarte de froment comble et une quarte de mouture pleine, payables à la Saint-Martin.

Le contrôleur des poids aux balances et celui de la marque des cuirs se font payer un blanc (3 deniers 4/3), sur un quintal de marchandises vendues ou achetées par les forains ou étrangers.

Dans les transactions de bétail passées avec un forain, sur les foires et marchés de la ville, le vendeur et l'acheteur doivent chacun au fermier de la vente deux blancs

pour un cheval ou un bœuf, un blanc pour une vache ou une jument.

Les amodiataires du rouage (roulage) perçoivent des étrangers qui passent à Jonvelle avec leurs marchandises, deux blancs pour un chariot ferré des quatre roues, et la moitié s'il ne l'est pas. La charrette ferrée doit un blanc ; celle qui ne l'est pas, un demi-blanc.

Pendant le temps du banvin, qui se compte du jeudi après Pâques à la veille de la Pentecôte, et de la veille de la Saint-Martin à celle de Noèl, les habitants de Jonvelle ne peuvent vendre ni vin ni bétail, sans l'autorisation des fermiers du seigneur, qui possède alors le monopole de cette vente.

La maîtrise des cordonniers lui appartient également.

L'amodiataire du banc aux bouchers prend deux gros par grosse bête abattue, et deux blancs pour les veaux, porcs et moutons, Si l'animal a été nourri par le boucher; sinon, il n'est rien dû. Le seigneur a de plus le droit de langue et d'onglet, c'est-à-dire que ses gens peuvent, avant tous autres, prendre en payant la langue des grosses bêtes et les pieds des petites.

Le fermier de l'abattue de sel perçoit ordinairement sur les étrangers venus aux foires et marchés, deux solignons par voiture de sel, et la moitié pour une charrette.

Les habitants sont obligés de cuire leur pain dans les fours banaux (1), sous peine de trois sous d'amende. Il est dû au fournier une miche sur treize, s'il fait lui-

 

 

(1) Ils avaient été détruits on 1641. L'un d'eux ne fut relevé qu'en 1672, au prix de 49 francs. (Archives du Doubs, B, 115.)

 

même le portaige et le rapportaige, sinon une miche sur vingt-quatre.

Même assujettissement envers le moulin sous le château, et envers le pressoir, qui se trouvait près de l'église.

Les habitants ont droit de pêcher en toute saison, dans la Saône, avec petites troubles, lignes et astiquets. Mais quand ils prennent un poisson de cinq sous estevenants ou plus, ils doivent le présenter au château, avant de le mettre en vente, pour sçavoir Si le sieur capitaine en aura affaire et le veut achepter desdits pescheurs.

Le péage du pont appartient à Sa Majesté. Il est perçu un denier par tête de tout bétail qui passe.

Toutes les épaves ou choses trouvées lui appartiennent également. Les inventeurs doivent les révéler dans les vingt-quatre heures, moyennant salaire, au receveur de la seigneurie, sous peine d'une amende de soixante sous. Cependant, Si dans quarante jours les épaves sont répétées par le propriétaire, on les lui rendra, en tenant compte du salaire donné à celui qui les a trouvées.

Après l'énumération des principales propriétés du domaine (4), vient le détail des cens particuliers, rédigé en soixante-dix- neuf articles, dont trente-huit pour

 

(1) " Sa Majesté possède un étang sur Ameuvelle, un autre sur Bousseraucourt; le pré du Breuil ou du château, de douze fauchées ; le pré Mollot, de six fauchées ; le pré du Colombier, de trois le pré du Corroy et le pré au Tuilier, de deux; le pré des Anglais, de douze ; le moulin de la Minelle, avec trois fauchées; la corvée du meix Bessot, acensé aux habitants de Jonvelle pour six livres estevenantes ; le canton de la Tuilerie,composé de terres, friches et broussailles, acensé pour douze francs; huit journaux en Billonvaux, cinquante en Veuillon, acensés avant les guerres, pour cinquante ans, aujourd'hui sans culture ; enfin les bois Mornant, Rouveroy et Fourché, celui-ci distrait de la gruerie depuis 1611 et acensé pour huit francs ".

maisons, six pour jardins et vergers, onze pour les près de Jourdain, et vingt-quatre pour les vignes de Thaon ou sur Cunel.

Les communautés dépendantes de la seigneurie et faisant à leur tour la reconnaissance des droits féodaux, étaient Godoncourt, ayant 97 tenanciers; Raincourt, 26 ; Voisey, 118; Bousseraucourt en partie, 19 ; Ormoy, 74; Corre, 64; Ranzevelle, 12; Selles, 54 ; Villars-Saint Marcellin, 18 ; Montdoré, 10. Le manuel des reconnaissances de 1665 se contente de nommer les autres villages de la terre, sans dénombrer leurs sujets. Ces villages sont Anchenoncourt, Polaincourt, Plainemont, Saponcourt, Bourbévelle, Montcourt, Fignévelle, et en partie Vougécourt, Ameuvelle, Grignoncourt et Lironcourt. Les habitants de Bourbévelle étaient tenus, en temps d'éminent péril, de faire le guet et garde à la porte Sainte-Croix. La communauté de Raincourt devait annuellement neuf livres estevenantes de tailles et deux gros pour le pressoir. Corre payait alternativement huit et sept francs de tailles, et Godoncourt vingt-quatre francs six gros quatre engrognes, plus cent quarante-sept francs pour l'acensement du bois de Burevau, et vingt sous pour un canton de chènevières appelé le Pargie (i)

 

En 1674, la terre de Jonvelle, partageant le sort de la Franche-Comté, entra définitivement sous la domination de Louis XIV, qui en prit possession non comme vainqueur, mais à titre de comte palatin, du chef de sa

 

 

(1) Archives du Doubs, J, 24.

 

femme, Marie-Thérèse d'Espagne. Aussi déféra-t-il à l'antique usage de Bourgogne, par lequel les nouveaux souverains juraient, à leur avènement, de maintenir les droits, franchises, immunités, privilèges et libertés du pays. De plus, il se fit investir, comme successeur naturel des comtes. de Bourgogne, de tous les droits qui avaient appartenu dans la province ait roi Catholique (1). Cette politique était aussi habile que nécessaire pour gagner l'affection des Comtois, vaincus mais non soumis ; car, malgré la conquête, ils demeuraient d'autant plus attachés par le cœur à la dynastie espagnole, que cette fidélité leur avait coûté plus de malheurs depuis deux siècles, surtout depuis quarante ans ; et pour cela même ils se roidissaient avec toute l'énergie de la rancune, contre la domination de la France, auteur de tant de désastres. La châtellenie de Jonvelle entra donc dans le domaine du roi Très Chrétien, et fut administrée comme auparavant, sans autre changement que celui de maître et de couronne. En effet, la reconnaissance faite en 1684, au nom de Louis XIV, est la même que celle de 1665 (2), La ville conserva son bailliage, qui était un bailliage royal inférieur, ressortissant de celui de Vesoul; et, quoique démantelée, elle continua quelque temps d'avoir son capitaine. Après Jean-Baptiste Tivol, en 1654, elle eut entre autres commandants Jacques de Bichin de Cendrecourt et Jean-François de Poinctçs de Gevigney (1666-1694) (3),

(1)Droz, Mémoires pour servir à l'histoire du droit public de la Franche-Comté; pages 20 et suivantes.

(2)Archives du Doubs, 3, 26.

(3)Voir aux Preuves les notices sur ces deux familles.

 

En 1765, parut l’édit de Marly, qui fixait les droits en vertu desquels une communauté pouvait prendre ou conserver le titre de ville ou de bourg, avec l’administration et les faveurs compétentes. Jonvelle, qui prétendait bien avoir tous les droits à la conservation de ce titre, élut le 13 octobre son corps d'officiers municipaux7 comprenant six notables, deux échevins, trois conseillers de ville, un syndic receveur et un greffier. Mais l'intendant de la province, qui ne connaissait de cette communauté que son humiliation actuelle, repoussa ses prétentions. Les municipaux lui rappelèrent dans un mémoire les glorieux souvenirs de leur pays, les privilèges qu'il avait reçus des souverains, en reconnaissance de ses services, la succession de ses baillis et procureurs depuis 1460, et les principaux titres qui attestaient son nom de ville ancienne du comté de Bourgogne. " Toujours , disaient les suppliants , la ville de Jonvelle a servi de bouclier à la province sur cette frontière. Naguère encore, en 1712 , ses bourgeois empêchèrent les partisans d'y pénétrer, en fortifiant de nouveau leur faubourg de Sainte-Croix, dans lequel ils montèrent la garde près de deux années, avec une compagnie franche de cent dragons, et en marchant avec eux par détachements contre les pillards, toutes les fois qu'ils osèrent se montrer… Aujourd'hui Jonvelle est composé de deux cent cinquante feux, renfermés dans ses anciennes murailles, tant de la ville que du faubourg, avec beaucoup de Places à bâtir. Il est encore pavé partout, avec une grande place, qui forme un carré long régulier, orné d'une fontaine à quatre jets d'eau, devant laquelle est l'auditoire du bailliage. Il a encore une maison de ville, composée de quatre chambres hautes, de quatre basses, avec écuries et caves, le tout demandant, il est vrai, bien des réparations. La ville est séparée du faubourg par un pont sur la Saône, auprès duquel sont les usines du roi magnifiquement bâties à neuf. Détruit en 1734, par les inondations générales de la province, ce pont a été réédifié depuis aux seuls frais des bourgeois. Jonvelle avait autrefois deux paroisses. Il possède un prieuré considérable et une familiarité, qui a environ douze ou treize cents livres de rente. Son église paroissiale, qui peut contenir environ trois mille personnes, apparaît être du huitième ou du neuvième siècle. Une inscription du portail atteste qu'il fut reconstruit en 1232. Nous avons eu, dans les derniers siècles, un magistrat et un conseil de ville, qui a duré jusqu'en 1726… Enfin, nous avons foires et marchés, un bureau des fermes du roi et les divers contrôles des actes, de la marque des cuirs, de la poste aux lettres, du sel de Roziére, de la poudre à tirer, des cartes et du tabac (1)  ".

Tel fut l'exposé des habitants de Jonvelle; mais leurs réclamations furent inutiles, et ils se virent réduits au rang de simple communauté. C'est ainsi que cette vieille cité expia sa gloire passée et son héroïque fidélité à l'Espagne et à l'empire.

Quant aux anciennes fortifications, il n'en restait plus que quelques vestiges. Déjà leur emplacement avait été vendu en grande partie. Vainement les échevins réclamèrent-ils le château et ses dépendances comme terrain

 

 

(1) Archives du Doubs, Intendance, carton 65, cote J, 4.

 

communal, puisqu'on déniait à Jonvelle tout souvenir de son ancien état de ville de guerre : ils perdirent encore ce procès, et l'emplacement de ce château, ainsi que les murs et les fossés de la place, au midi, furent définitivement adjugés au fermier du domaine, le sieur Bigot, receveur du grenier à sel (1779) (1) Cette propriété a passé par héritage à la famille Degenne, qui l'a fouillée presque tout entière pour la cultiver. Partout la pioche a mis au jour les ferrements des édifices, mêlés aux débris de l'incendie, et les tuileaux romains enfouis dans les fondations. On a aussi découvert deux cent cinquante balles de plomb, avec leurs moules, une grande quantité de boulets en fonte et en zinc, et trente hectolitres environ de blé noirci et brûlé. Il reste du château une colonne monolithe, deux chapiteaux ioniens, deux caves et un angle du premier mur d'enceinte, de sept mètres environ au-dessus du sol actuel, sur trois mètres d'épaisseur. L’œil suit encore partout le tracé des murs et des fossés qui enveloppaient Jonvelle. Au midi, on voit une porte; au nord, dans les champs, sont les lieux dits la Citadelle et le Garlinfort, ou fort Carlin. Ces souvenirs, ces ruines, un simple village de sept cents âmes, une église assez intéressante pour l'art, quelques maisons gothiques, voilà tout ce qui reste d'une cité qui fut l'opulent chef-lieu d'une vaste châtellenie; voilà tout ce qui reste d'une ville de guerre qui fut, pendant quatre ou cinq siècles, un des boulevards de notre province.

 

(1) Voir aux Preuves

 

 

NOTICES PARTICULIERES.

 

 

 

Certains détails secondaires n'ont pu trouver place dans notre histoire, dont ils auraient embarrassé la marche et refroidi la narration, quoiqu'ils soient d'un vif intérêt non seulement pour les pays et les familles qu'ils mentionnent, mais encore pour tous les amateurs de chroniques locales. Ces détails feront l'objet des Notices historiques qui vont suivre, pour compléter, comme parties intégrantes, l'Histoire de ta seigneurie de Jonvelle et de ses environs.

 

 

BICHIN DE CENDRECOURT.

 

Jacques de Bichin, seigneur de Pompierre et de Souvane, était l'arrière-petit-fils de Jean Bîchin, dit Finguerlin, de Luze, tabellion général de la principauté d'Héricourt, qui avait été anobli au service de l'empire, pour lui et ses descendants à perpétuité, par lettres-patentes de Ferdinand, roi des Romains, datées du 34 octobre 1542 et confirmées par Charles-Quint, son frère, en 1544. Lieutenant-colonel des cuirassiers de l'empereur, gouverneur et capitaine de Jonvelle en 1666, Jacques de Bichin devint seigneur de Cendrecourt par son mariage avec Antoinette Besancenot, fille unique de Claude François Besancenot, seigneur de Cendrecourt. Les seigneurs de cette maison sont connus dés le milieu du douzième siècle par leurs bienfaits envers l'abbaye de Cherlieu. Jean de Cendrecourt, écuyer, servait dans l'armée du duc de Bourgogne, en Artois, sous la bannière d'Antoine de Vergy, avec l'élite de la noblesse du pays (1414) Simon de Cendrecourt, écuyer, accompagna Charles le Téméraire au siégé de Nancy (1477) Catherine de Cendrecourt épousa Christôphe de Lignéville,

chevalier des ordres du roi de France, conseiller d'Etat de Son Altesse de Lorraine, maître d'artillerie, seigneur de Liguéville, Cumières, Senai de, Lironcourt, Godoncourt, etc. (1574). Gaspard de Lignéville, leur fils et héritier, conseiller d'Etat du duc de Lorraine, gentilhomme ordinaire de la chambre de Mgr de Vaudémont et général de l'artillerie des princes de l'Union catholique d'Alle-magne, fit hommage de ses fiefs de Lironcourt, Godoncourt et Bousseraucourt, au comte et à la comtesse de Bourgogne, à cause de leur château de Jonvelle. Claude de Francourt de Cendrecourt, vicaire perpétuel de Châtillon-sur-Saône , littérateur distingué de son temps (1589), fit un travail remarquable en vers latins sur l'Ecriture sainte, resté manuscrit dans la bibliothèque de l'abbaye de Luxeuil.

La seigneurie de Cendrecourt passa successivement aux Thomassin de Vesoul, aux Bézard de Jussey, aux Besancenot, aux Bichin et aux Richard. Ces derniers sont représentés par les familles du Bois et Méchet, et par M. Richard de Bichin de Cendrecourt; chef de bataillon d'infanterie de marine et commissaire du gouvernement près le conseil de guerre de Toulon.

Cendrecourt a vu naître, en 1680, D. Basile Payen, mort à Luxeuil le 23 août 1756. Ce savant bénédictin a laissé plusieurs ouvrages de controverse, des grammaires française, latine, grecque et hébraïque, un dictionnaire hébraïque, un traité héraldique, un traité de numismatique, un cours complet de philosophie et de théologie, enfin la Bibliothèque séquanaise, qui comprend des recherches chronologiques sur les écrivains du comté de Bourgogne. (V. FELLER.)

 

 

BO U G E Y

 

 

 

La seigneurie de Bougey appartenait jadis à la maison de Pesmes, d'où sortirent les branches de Valay, de la Résie et de Rupt. Tous ces nobles se qualifiaient de ce fief. La branche de Rupt produisit le rameau des seigneurs de Bougey proprement dits, qui relevaient de Rupt et de Pesmes, comme cadets de ces maisons. L'abbaye de Cherlieu, située sur leur territoire (1), fut enrichie par ces quatre familles trente-six chartes de son cartulaire conservent le souvenir de leurs donations, en sauvant de l'oubli les noms de ces généreux bienfaiteurs (2). Le premier qu'elles citent est Guillaume Il de Pesmes, sire de Rupt, Bougey, Oigney, etc. il assista aux plaids de Faverney (1132 et 1140) (3). Le monastère obtint de son fils, Guy 1er, la terre et le moulin d'Agnaucourt, avec

 

 

(1) Le ruisseau de Cherlieu séparait alors les territoires de Bougey et de Montigny.

(2) Voir Cartulaire de Cherlieu, à la bibliothèque impériale ; HIstoire des sires de Salins, tome I, notes sur les maisons de Pesmes, de Rupt et de Ray; Pouillé du diocèse, aux archives du Doubs.

(3) V. page 61.

 

l'autorisation de recevoir ses sujets comme religieux

 

(1457) (1) Le moulin de la Perrière lui fut donné par Guillaume III, fils du précédent (1236). Guy II, frère puîné de Guillaume, fut la tige de la maison de Rupt et figura honorablement dans la quatrième croisade, avec Aimon, son frère, les sires de Dampierre et les sires de Vergy (1201-1204). Hugues,. son petit-fils, fut chef de la maison de Bougey (vers 1250).

Les sires de Pesmes avaient le patronage et les revenus des cures et des églises de Bougey et d'Oigney ; et ces droits étaient partagés entre tous les membres de cette famille, même avec le curé et le prévôt de Bougey. Les possesseurs finirent par les abandonner à l'abbé de Cherlieu (1284 à 1326). Les deux églises furent réunies par l'Ordinaire vers l'an 1308.

Etienne de Bougey, dit Bougeroz, écuyer, avait contracté un emprunt auprès du juif Antoine le Lombard, de Traves, sous la caution de Jacques de Rupt , son cousin, qui fut obligé de payer pour lui (1314). Il ne put se libérer que quarante ans après, en cédant une partie de son château à Gauthier de Rupt, fils de son créancier.

Jean de Bougey, frère d'Etienne, fut abbé de Faverney. Il fonda son anniversaire à Cherlieu, en donnant à ce monastère ses dîmes et son four de Purgerot (1235)

Au seizième siècle, la seigneurie de Bougey passa dans la maison de Ray. Dans le siècle suivant, Marie-Célestine, fille unique de Claude-François de Ray, seigneur

 

(1)Aux Preuves.

de Bougey, Conflandey, Vezet, Charriez, Mailley, etc., avait émigré en Suisse, pour fuir la guerre et la peste qui désolaient alors nos pays. Retirée à Fribourg, elle y épousa Albert de Mérode, marquis de Trelon, grand-veneur de Flandres, capitaine des archers dans la garde de don Juan d'Autriche (28 juillet 1636). Mais le nouveau baron de Ray ne garda pas longtemps la terre de Bougey ; les malheurs des temps l'obligèrent de l'engager, puis de la céder aux Maréchal, noble famille de Besançon, depuis longtemps enrichie par le commerce et la banque (1) Dévoués à la dynastie espagnole et ardents entre tous pour la défense de la province contre les armes françaises, les Maréchal payèrent leur patriotisme par la confiscation de plusieurs domaines; entre autres, le fief de Bougey fut vendu par décret (8 février 1687), pour 44,000 livres, à Etienne de Camelin, originàire de Fréjus, commissaire provincial, lieutenant colonel d'infanterie, capitaine général des mineurs de France, chevalier de l'ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel, et de Saint-Lazare de Jêrusalem. Marié en secondes noces à Reine de Quentéal, de Langres, Etienne de Camelin mourut le 17 décembre 1694, à Bougey, où il fut inhumé dans la chapelle seigneuriale de l'église. Il ne laissait qu'une fille, Louise-Pierrette, pendant la minorité de laquelle sa mère vendit la terre de Bougey à Victor-Amédée de Choiseul, marquis de Laucques (20 décembre 1704). Mais, quatorze ans après, le bailliage de Chaumont cassa la vente, à cause de l'âge de la pupille : la sentence fut rendue à la requête de Jean-Marie

 

 

(1) Mémoires et Documents inédits de l'Académie de Besancon, III, 114.

 

 

de Serrey, subdélégué de l'intendance de Champagne, devenu l'époux de la jeune dame de Bougey. Reine-Catherine, leur unique héritière, épousa le capitaine Joseph d'Hémery. Demeurée veuve et sans enfants, elle céda la terre de Bougey à son cousin Jean-Baptiste de Serrey de Châtoillenot, pour 98,000 livres. Elle mourut le 16 mai 1807, laissant un nom vénéré, pour ses vertus et ses bonnes œuvres en tout genre (1) M. Guyot de Saint-Michel, propriétaire actuel du château de Bougey et de ses dépendances, est l'arrière-petit-fils de Jean-Baptiste de Serrey

Ce château était flanqué de quatre tours : il en reste encore une, portant le millésime de 1585; ce qui indiquerait une restauration faite après les désastres de 1569 ou des années suivantes.

L'ancienne église, démolie en 1850, était placée sous les murs et la protection du château. Elle renfermait à droite la chapelle seigneuriale. Devant le maître-autel, on lisait sur une tombe:

 

Illustrissime et révérendissime Pierre Pardaillant, évêque et duc de Langres, pair de France, mort an château de Bougey le 2 novembre 1733. Son cœur et ses entrailles ont été inhumés le lendemain dans cette église.

La paroisse avait sa confrérie de la Conception, autorisée par l'Ordinaire en 1624, pour les deux églises. Celle de Bougey est dédiée à saint Pierre. Ce village comptait, en 1644, 62 ménages en 1636, avant la guerre et la peste, 69 feux et 363 habitants, en moyenne cinq par ménage; en 1855, 440 feux et 442 habitants.

 

(1) Archives du château de Bougey.

Outre les châtelains, deux familles importantes, les le Joyant et les de Mandre, ont illustré Bougey dans ces derniers siècles. Nous consacrerons une notice particulière à chacune d'elles, vu surtout que plusieurs de leurs membres figurent avec honneur dans l'histoire que nous venons d'écrire.

 

 

BOURBÉVELLE.

 

 

Bourbévelle, appelé dans les anciens titres Worbecivilla, Vorbelville, Vorbéville, Borbévelle, avait autrefois un château destiné à couvrir les voies romaines qui l'avoisinaient, et surtout la forteresse de Jonvelle. Une famille noble de nom et d'armes habitait ce manoir féodal, dès le douzième siècle, sous la suzeraineté des sires de cette ville, et l’on voit souvent ses membres figurer, avec les grands personnages de l'époque, parmi les chevaliers, les arbitres et les bienfaiteurs du pays. C'est dans les archives de Clairefontaine et de Cherlieu que nous trouvons plus fréquemment leur souvenir.

Girard, le premier de tous, fut témoin d'une donation faite à l'abbaye de Clairefontaine par Bernard d'Annegray, du consentement de Henri, frère du comte Frédéric (1150). Il est encore nommé dans un acte par lequel Richard et Ulrich de Blondefontaine donnent au même monastère leurs possessions de Villars-Saint-Marcelin, de la Grange-Rouge et de Besinville, au territoire do Polaincourt.

Hugues de Bourbévelle figure comme témoin dans plusieurs chartes émanées des sires de Jonvelle en faveur de Clairefontaine (1452,1457, 1464 et 1474).

il était à la brillante assemblée qui honora de sa présence le manoir de Guy Ier de Jonvelle, en 1457. Ces illustres personnages étaient Humbert, archevêque de Besançon, Mathieu, duc de Lorraine, Philippe d'Achey, Villencus de Voisey, le sire de Bourbévelle, Albéric de Blondefontaine,, les frères Hugues et Richard de Gevigney, Odes et Théodoric d'Augicourt, Libaud, prévôt de Jonvelle, avec les abbés de Clairefontaine, de Theuley, de Rosières, de Bithaine et de Beaupré. Entre autres affaires, on régla dans cette circonstance les limites qui devaient séparer les possessions de Clairefontaine de celles de Philippe d'Achey, seigneur de Senoncourt, Menoux et Saint-Remi, où il faisait sa résidence. Grâce à la médiation du prince de Lorraine et de l'archevêque, le sire d'Achey non seulement se montra facile au sujet de la délimitation, mais de plus il abandonna aux religieux toutes ses possessions de Senoncourt, comprises entre le chemin de Drolirs et le rupt de Brinvaux. Déjà il avait signalé son bon vouloir pour eux, en leur donnant à Menoux le domaine des saints Berthaire et Athalin puis à Faverney le parcours de ses prés et la glandée de ses bois. En compensation de ces droits sur Faverney, les donataires lui avaient accordé celui de bâtir un moulin sur la Superbe (1), avec tous les terrains qu'ils possédaient sur la rive gauche de cette rivière. Ces arrangements furent sanctionnés par l'assemblée de Jonvelle (2)

 

 

 

(1) Les chartes du moyen âge l'appellent Amantia, Esmantia, comme la rivière qui descend de la Haute-Marne à Jussey.

(2) Archives de la Haute-Saône, H, 283

Fin de saisie en date du 16/01/1999

La suite prochainement

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